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— Docteur Klimus, je voudrais…

— Je suis occupé, Molly.

— Trop occupé pour parler de Myra Tottenham ?

Klimus releva la tête. Quelqu’un passait dans le couloir.

— Fermez la porte, dit-il.

Molly obéit, puis s’assit.

— Shari Cohen et moi, nous venons de passer la journée à Stanford à éplucher les publications de Myra. Ils en ont des montagnes dans leurs archives.

— Les universités adorent la paperasse, fit Klimus avec un sourire forcé.

— C’est vrai. Et juste avant sa mort, Myra travaillait à mettre au point une méthode pour accélérer le séquençage des nucléotides.

— Ah oui ? Mais je ne saisis pas très bien le rapport avec…

— Il y a un rapport direct, Burian. Sa technique, où elle fait intervenir des enzymes de restriction spécialisées, avait des années d’avance sur toutes les autres réalisations.

— Qu’est-ce qu’une psychologue comme vous peut savoir en matière de recherche sur l’ADN ?

— Pas grand-chose, mais Shari me dit que ses travaux étaient très proches de ce que l’on appelle aujourd’hui la « méthode de Klimus », qui vous a valu le prix Nobel. Nous avons également étudié à Stanford vos publications de l’époque, et vous étiez en train de patauger dans la mauvaise direction. Vous vous efforciez de trouver une méthode de tri utilisant la charge ionique directe des nucléotides…

— Ça aurait marché.

— Peut-être, dans un univers où l’hydrogène libre ne s’associe pas à tout ce qu’il trouve. Vous étiez dans une impasse, et vous y êtes resté jusqu’à la mort de Myra Tottenham.

Il y eut un long, un très long silence. Puis :

— Le comité du prix Nobel n’aime pas décerner ses récompenses à titre posthume, déclara Klimus, comme si cela justifiait tout.

Molly croisait les bras sur sa poitrine.

— Je veux toutes vos notes sur Amanda. Et aussi votre parole d’honneur que vous ne chercherez plus jamais à la revoir.

— Mrs Bond…

— Amanda est ma fille. La mienne et celle de Pierre. Dans tous les sens du mot qui comptent vraiment. Vous ne nous importunerez jamais plus.

— Mais…

— Il n’y a pas de mais. Donnez-moi ces carnets de notes maintenant.

— Je… j’ai besoin d’un peu de temps pour les rassembler.

— Vous voulez dire pour les photocopier. Il n’en est pas question. Je vous accompagnerai où vous voudrez pour les prendre, mais je refuse de vous perdre de vue tant que je ne les aurai pas tous récupérés et brûlés.

Klimus ne dit rien pendant plusieurs secondes. On n’entendait plus que le bourdonnement léger d’une pendulette électrique.

— Vous êtes coriace, dit-il enfin en ouvrant le tiroir inférieur de son bureau pour en sortir une dizaine de petits carnets à spirale.

— Pas du tout, répondit Molly en les prenant. Je ne suis que la mère de ma fille.

Quatre mois avaient passé. Shari Cohen traversa lentement le labo, l’air terriblement gênée, comme si elle souhaitait être ailleurs. Pierre était assis sur un tabouret.

— Je ne sais pas comment t’annoncer ça, Pierre, dit-elle, mais tes derniers résultats d’analyse sont… (elle détourna les yeux) complètement faux.

— Faux ? dit-il en levant un bras tremblant.

— Tu as raté le fractionnement. Il va falloir que je recommence tout.

Il hocha la tête.

— Désolé. Quelquefois, je… perds les pédales.

Shari hocha elle aussi la tête. Sa lèvre supérieure tremblait.

— Je sais, dit-elle.

Elle observa un long moment de silence. Puis elle ajouta :

— Il serait peut-être temps que…

— Non, fit-il d’une voix aussi ferme que possible, en brandissant devant lui ses mains tremblantes, comme pour parer d’avance ce qu’elle allait dire. Ne me demande pas de ne plus venir au labo. (Il poussa un long soupir.) Tu as peut-être raison. Je ne suis sans doute plus capable d’effectuer des tâches complexes. Mais laisse-moi t’aider, je t’en supplie.

