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Cependant, mon esprit luttait contre cette idée : les plus hautes autorités de cette religion, ses grands prêtres, ses scribes, et ses anciens, tous avaient condamné à mort le Nazaréen ! Je sentais tout au fond de moi que c’eût été abandonner et trahir Jésus que d’accourir à leur temple, cet éblouissant abattoir, pour les supplier de m’y accueillir. Mieux valait rester doux et humble de cœur plutôt que me faire circoncire sous de faux prétextes, dans le seul but de me faire admettre dans la compagnie des disciples qui ne m’acceptaient point tel que j’étais.

Marie avait séché ses larmes et m’observait avec attention. Myrina de son côté me contemplait d’un air éperdu. La comparant avec la bavarde fille d’Israël, je n’eus que tendresse pour elle et compris que je la préférerai toute ma vie.

— Il n’est point nécessaire que tu te sacrifies pour moi, ô Marie ! dis-je d’une voix décidée après avoir repris mes esprits. Te séparer de la nation élue de Dieu ne pourrait te mener qu’à ta perte, car je suis un païen immonde. Souviens-toi d’autre part que c’est moi qui, monté sur mon âne, ai conduit le garçon à la jambe cassée sur la montagne. Tu ne peux faillir à la promesse que tu lui as faite ! Je me verrai donc dans l’obligation de me séparer de toi, non sans te laisser cependant un présent de noces tel que tu ne te trouveras point dans une dépendance totale vis-à-vis de ton époux.

Ce discours parut la persuader. Elle se contenta de répliquer sans plus verser de larmes :

— On ne récolte en ce monde qu’ingratitude et je commence à croire que les Romains sont des chiens ! Mais, lorsque tu seras mollement étendu sur des coussins, bien à l’abri de rideaux ruisselants de parfums, aie une pensée pour moi, souviens-toi alors que ces mains faites pour la caresse tournent la pierre du moulin et que la fumée fait larmoyer mes yeux tandis que je m’échine à cuire des pains.

Mais elle ne réussit guère à m’attendrir pour la simple raison que je ne la croyais point ! J’imaginais, au contraire, qu’elle ferait travailler son époux comme un esclave et que plus tard, devenue vieille, elle serait la terreur de ses gendres et de ses brus. Quoique, naturellement, je pusse me tromper dans mes prévisions ! Elle fit vraiment tout ce qui était en son pouvoir pour me faire sortir de mes gonds, mais elle finit par m’octroyer son pardon.

— Je devrais en toute justice te cracher au visage, conclut-elle. Hélas ! Je suis forcée d’accepter ton cadeau de noces afin de me présenter avec dignité devant les parents de mon époux ! Encore qu’il ne s’agisse nullement d’un cadeau, mais bien d’une dette dont tu t’acquittes après avoir violé toutes tes promesses !

Bien que dévoré de l’envie de lui demander quand je lui avais promis quelque chose, je gardai le silence prudemment ! Tandis que nous discutions de la sorte, les clients de l’auberge étaient peu à peu sortis pour reprendre leur voyage et Marie de Magdala vint nous retrouver, le visage plein de lumière.

— À quoi bon discuter ? dit-elle. Venez dehors et contemplez la brillante beauté de son monde baigné de soleil ! Son royaume se trouve sur la terre ! Je n’ai plus de rancune en moi, même pas pour Pierre ! J’ai rêvé cette nuit et compris que la grâce est descendue sur le monde : des colombes blanches venant du ciel se sont posées sur la tête de deux hommes ainsi que sur toi, ô Romain. Je n’ai point qualité pour repousser qui que ce soit, car nous serons jugés à l’aune d’une si grande charité que nul, quel que soit son mérite, ne demeurera les mains vides. Un père peut infliger un châtiment à son fils désobéissant mais jamais ne l’abandonnera totalement. C’est pourquoi je ne fais point de distinction entre les Romains et les Hébreux, car tous les êtres humains sous la voûte céleste sont désormais frères et sœurs ; je ne rejette même pas les Samaritains, bien que le sorcier qui faisait de moi son esclave en utilisant les démons dont j’étais possédée, fût natif de Samarie.

