— Est-ce là ce que Jésus de Nazareth leur avait promis ? demandai-je. Est-ce enfin la promesse dont ils attendaient l’accomplissement ?
La Magdaléenne remua la tête disant :
— Tu te rends compte que sans plus se cacher Pierre accompagné des Onze déclare ouvertement devant le peuple assemblé qu’il est le successeur du Christ ? Qui d’autre que l’Esprit saint eût pu lui donner une telle assurance ?
— Mais il ne s’adresse toujours qu’au seul peuple hébreu ! me lamentai-je tel un enfant auquel on vient d’arracher son jouet.
Et, comme pour mieux m’en convaincre, Pierre proclama en ce même instant :
— Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude : Dieu l’a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous, vous avez crucifié !
Oubliant ma propre personne, je me dressai sur les coudes et criai, saisi de frayeur pour eux :
— Le peuple va se jeter sur eux et les lapider !
Mais au contraire, la foule demeura silencieuse et immobile comme si l’accusation de Pierre lui eût transpercé le cœur. Des voix timides s’élevèrent peu après qui demandaient aux apôtres :
— Frères, que devons-nous faire ?
Alors Pierre répondit d’une voix si forte que l’on dut l’ouïr dans tout Jérusalem :
— Repentez-vous et que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus-Christ pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez alors le don du Saint-Esprit. Car c’est pour vous qu’est la promesse ainsi que pour vos enfants et pour tous ceux qui sont au loin, en aussi grand nombre que le Seigneur notre Dieu les appellera.
Ainsi proclamait-il à grands cris le secret du royaume tandis que, baissant la tête, je comprenais que même mû par la force de l’Esprit saint, il n’appelait à lui pour leur faire don de la promesse que les fils d’Israël et les circoncis qui respectent la loi et adorent leur dieu éparpillés dans le monde. Mon dernier espoir s’évanouit à ce discours, si tant est que j’eusse conservé au fond de moi celui de faire partie un jour de leur communauté. Pierre, en tout cas, jamais ne pourrait faire que je ne connaisse point Jésus et sa résurrection.
— C’est un homme lent et obstiné, mais sa foi est aussi inébranlable qu’une montagne, me consola Marie en voyant ma tristesse. Sois assuré qu’il grandira à la mesure de sa tâche. Il vient de parler de la fin du monde en citant le prophète Joël mais je ne crois point que nous en soyons proches. Jésus, en les quittant au mont des Oliviers, leur a dit qu’il ne leur appartenait pas de connaître les temps et moments que le Père a fixés de sa seule autorité. Pendant quarante jours, il leur est apparu et les a entretenus du royaume mais ils ont compris si peu de choses qu’ils insistaient encore juste avant que la nuée le fît disparaître, demandant : « Seigneur, est-ce en ce temps-ci que tu vas restaurer la royauté en Israël ? » Ainsi, ô Marcus, tu ne dois pas perdre tout espoir !
J’ignorais tout de ce qu’elle racontait et je m’empressai de l’interroger encore avec curiosité :
— Ne cachent-ils plus aux femmes ce qui arrive ? De quelle nuée parlais-tu ?
— Ils ne gardent plus aucun secret, confirma-t-elle avec satisfaction. Ils ont révélé sur la montagne le mystère de l’incarnation dans le pain et le vin ; maintenant les fidèles sont au nombre de cent vingt ! Le quarantième jour, Jésus les accompagna au mont des Oliviers, près de Béthanie, et leur enjoignit de ne pas quitter Jérusalem mais d’y attendre l’accomplissement de la promesse qu’il leur avait faite. « Jean, lui, a baptisé avec de l’eau » dit-il, « mais vous, c’est dans l’Esprit saint que vous serez baptisés sous peu de jours. » Et ce baptême, nul doute qu’ils ne viennent de le recevoir aujourd’hui car la force est en eux.
« Je ne sais rien de la nuée sinon que sur le mont des Oliviers, ils virent Jésus s’élever dans les airs jusqu’à ce qu’une nuée vînt le soustraire à leurs regards, leur faisant comprendre que dès lors Jésus ne leur apparaîtrait plus.
« Il n’est point dans mon intention de discuter avec eux, mais je me réserve le droit de sourire quand je vois leurs lentes tentatives maladroites pour exprimer ce que déjà mon cœur reconnaissait comme une vérité du temps où le maître était avec nous !
