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— Plonge en toi-même et demande-toi si j’ai raison ou si j’exagère, conclut-elle. Je ne partagerai plus la chambre avec toi !

Elle sortit en claquant si fort la porte que toute l’hôtellerie en trembla. Peu après, un serviteur vint avec quelque hésitation chercher ses effets, mais je n’y pris garde sachant en outre que l’hôtelier ne ferait aucune difficulté pour lui donner une autre chambre du moment que Claudia Procula l’avait reçue.

Je me sentis en proie à une profonde dépression en me remémorant tout ce que Myrina m’avait dit et je commençai à relater par écrit ce qui m’était arrivé, prenant soin d’écrire sur elle le plus lentement possible en essayant de ne point déverser mon amertume dans le cours du récit. Je demeurai de nombreux jours ainsi absorbé, enfermé dans la chambre aux rideaux tirés, m’y faisant même servir les repas afin de n’avoir point à sortir. Myrina entra une fois pour dire qu’elle allait à Tibériade commander une pierre tombale de style grec pour le sépulcre de son frère. Elle revint une autre fois m’annoncer que Nâtan me cherchait avec mes ânes. Je me bornai à lui répondre que mon seul désir était qu’on me laissât travailler en paix.

Alors, elle ne vint plus me demander la permission de sortir de la station. J’appris plus tard qu’elle s’était rendue à Magdala chez Marie ainsi qu’à Capharnaüm en compagnie de Nâtan.

Je ne savais plus depuis quand j’écrivais, j’avais perdu toute notion du temps, travaillant même la nuit car je n’arrivais plus à trouver le sommeil. Peu à peu cependant ma colère allait s’apaisant et, quand je m’endormais ou que je me réveillais, je pensais maintenant à la jeune fille et à ce qu’elle m’avait dit. J’en vins même à admettre l’idée qu’il était peut-être temps que quelqu’un me parlât en ces termes. Je pouvais certes me montrer parfois doux et humble de cœur, mais mon orgueil bientôt reprenait le dessus, m’insufflant de nouveau le sentiment de ma pureté et de ma supériorité sur tous les autres.

Un matin, alors que je dormais encore, j’entendis Myrina pénétrer dans la chambre ; je sentis qu’elle me regardait, puis qu’elle me caressait doucement les cheveux ; le simple frôlement de sa main me rendit toute ma joie et j’eus honte d’avoir montré un cœur inflexible pendant si longtemps. Voulant voir ce qu’elle allait faire, je me retournai sur ma couche, feignant de me réveiller lentement. Elle s’écarta vivement en me voyant ouvrir les yeux.

— Tu as bien raison d’avoir décidé de te taire, dit-elle sur un ton brusque, et quoi que ce soit que tu racontes sur tes rouleaux, cela t’évitera de dire des bêtises ou de porter préjudice aux autres ! Mais il faut que tu te lèves à présent. Les quarante jours sont écoulés depuis un certain temps déjà et nous devons gagner Jérusalem le plus vite possible. Nâtan est en bas avec les ânes. Rassemble donc ton bagage, règle ta note et suis-moi ! Tu pourras garder ta mauvaise humeur pendant le trajet aussi bien qu’ici dans cette pièce aux rideaux fermés !

— Ô Myrina, murmurai-je, pardonne-moi d’être ce que je suis, et pardonne-moi aussi tout le mal que j’ai pensé de toi pendant que je gardais le silence. Mais qu’ai-je à faire à Jérusalem ? Je ne sais si je dois te permettre de disposer à ta fantaisie de mes allées et venues.

— Nous en parlerons également au cours du voyage, répliqua-t-elle. La fête des Juifs approche et nombreux déjà sont ceux qui se rendent à la Ville sainte. Presse-toi donc !

Son projet ne me surprenait pas outre mesure. J’avais moi-même caressé l’idée, tout en écrivant, de voir s’accomplir le destin des disciples de Jésus qui étaient à Jérusalem. En outre, une promenade imprévue n’était point pour me déplaire car j’étais las d’écrire et de garder le silence.

Regardant Myrina, je ne pus contenir ma joie plus longtemps et la prenant dans mes bras, la serrai contre moi et la baisai sur les joues.

