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Devant ces trois hommes qui tels des frères se tenaient par la main, j’éprouvais de l’envie et de l’angoisse à la fois en songeant à l’héritage que le Nazaréen leur avait laissé afin qu’ils le répartissent entre les hommes. Je me jetai à leurs pieds pour les supplier une fois encore.

— Je laisse à vous trois et à tous les autres les paroles de la vie éternelle. Je me plie à votre volonté bien que vous soyez des hommes simples. Tous les érudits expliqueraient sa doctrine, chacun selon sa science propre et en y ajoutant de son cru tandis que vous, vous n’avez certainement en tête que d’obéir à sa volonté le mieux qu’il vous sera possible. Je l’ai vu, il ne m’a point repoussé et n’a mis aucun obstacle à ma présence ; j’ai cru même, lorsqu’il s’est approché de moi, qu’il m’avait adressé la parole, mais je suis prêt à effacer ce souvenir de ma mémoire si tel est votre désir. Je ne vous demande même pas la potion de l’immortalité, permettez-moi seulement de conserver son royaume au fond de mon cœur ! Ne me rejetez point tout à fait ! Je croirai tout suivant vos explications et n’ajouterai rien de personnel à vos enseignements ; je ne vous demande point de me révéler le secret. Je mets tous mes biens à votre disposition et en tant que citoyen romain, j’interviendrai en votre faveur si vous êtes convoqués devant les gouverneurs ou poursuivis pour sa cause.

— Ni avec de l’or ni avec de l’argent ! dit Simon Pierre en levant la main.

— Moi, Jacques, s’exclama le troisième disciple, je me souviens qu’il nous a dit de parler sans inquiétude si l’on nous faisait comparaître devant les autorités, car ce que nous aurons à dire nous sera donné sur le moment en fonction de la nécessité.

Et voici que les yeux de Jean se remplirent de larmes et qu’il me regarda avec la même expression de tendresse qu’une autre fois déjà.

— Je t’aime, ô Romain, dit-il, je t’aime pour ton humilité et je suis pénétré du sentiment que tu ne nous veux aucun mal. La mère de Jésus qu’il m’a donnée au pied de la croix, m’a conté ceci : il est descendu dans le royaume des ombres, il en a brisé les portes et délivré les morts. Ainsi affranchira-t-il les peuples idolâtres, mais nous ignorons encore de quelle manière. Aspire à la paix, prie, jeûne et purifie-toi ; mais n’ouvre point la bouche à son sujet, afin de ne pas égarer les hommes autour de toi avec ton ignorance. Laisse-nous le soin d’accomplir notre tâche.

Je me relevai en baissant la tête et en luttant pour étouffer mon orgueil, mais sans laisser de penser que l’héritage du Nazaréen se disperserait aux quatre vents du monde pour finir par se perdre s’il restait à la charge de ces seuls disciples sans culture. Puis je trouvai une consolation à songer que Jésus sans doute savait ce qu’il faisait.

— Prends les ânes, dis-je à Nâtan, et mets-toi à la disposition des femmes. Sois leur protecteur et ramène-les saines et sauves chacune à sa destination ou à Capharnaüm. Repose-toi ensuite, puis viens me chercher aux thermes de Tibériade.

— Cela ne me plaît guère que tu traverses à pied la Galilée avec cette jeune fille pour seule compagnie, protesta Nâtan.

Je découvris, en jetant un coup d’œil autour de moi, que l’aveugle qui avait récupéré la vue, avait profité de mon inattention pour disparaître avec son fils. Mais j’avais, ancrée en moi, la conviction absolue que même si tous les hommes m’abandonnaient, toujours Jésus de Nazareth serait à mes côtés.

— La paix soit avec vous tous, dis-je.

Et prenant Myrina par la main, je me mis en devoir de descendre la montagne, empruntant le même chemin que celui par lequel nous étions arrivés. Tournant la tête une dernière fois, je vis la foule innombrable en mouvement sur le flanc de la montagne, les hommes cherchant leurs amis pour les saluer avec ferveur ; maints d’entre eux déjà, fatigués par une nuit de veille, s’étaient allongés sur le sol enveloppés dans leurs manteaux, afin de dormir quelques heures avant de reprendre le chemin du retour.