Tandis qu’elle parlait, je contemplai les arbres de la cour, brillants de leurs feuilles argentées, l’escalier menant à la salle haute et la lourde porte de bois afin de les graver à tout jamais dans ma mémoire. Du fond de mon abattement, je me sentais redevenir doux et humble de cœur, et songeai qu’il me suffisait d’être admis à contempler ce lieu où le royaume s’était fait réalité.
Mes genoux se dérobèrent sous moi lorsque je voulus me redresser.
— Il faut que je quitte ces lieux ! Je n’ai nul désir de provoquer des discussions ni de déranger les justes. La force m’a jeté à terre, ils y verraient la preuve que l’on m’a repoussé des portes du royaume.
J’aurais aimé donner ma bénédiction à la Magdaléenne et la remercier de sa bonté, mais je me sentis bien trop insignifiant pour me risquer à bénir qui que ce soit ! Elle dut lire mon désarroi sur mon visage, car, me touchant le front, elle dit :
— N’oublie jamais que tu as aidé une des femmes perdues d’Israël à rentrer dans son sein ! Marie de Beerot a célébré ses noces dans l’allégresse et déjà rejoint son nouveau foyer. Nul d’entre eux n’en eût fait autant pour elle ! Il y a également chez les femmes, Suzanne qui chaque jour bénit ton amitié, souviens-toi, où que tu sois, que certains parmi nous prient pour toi en secret bien que tu sois étranger.
— Non, non ! Tout ce que j’ai fait était égoïste et impur ! Aucune de mes actions n’a réellement été méritoire ! Il n’y a rien de bon en moi si ce n’est de savoir que Jésus est le Christ et le fils de Dieu, mais je ne puis guère en tirer gloire car je l’ai vu de mes propres yeux.
— Marcus n’a d’autre mérite que sa faiblesse, intervint Myrina. Peut-être, lorsque le royaume s’étendra jusqu’au bout de la terre, deviendra-t-elle sa force ! En attendant, je veux être sa consolation et il ne souffrira jamais de la soif en cette vie : j’ai en moi une source d’eau vive d’où jaillit assez d’eau pour qu’il s’y puisse désaltérer aussi.
Je voyais à présent Myrina d’un œil neuf. L’état d’abattement physique dans lequel je me trouvais me faisait voir les êtres d’une manière trompeuse : ainsi je la voyais entourée d’une lumineuse splendeur, telle un ange, de telle sorte que je ne la considérai plus comme une mortelle mais comme un ange tutélaire revêtu d’une enveloppe charnelle et envoyé vers moi pour me maintenir dans le chemin. Pensée étrange puisque je connaissais parfaitement son passé, l’ayant rencontrée sur le bateau de Joppé !
Myrina, me prenant par le bras, me fit sortir de la maison, parmi la foule dont la voix inquiète emplissait l’espace. Ils étaient à chaque instant plus nombreux ceux qui demandaient avec angoisse ce qu’ils devaient faire ; certains avaient gratté leurs vêtements dans l’espoir que leurs fautes leurs fussent pardonnées. Prenant la tête de ses compagnons, Pierre se mit à dévaler les ruelles de la cité et sortit suivi de la multitude innombrable. Il s’arrêta près de l’étang où il commença avec les Onze à baptiser au nom de Jésus-Christ tous ceux qui voulaient faire pénitence et obtenir la rémission de leurs péchés. Myrina, préoccupée à cause de moi, accepta toutefois de marcher derrière la foule pour voir la suite des événements.
Ainsi donc, hors des murailles de Jérusalem, je pus contempler les Douze : ils baptisaient dans l’étang tous les fils d’Israël qui venaient à eux et, leur imposant les mains sur la tête, leur remettaient leurs fautes. On eût dit que plus nombreux ils recevaient le baptême, plus la foule éclatait d’allégresse et se pressait autour des apôtres ; maintes femmes furent également baptisées ; de toutes parts s’élevaient des psaumes joyeux d’Israël et les hommes s’embrassaient ; certains parlaient des langues étrangères, d’autres frappaient leurs pieds en cadence sur le sol, le visage resplendissant et les yeux extatiques. Cela dura jusqu’au coucher du soleil. Plus tard j’appris que les apôtres avaient baptisé ce jour-là trois mille personnes.