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— Dois-je emporter mon épée ? demandai-je aussitôt.

— Non, répondit Nâtan. Il a dit que tous ceux qui se serviront de l’épée périront par l’épée. Il est en mesure d’appeler une légion d’anges pour le protéger le cas échéant. Partons rapidement et courons vers la montagne comme les faiseurs de rêves.

Je l’interrogeai encore pour savoir si nous étions loin de la montagne et Nâtan répondit qu’il la connaissait, ainsi que tous les chemins qui y menaient. Il nous faudrait une journée de marche et il pensait que le plus prudent serait d’arriver à la tombée de la nuit afin de ne pas nous faire remarquer inutilement. Je le priai d’attendre, le temps de me vêtir et d’avertir ma compagne de route.

Lorsque parut Myrina, je me rendis compte que Nâtan avait cru que Marie de Beerot était encore avec moi. Il regarda la jeune fille d’un air étonné, puis posa sur moi des yeux lourds de reproche. Je me sentis coupable comme si j’eusse trahi sa confiance.

— C’est une étrangère comme moi, dis-je pour me disculper. Elle a perdu son frère et je l’ai adoptée comme sœur. Prends-la en pitié au nom de Jésus de Nazareth ! Mais si tu refuses de l’emmener avec toi, je ne pourrai te suivre, car j’ai fait une promesse qui m’oblige à me rendre avec elle au rendez-vous de la montagne.

Je perdis ma dignité aux yeux du grave Nâtan, qui certainement jugea que je manquais de parole, mais il ne s’opposa point à ma décision et se contenta de faire son geste habituel. Je crois qu’après une si longue attente, il éprouvait un tel soulagement de partir qu’il eût même accepté d’emmener Hérode Antipas si ce dernier l’en eût prié. Reprenant courage, j’exprimai l’idée que les disciples eux-mêmes, animés pourtant d’un zèle plein d’inquiétude, laisseraient Jésus décider de ceux qu’il devait accepter ou repousser.

Nâtan, tournant le dos à la cité, nous conduisit par le chemin le plus direct à la route qui mène vers l’intérieur du pays. Ainsi que je l’avais prévu, nombre de spectateurs des courses qui avaient passé la nuit à Tibériade quittaient également la ville. Lorsque nous fûmes au sommet de la pente, je pus contempler sous mes yeux le magnifique paysage de la mer de Galilée et de la ville avec ses portiques. Le chemin derrière nous fourmillait de monde, tandis que des nuages de poussière signalaient le passage de ceux qui nous précédaient.

Tout au long de la route et près de chaque pont, nous rencontrâmes des postes de garde : les autorités romaines avaient décidé ce jour-là de faire une bonne recette, car les légionnaires intimaient l’ordre à tous les véhicules, qu’ils fussent tirés par des ânes, des chameaux, des chevaux ou des bœufs, de s’arrêter pour s’acquitter d’un droit de péage. Ils n’obligeaient point ceux qui allaient à pied à payer le tribut, mais interpellaient parfois un homme d’allure suspecte pour l’interroger et s’assurer qu’il ne portait point d’armes.

Lorsque nous entamâmes la descente, la Galilée tout entière nous parut un jardin tant les terres autour de nous étaient cultivées avec soin ! Nombre de piétons cependant, pour fuir les Romains, s’écartaient en courant du chemin dès qu’ils repéraient des soldats en faction, et les paysans sortaient alors de leurs champs en jurant et se lamentant de ce que ces troupeaux de voyageurs vinssent piétiner leurs cultures et saccager leurs vignes pour éviter les postes.

Nous passâmes sans encombre et l’on ne nous fouilla pas ; nous eûmes toutefois à payer le péage trois fois pour nos deux ânes. Au milieu du jour, nous fîmes halte près d’un puits pour laisser reposer les bêtes et prendre quelque nourriture nous-même ; et tout à coup, me revint à l’esprit une chose que j’avais totalement oubliée, qui m’attrista et me poussa à m’enquérir auprès de Nâtan si Marie la Magdaléenne avait reçu le message ou si nous devions rebrousser chemin pour aller la chercher. Mon esprit ne retrouva son calme que lorsqu’il m’eut assuré que tous ceux qui avaient été dans l’attente avaient reçu le message.

