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Claudia Procula poursuivit néanmoins sur un ton narquois :

— Je crois qu’elle ferait vaguement penser à Tullia si elle en possédait les yeux sombres et brillants, le nez à l’arête fine, les cheveux de jais et la bouche pleine !

Je ne saurais dire si son seul propos était de blesser Myrina. Il me semble cependant qu’elle se demandait sérieusement ce qui lui rappelait ta personne, ô Tullia, dans cette jeune Grecque qui n’a rien de commun avec toi, je te l’assure !

— Laisse ma sœur en paix, répliquai-je avec colère. Elle sait qu’elle n’est point une beauté et moi je ne veux pas me souvenir de Tullia ! Parlons en grec ! Désires-tu oui ou non savoir ce qui est advenu sur la montagne ?

— Ah oui ! s’écria-t-elle. Que s’est-il donc passé ? As-tu vu Jésus de Nazareth ?

— Nous l’avons vu tous les deux, repris-je. Il a ressuscité des morts. Il est toujours en vie !

Elle me fit alors une question surprenante :

— Comment sais-tu que c’était vraiment Jésus de Nazareth ?

Cette question qui ne m’avait point effleuré l’esprit me décontenança quelques instants, puis je finis par dire :

— C’était lui ! Bien sûr que c’était lui ! Qui cela aurait-il pu être ? Il y avait là-bas plus de cinq cents personnes qui le connaissaient, affirmai-je avec un sourire forcé. D’ailleurs, je l’ai moi-même regardé en face et cela suffit ! Jésus est un homme hors du commun.

Myrina intervint à son tour :

— Un homme ordinaire n’a point son regard !

— Vous l’avez vu la nuit, reprit Claudia, nous examinant tous deux avec intérêt. N’était-ce point une nuit sans lune et très obscure ?

— En effet, la nuit était noire, admis-je. Mais il faisait tout de même suffisamment clair pour le voir, on ne peut le confondre !

— Mais je ne doute pas un instant que ce fût lui et tout le reste ! Cependant d’une part j’ai reçu ici à plusieurs reprises le médecin de la cour qui me soignait et d’autre part j’ai parlé avec Hérodiade : ils savent que nombre de Galiléens ont cru reconnaître Jésus dans un homme à l’aspect étrange qui se promène par tout le pays. Mais les avis sont partagés à son sujet et nul n’est capable de le décrire avec exactitude. À la cour, on ne croit guère qu’il s’agisse de Jésus ; on pense plutôt qu’il s’agit d’un dément ou d’un possédé qui s’est à dessein blessé aux mains et aux pieds, ou encore que ses disciples, après avoir dérobé le cadavre dans le sépulcre, ont cherché quelqu’un pour tenir son rôle afin de prolonger la comédie.

Remarquant mon regard, elle s’empressa d’ajouter :

— Je ne fais que répéter ce que l’on m’a raconté, je ne dis pas que ce soit là mon opinion ! Il y a tellement de possibilités ! Dans le désert, sur les rives de la mer Morte, les membres d’une secte judaïque vivent dans une maison isolée ; ils prennent leur repas en commun, se baptisent dans l’eau et ils ont atteint un tel degré de sainteté à force de jeûnes, de prières et de chasteté, qu’ils sont véritablement devenus des hommes hors du commun ; on dit que leurs blancs vêtements irradient la lumière dans les ténèbres. Ils entretiennent de secrètes relations non seulement avec Jérusalem mais également avec d’autres pays. Persécutés par Hérode le Grand qui les jugeait extrêmement dangereux, à l’époque de ce souverain ils se réfugièrent à Damas d’où ils sont revenus lors de la mort du Nazaréen.

« On a fort peu d’informations à leur sujet, car ils ne reçoivent personne. On sait néanmoins qu’il existe dans leur ordre différents degrés de sagesse et peut-être les plus sages possèdent-ils réellement des connaissances supérieures à celles du reste des mortels.

« Mon médecin, après en avoir débattu avec d’autres savants, a suggéré hier que cette secte, pour un motif que nous ignorons, a peut-être suivi avec diligence l’activité de Jésus, le protégeant même à son insu. Le fait que deux membres éminents du Sanhédrin aient pris la peine d’ensevelir le crucifié paraît particulièrement suspect ; Marie de Magdala a vu, le matin suivant, une silhouette éblouissante, qu’elle prit pour un ange, gardant le tombeau ; en outre, les disciples de Jésus sont de petites gens qui, en proie à la frayeur, n’ont peut-être point eu le courage de voler le corps, tâche qui, en revanche, ne présentait guère de difficulté pour les sages de la secte en question : ils ont fort bien pu, par des pratiques magiques, rendre la vie au cadavre ou mander l’un des leurs par tout le pays de Galilée, se faisant passer pour Jésus ressuscité.