— Tu peux me parler aussi rudement que tu le voudras, m’exclamai-je, car il me semble que tu désires mon bien avant tout. J’ai été submergé de joie lorsque, il y a un instant, tu m’as caressé les cheveux croyant que je dormais encore.

Myrina tenta tout d’abord de me faire croire que j’avais rêvé, mais elle s’attendrit et me rendit mon baiser.

— J’ai été cruelle avec toi ce jour-là, mais il fallait que je te parle une fois pour toutes, reconnut-elle. Tu me plais tel que tu es, mais tu dois savoir toi-même qui tu es et ne point t’imaginer supérieur. Je ne voudrais pas que tu changes et je ne t’aurais jamais parlé si crûment si je ne t’aimais pas autant. Quant à tes allées et venues, tu peux en décider toi-même à condition de partir avec moi immédiatement pour Jérusalem.

— Je brûle du désir de m’y rendre ! m’empressai-je d’affirmer. Je me doute que tout n’est pas encore fini ! Où donc pourrais-je aller ? Je n’ai point de foyer et suis devenu si étranger sur cette terre que tous les pays me sont indifférents.

Myrina me toucha légèrement le front et la poitrine de sa main.

— Moi aussi je me sens étrangère sur la terre, dit-elle. Son royaume est mon unique foyer en dépit du peu que j’en connais. Parce que Jésus t’a confié à moi, je veux être la force dans ta faiblesse, ton amie, ta sœur et tout ce que tu voudras ainsi que ton foyer pour le meilleur et pour le pire.

À mon tour, j’effleurai son front et sa poitrine puis lui donnai un autre baiser. Elle m’aida ensuite à faire rapidement mes paquets et je m’habillai pour le voyage. Au moment de régler ma note, je fus très surpris de la somme considérable exigée par l’hôtelier ; tout l’argent en ma possession n’aurait point suffi à m’acquitter si Myrina, venant à mon secours, ne m’eût signalé ses erreurs. Je me réjouis en trouvant Nâtan dans la cour accompagné de nos ânes familiers et, sans perdre de temps en compliments inutiles, nous nous mîmes en route.

Je ne m’attarderai point sur le voyage, nous traversâmes la Samarie afin d’éviter la chaleur de la vallée du Jourdain et les pèlerins galiléens qui se rendaient en grand nombre à la fête des pains. Nous atteignîmes la ville du côté de Sichée deux jours avant la Pentecôte. En revoyant la ville et son temple, et la colline du supplice, je fus pris d’un tremblement si violent que je faillis tomber de mon âne. Je sautai à terre sans pour autant cesser de trembler au point que je crus avoir attrapé les fièvres. Le monde me parut s’emplir de ténèbres, je me mis à claquer des dents, ne pouvant parler sans bégayer, et il me sembla qu’un énorme nuage chargé d’éclairs pesait au-dessus de ma tête, alors qu’en réalité le ciel était absolument serein.

Cet accès se dissipa rapidement et Myrina, me posant la main sur le front, déclara que je n’avais rien. Mais je n’osai plus monter sur mon âne et continuai le chemin à pied. Nous entrâmes dans la cité par la nauséabonde porte des Poissons ; les légionnaires nous laissèrent passer sans encombre quand ils virent l’épée accrochée à mon côté et qu’on leur eut dit que j’étais citoyen romain ; de véritables torrents humains déferlaient vers la cité et ils ne pouvaient soumettre tout le monde à leur contrôle.

Le marchand syrien Carantès manifesta une grande joie en me saluant et je ressentis moi-même un véritable plaisir à retrouver sa face rougeaude et ses yeux pleins de malice. Devant Myrina, il ouvrit et ferma ses paupières à plusieurs reprises avant de dire :

— Franchement, les rigueurs du voyage t’ont fait considérablement maigrir, ô Marie de Beerot ! Tu as changé la couleur de tes cheveux et de tes yeux et ton nez s’est aplati. En vérité, la Galilée est le pays des sorciers et je vais finir par croire tout ce que l’on en dit !

Je pense qu’il lança cette plaisanterie pour se moquer de moi, mais Myrina n’apprécia guère son humour.