Je profitai de ces moments de repos pour examiner ceux qui poursuivaient leur route sans s’accorder le plus léger arrêt à cette heure la plus chaude de la journée et m’amusai à tenter de reconnaître ceux qui se rendaient à la montagne. Certains visages exprimaient un espoir plein d’ardeur, comme si ni la poussière du chemin ni la fatigue de leurs membres ne comptaient pour eux. En revanche, ceux qui avaient assisté aux courses marchaient la tête basse d’une allure traînante. Beaucoup de gens avaient coupé des branches d’arbres pour se protéger du soleil particulièrement chaud ce jour-là. Un beau garçon passa devant nous tenant le bras d’un vieil homme aveugle.

Alors que nous nous préparions à repartir, nous entendîmes dans le lointain une galopade de chevaux et le roulement d’un char accompagnés de cris d’avertissements. Puis un quadrige gris qui la veille avait participé à la course fila devant nous à grand fracas. L’aurige, obligé de faire halte au poste précédent, se proposait maintenant de rattraper le temps perdu sans se soucier de ceux qui marchaient sur le chemin. Nul doute qu’à la vitesse où il allait, il ne finît par renverser quelqu’un sur cette route grouillante de monde. Et nous vîmes qu’en effet un accident avait eu lieu lorsque nous parvînmes au tournant : un attroupement s’était formé sur le bas-côté, on levait le poing en direction du char qui s’éloignait. Le jeune homme qui conduisait l’aveugle avait réussi à écarter le vieil homme à temps, mais lui-même avait été piétiné par les chevaux ; son front était en sang, il souffrait d’une blessure à la tête et probablement d’une fracture à une jambe, car il n’arrivait pas à se tenir debout lorsqu’il essayait de se lever ; le vieillard lançait des plaintes irritées sans comprendre ce qui venait de se passer.

Les gens attroupés, se rendant compte qu’il fallait prêter main-forte, eurent tôt fait de se disperser et de reprendre leur route. Le jeune homme essuya le sang qui coulait sur son visage et se palpa la jambe. Je l’observai avec curiosité, songeant qu’il pouvait remercier la fortune d’être toujours en vie. Dominant sa douleur, il répondit à mon regard puis rassura l’aveugle avec quelques mots tristes. Nous aurions poursuivi notre voyage si Myrina n’eût crié à Nâtan d’arrêter les ânes, puis sauté du sien d’un mouvement souple ; s’agenouillant près du jeune homme, elle lui palpa la jambe avec ses deux mains.

— Elle est cassée ! cria-t-elle à notre adresse.

— Si tu as satisfait ta curiosité, répondis-je sur le ton de l’ironie, nous partirons maintenant, car nous sommes pressés.

— Homme d’Israël, dit le garçon, prenez mon père aveugle en pitié pour la grâce de Dieu ! Nous ne sommes point des gens de mauvaise réputation, mon père a perdu la vue et on lui a promis qu’il trouverait le guérisseur si cette nuit il parvenait à le rejoindre. Demain il sera trop tard ! Pour moi, peu importe, mais je vous en supplie, emmenez mon père avec vous et accompagnez-le jusqu’à l’endroit où commence la plaine de Nazareth. Là-bas, un autre le prendra en pitié et le conduira sur le bon chemin.

— Nombreux sont les chemins et il est facile de s’égarer en maints d’entre eux ! intervint Nâtan. Es-tu sûr du chemin, jeune homme ?

Un sourire illumina le visage du garçon en dépit de sa souffrance de sorte que, même avec la face couverte de sang, et bien qu’il fût triste et désemparé, il était d’une grande beauté.

— Il n’y a qu’un seul chemin, répondit-il sur un ton allègre.

— Ainsi avons-nous le même, reprit Nâtan en me lançant un regard interrogateur.