« Il est difficile de deviner pourquoi ils tiennent tant à ce que le peuple croit à la résurrection du Nazaréen : ou bien ils ont quelque intérêt à voir réduire l’autorité du temple – mais l’on a tendance, comme le soulignait le médecin, à trouver des motifs politiques dans tout lorsque l’on est accoutumé à s’occuper de politique – ou bien des raisons touchant la religion et qu’ils sont les seuls à connaître, motivent leurs agissements. Mais ils sont trop prudents pour poursuivre très longtemps cette mystification. Pour moi, l’histoire a pris fin lorsque cet homme, quel qu’il soit, s’est présenté sur la montagne dans les ténèbres de la nuit devant les adeptes du Nazaréen.

Constatant l’air dubitatif avec lequel j’écoutais son discours, Claudia Procula s’arrêta de parler, agita une fois encore ses mains et affirma :

— Je me contente de te raconter ce que disent les autres, moi, je ne le crois pas. Cela n’implique pas, en tout cas, que les disciples les plus proches se trompent même en pleine nuit, à moins qu’ils ne soient partie prenante dans la mystification. Dis-moi une seule chose : lui as-tu parlé de moi ?

— Je ne puis t’expliquer clairement, murmurai-je plein de trouble, je crois que même si je l’eusse voulu, je n’aurais pu lui parler de toi, car je n’avais plus une seule pensée dans ma tête lorsque je l’ai vu.

À ma grande surprise elle ne m’adressa nul reproche.

— C’est exactement ce que m’a dit Jeanne, déclara-t-elle sur un ton satisfait. Mais elle a ramassé le matin de la terre que Jésus avait foulée aux pieds et me l’a rapportée enveloppée dans un morceau de tissu afin qu’en la touchant ou en me la posant sur le front je guérisse durant la nuit. Mais je n’en ai plus besoin !

Me regardant alors d’un air plein de mystère, elle ajouta :

— Moi aussi, je me suis rendue sur la montagne avec les autres et j’ai guéri !

Mon ébahissement provoqua un rire joyeux.

— Je t’ai pris au piège ! s’écria-t-elle en battant des mains avec bonheur. Assieds-toi près de moi, ô Marcus, et toi aussi, jeune fille. Je ne dis pas que je me trouvais physiquement sur la montagne mais cette nuit-là, j’ai fait un rêve très agréable. Tu sais comme je suis sensible et instable ; dans mes rêves, on me pinçait, me griffait, me tirait les cheveux et je ressentais tout cela comme une réalité, ne pouvant faire un mouvement malgré tous mes efforts jusqu’au moment où recouvrant ma voix, je poussais un cri de terreur qui m’arrachait au sommeil trempée de sueur et si exténuée que je n’osais plus me rendormir de la nuit.

« Nous parlions de la montagne, reprit-elle avec calme. Ce rendez-vous occupant mon esprit, il n’y a pas lieu de s’étonner que moi qui suis si sensible, je m’y sois rendue en songe. L’obscurité était si dense, que je supposai plutôt que je ne vis qu’il y avait autour de moi de nombreuses silhouettes immobiles, attendant à genoux. Je n’éprouvais nulle crainte. Soudain se dressa devant moi un personnage lumineux, mais je n’osai point lever la tête vers lui, non parce que j’avais peur mais parce que j’avais l’intuition que mieux valait ne point contempler son visage. Le personnage me demanda avec une voix pleine de tendresse : « Claudia Procula, m’entends-tu ? » Je répondis : « J’entends ta voix. » Il dit alors : « Je suis Jésus de Nazareth, le roi des Juifs que ton époux a fait crucifier à Jérusalem. » Je répondis : « Oui, tu l’as dit. » Il me dit alors quelques mots au sujet de brebis, mais je n’en saisis point le sens ni même y prêtai grande attention, n’étant guère familiarisée avec l’élevage de moutons. Mais j’eus l’impression que ses yeux étaient lourds de reproche. « Je suis le pasteur, dit-il. Je ne permets point que le voleur tue mes brebis. » Je compris qu’il se référait à Ponce Pilate en parlant de voleur et m’empressai de le rassurer : « Il est probable qu’à présent il ne poursuivra plus tes brebis, et d’ailleurs il ne t’aurait pas tué s’il n’y avait été contraint pour des raisons politiques. » Mais il ne prit garde à mon excuse, je devinai qu’il n’attachait nulle importance à cet aspect de la question et qu’il n’en tenait pas rigueur à mon époux. Il continua toutefois de m’entretenir de brebis, disant : « J’ai d’autres brebis. » Ne sachant que répondre pour être agréable, je suggérai : « Je ne doute point que tu ne sois un bon pasteur. » Ces mots lui plurent manifestement car il répondit aussitôt : « Tu l’as dit, je suis le bon pasteur et le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. » Une forte envie de pleurer s’empara de moi et j’aurais voulu le supplier de m’accepter dans son troupeau, mais n’en eus point le courage ; je sentis seulement qu’il posait sa main sur ma tête et je me réveillai ; en ouvrant les yeux, j’avais toujours la sensation de sa main sur moi. Jamais je n’avais fait un rêve si beau ! Je le fixai dans ma mémoire afin de n’en point oublier de détails, puis me replongeai dans un très long sommeil. Depuis lors, je n’ai plus eu de cauchemar ! Je pense qu’il m’a guérie à condition que Ponce Pilate cesse de persécuter ses adeptes.