Marie de Magdala me prit dans ses bras et me baisa sur les joues ; une force enivrante semblait émaner de sa personne et tout s’illumina devant mes yeux, j’aurais voulu sauter et rire tel un petit enfant. Elle donna une accolade à Myrina également puis, étreignant tendrement Marie de Beerot, lui donna le doux nom de fille. Une grande allégresse s’empara de nous tous et nous quittâmes l’hôtellerie sans songer à boire ni à manger tant le royaume nous avait rassasiés. En vérité, nous cheminions ce jour-là par le royaume, même si nous nous trouvions encore sur la terre.

Nous atteignîmes l’après-midi la mer de Galilée et la maison de la Magdaléenne. Ses serviteurs accoururent pour la saluer car elle était partie avec la seule Marie de Beerot sans avertir personne, et ils avaient attendu tout ce temps en redoutant que les démons ne se fussent emparés de leur maîtresse une nouvelle fois.

— Prenez des vêtements neufs et apprêtez une grande fête pour cette nuit ! enjoignit-elle. Faites tout pour le mieux ! Nous vivons des jours de joie et de félicité car Jésus de Nazareth, ressuscité des morts, est apparu aux siens ! Ils sont plus de cinq cents ceux qui peuvent en rendre témoignage ! Rendez-vous donc à Magdala et conviez tous ceux qui voudront venir ! Mais n’invitez point les Pharisiens, ni les chefs de la synagogue, pas plus que les anciens ni les riches ! Invitez les pauvres et les misérables, les publicains et les collecteurs d’impôts et même les étrangers ! Dites à tous : « Marie la Magdaléenne n’appelle aujourd’hui à sa fête que les pécheurs. Elle n’invite point les justes à l’image du Seigneur qui reçut les pécheurs, car nul n’était immonde à ses yeux. Il a porté la rémission des péchés sur la terre ! »

Ainsi parla-t-elle à ses serviteurs sous l’emprise de l’extase et eux, tout en secouant la tête, obéirent à ses ordres. Elle m’appela à l’écart et, me regardant avec tendresse dans les yeux, posa ses mains sur mes épaules, en disant :

— L’heure est venue de notre séparation. Sache que moi au moins je te reconnais pour un fils du royaume, même si les autres te chassent. Tu auras encore de mauvais jours, car nul ne peut éviter le péché. Ne laisse point ton cœur s’endurcir en toi, ne fais pas étalage de ta piété devant les hommes et ne profère point de promesses exagérées. Confesse le péché même si tu y succombes, ce que tu ne pourras éviter, et ne cherche pas de vaines excuses dans le fait que tu n’es guère pire que les autres puisqu’ils succombent également. Mais si tu souffres pour Jésus lorsque tu commets une faute, si cela t’emplit de désespoir au lieu de te donner de la joie, alors tu seras prêt pour la conversion. Il n’existe d’ailleurs de péché si terrible que Jésus ne le puisse pardonner si tu le pries en te repentant du fond du cœur. Je suis convaincue que nul ne s’éloigne de lui qui ne soit en mesure de trouver le chemin qui le ramène à lui, tant sa miséricorde est infinie. Cependant, tu éviteras nombre de maux en suivant le chemin du royaume. Et maintenant, je vais te révéler un mystère qui me fut éclairé en songe : le chemin est le royaume.

Ses yeux brillants de larmes fixés sur les miens, elle poursuivit :

— Telle est la doctrine de Marie la Magdaléenne, une doctrine qui a sans doute mûri en moi tandis que je l’écoutais, assise à ses pieds. Après tout ce qui est advenu, chacun parlera de lui à sa manière, chacun selon son propre jugement ; le mien n’est certes pas plus juste que celui des autres, mais je ne crois pas non plus me tromper davantage.

Elle parla encore :

— Ils m’ont ordonné de me taire parce que je suis une femme, je resterai donc désormais humblement silencieuse en leur présence. Mais je te confierai à toi que Jésus, qui s’est fait homme, accepta la souffrance de son corps pour sauver le monde. Il savait ce qui allait arriver et l’annonça clairement à maintes reprises : il voulait s’offrir en sacrifice pour tous et fonder ainsi la nouvelle alliance, effaçant les péchés du monde entier comme fils de l’homme et fils de Dieu à la fois. Il a rempli mon âme d’allégresse.