— Je peux continuer notre travail. Je finirai d’écrire notre article. (Elle sourit. Cette publication allait faire l’effet d’une bombe.) Les gens ne pourront plus jamais t’oublier, Pierre. Et pas seulement dans la lignée de Crick et de Watson, mais dans celle de Darwin, également. Il nous a appris d’où nous venons, et tu nous as appris où nous allons.

Elle demeura un instant sans rien dire, songeuse. La découverte récente de Pierre – probablement sa dernière, hélas ! – portait sur la séquence ADN qui semblait commander la descente de l’os hyoïde dans le larynx. Cette séquence, disparue par décalage dans l’ADN de Hapless Hannah, était bien à sa place dans celui d’Homo sapiens sapiens. Et il avait montré à Shari un prélèvement contenant la séquence décalée relative à la télépathie, sans lui préciser quelle en était l’origine. À vrai dire, elle ne croyait qu’à moitié aux assertions de Pierre concernant ses propriétés.

Pierre regarda le labo autour de lui d’un air impuissant.

— Il doit bien y avoir quelque chose que je peux encore faire, dit-il. Rincer les éprouvettes, classer les fiches, je ne sais pas, moi…

Elle jeta un coup d’œil à la poubelle, où les morceaux de verre d’un récipient que Pierre avait cassé le matin étaient encore visibles.

— Tu as déjà consacré beaucoup de temps à cette recherche, dit-elle. Je sais que ce n’est pas moi qui suis censée citer les prix Nobel, mais Woodrow Wilson a dit un jour, je crois, quelque chose comme : « J’utilise non seulement toute la matière grise que je possède, mais aussi toute celle que je peux emprunter. » Tu peux emprunter la mienne, Pierre. Je porterai le flambeau pour nous deux. Il est temps que tu relâches un peu la pression. Occupe-toi de ta femme et de ta fille.

Pierre sentit les larmes lui monter aux yeux. Il savait depuis longtemps que ce jour allait arriver, mais c’était encore trop tôt, beaucoup trop tôt.

Il y eut entre eux un instant de gêne, pendant lequel Pierre repensa au jour, trois ans et demi plus tôt, où il avait tenu Shari dans ses bras pendant qu’elle pleurait à cause de sa rupture avec son fiancé. Elle dut y penser, elle aussi, car elle s’approcha gentiment de lui pour lui entourer les épaules de ses deux bras, sans serrer, afin de ne pas entraver sa danse rythmique.

— Ton souvenir restera à jamais, Pierre, murmura-t-elle. Ce que tu as découvert te rendra célèbre dans le monde entier.

Il hocha la tête, essayant de se laisser consoler par ses mots. Mais bientôt, les larmes ruisselèrent sur ses joues.

— Ne pleure pas, lui dit Shari. Ne pleure pas.

Il leva la tête pour la regarder.

— Je sais qu’on a fait du bon travail, mais…

— Mais quoi ? demanda-t-elle en écartant une mèche sur son front.

— Trop fragmentaire. Nous ne comprenons que des fragments. Mais le tableau réel… les nucléotides, les enzymes, les amplifications, les séquences… (Il leva un doigt tremblant pour s’essuyer la joue.) Je ne me rappelle pas tout, et ce que je me rappelle, je ne le comprends plus…

Shari lui toucha l’épaule.

— Ça ne fait rien, lui dit-elle. Ton travail est achevé. Les découvertes sont faites. Je peux finir le boulot toute seule.

— Mais qu’est-ce que je vais faire, moi, maintenant ? Je ne connais rien d’autre… que la génétique !

Elle lui parla tout doucement.

— Il y a eu un nouveau message pour toi au téléphone de la part de Barnaby Lincoln, du Chronicle. Pourquoi ne pas le rappeler ?

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