Tout en marchant, je me remémorai les événements de cette nuit ; je trouvai tout à fait naturel que le vieil homme eût récupéré la vue et que la jambe de son fils se fût guérie, si tant est qu’elle eût été fracturée. Ces miracles ne paraissaient nullement étonnants et même n’avaient à mes yeux aucune importance : sa bonté était si grande qu’en apparaissant aux siens il avait également soulagé de leurs maux physiques tous ceux qui n’étaient point invités.

Les quarante jours étaient presque écoulés et bientôt il regagnerait la maison de son père. Je m’efforçai de m’accoutumer à l’idée qu’en dépit de ce fait, il serait à mes côtés si je l’appelais. Cette idée était extraordinaire et si quelqu’un d’autre m’en eût parlé, elle m’aurait paru complètement absurde ; mais force me fut pourtant d’y croire, tant le fait de le voir de mes propres yeux m’avait profondément impressionné.

Plongé dans ces pensées, je suivais le sentier qui descendait à travers le maquis, tenant Myrina par la main. Un renard traversa juste devant nous.

— Tu as sans doute oublié que tu n’es point seul, dit Myrina en me regardant, bien que tu me tiennes par la main !

Je posai sur elle mes yeux comme au sortir d’un rêve, et eus la conviction que le Nazaréen m’avait donné à Myrina à la place de son frère pour qu’elle ne succombât point. Il ne pouvait la confier aux fils d’Israël qui ne l’auraient pas acceptée et m’avait choisi moi parce que j’étais romain. Et tout cela, il l’avait fait pour une gorgée d’eau !

Puis me vint à l’esprit une autre pensée, qui me jeta dans un grand trouble : moi, je n’avais rien donné à Jésus de Nazareth, tandis qu’il n’avait cessé de me couvrir de prévenances ; il m’avait même offert à manger et permis de me réchauffer et de sécher mes habits devant son feu sur les bords de la mer de Galilée, s’il était en vérité ce pêcheur solitaire. Je pourrais le servir à mon tour si je considérais désormais Myrina comme ma sœur.

— Ô Myrina, dis-je, tu es pour moi à partir de maintenant ma véritable sœur et je ne t’abandonnerai jamais. Tout ce que je possède t’appartient et tâche de supporter mes défauts et ma vanité.

— Marc, ô mon frère, tu devras me supporter également ! répondit-elle en serrant ma main dans la sienne. Mais, avant toute chose, raconte-moi ce qui s’est passé, dis-moi que voulaient de nous ces trois hommes et la raison pour laquelle ils te jetaient des regards si noirs de méfiance.

Mais comme les messagers m’avaient ordonné de me taire, je n’osai même pas lui dire ce que je comprenais du Nazaréen et de son royaume.

— Ces hommes étaient trois des onze justes auxquels Jésus a révélé le secret du royaume ; ils nous rejettent parce que nous ne sommes point fils d’Israël et nous considèrent de ce fait comme des païens immondes. Ils m’ont interdit de faire aucun commentaire sur le royaume du Nazaréen. Dis-moi donc ce que tu penses de ce que nous avons vécu !

Myrina répondit après avoir réfléchi :

— En premier lieu, nous avons mangé le repas du sacrifice comme lorsque l’on enterre Adonis en Syrie et qu’il revient ensuite à la vie ; mais ce repas était différent, car Jésus de Nazareth s’est offert lui-même en sacrifice avant de ressusciter ; j’ai cru cette nuit qu’il est le fils de Dieu. Ensuite le vin ne s’est point tari dans notre coupe et notre pain resta inentamé à nos côtés ; mais cela ne prouva rien à mes yeux. Cependant je l’ai aimé de toutes mes forces lorsqu’il a posé son regard sur moi, et je me suis sentie à ce moment prête à tout faire pour lui. C’est là un grand mystère, bien plus grand que les mystères des Grecs ou des Égyptiens. Je pense que son royaume est invisible mais qu’il est là pourtant, de telle sorte que je suis en lui même quand mes pieds foulent ce sentier sur le flanc de cette montagne en ce monde-ci ; et il me serait impossible de me détacher de son royaume quand bien même je le voudrais ; mais je n’éprouve aucune crainte car il est plein de douceur et je suis en lui dépourvue de péché.