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Ils acceptaient tous les Juifs sans marquer de différence, riches, pauvres, boiteux, mendiants et même esclaves : leur force inépuisable se déployait sur tous ! La tristesse alors envahit mon cœur et je regagnai la maison avant la nuit, pensant comme il était facile pour les fils d’Israël de voir leurs fautes pardonnées, même pour ceux qui avaient crié devant Ponce Pilate : « Crucifie-le ! Crucifie-le ! » car ils étaient nombreux ceux-là qui, pleins de terreur, se repentaient à présent.

Peut-être qu’en ce jour d’excitation, il m’eût été possible de me glisser parmi eux afin de recevoir le baptême ; mais je ne voulais point tromper les messagers et un baptême reçu dans ces conditions n’eût revêtu aucune valeur à mes propres yeux, même si par inadvertance, ils m’eussent imposé les mains. Qui sait si l’Esprit saint, reconnaissant en moi un Romain, ne m’eût point repoussé ? Je ne puis répondre à cette question, n’ayant point essayé de tromper les disciples.

Le lendemain, j’étais encore plongé dans la même incertitude tandis que Myrina brillait comme un ange en vaquant à ses occupations dans notre chambre chez le Syrien. Elle m’examina, s’apercevant que quelque chose en moi avait changé pendant que je gisais sans connaissance dans la cour de la maison. J’étais plus dépouillé, plus détaché de la vanité des choses.

Quelques jours plus tard, le propriétaire Carantès monta dans la chambre.

— Tu ne m’as toujours rien raconté sur ton voyage en Galilée ? dit-il après m’avoir jeté un regard aigu. Qu’est-ce qui te rend si taciturne ? Tu sais déjà, je suppose, que des miracles ont lieu ici aussi de nouveau à cause du Nazaréen crucifié auquel tu t’étais intéressé. Ses disciples sont revenus et prétendent que leur rabbin leur a légué une force magique ; ils pervertissent les gens et l’on voit des pères abandonner leurs enfants et des fils se séparer de leurs pères pour se joindre à eux ! Maintes personnes même se défont de leurs biens ce qui prouve bien qu’il s’agit là de pratiques dangereuses ! Ils blasphèment chaque jour dans le portique du temple sans souci du Sanhédrin ; ils mettent tout en commun et se réunissent dans des maisons où ils célèbrent des cérémonies secrètes de caractère fort suspect. Il y a même des fils d’Israël, tout à fait honorables et dont on n’eût jamais attendu chose pareille, qui se sont laissé contaminer par le Nazaréen et le reconnaissent pour roi des Juifs !

Que pouvais-je dire et qui étais-je pour m’instaurer son maître ? Rien ne l’empêchait d’aller écouter les Douze ! Ni Myrina, ni moi nous n’ouvrîmes la bouche.

— Que s’est-il passé ? demanda-t-il en secouant la tête avec tristesse. À quoi veux-tu en venir en restant jour après jour ainsi immobile dans ta chambre et les yeux grands ouverts ?

Je réfléchis à cette question et un sourire plein de mélancolie me monta aux lèvres.

— Peut-être vais-je suivre ton conseil, répondis-je. Je bâtirai une maison et planterai des arbres. C’est un moyen aussi bon qu’un autre pour attendre dans la paix ! Et j’ajoutai avec un soupir : « Du moment que je veille à ce que mon cœur ne s’attache exagérément à rien de ce monde et que je reste prêt à tout quitter sans regret le moment venu ! »

— Chacun d’entre nous devra tout quitter le moment venu ! soupira Carantès plein de sagesse. Mais que ce moment soit encore bien loin de nous ! Puis, après réflexion, il demanda timidement : « On dit que ces sorciers de Galiléens ont en leur possession la potion de l’immortalité ? »

Je ne me risquai point à lui répondre sur ce sujet non plus, pensant qu’il était en mesure de se renseigner directement auprès des adeptes de Jésus.

— Tu as changé, ô Marcus le Romain, tu n’es plus le même que lorsque tu t’en fus en Galilée, soupira-t-il en se redressant. J’ignore si tu es meilleur ou pire qu’avant, mais en tout cas tu me fais soupirer moi aussi ! Tout ce que je sais, c’est que Myrina que tu as ramenée de là-bas est une fille silencieuse auprès de laquelle on se sent bien ; depuis son arrivée sous mon toit, mes affaires marchent et ma femme ne me frappe plus avec sa sandale plusieurs fois le jour ! Elle ne serait pas laide, si elle grossissait un petit peu !

Je ris malgré moi.

— Ne te mêle pas de la grosseur ou de la maigreur de Myrina ! rétorquai-je. Pour moi elle est belle telle qu’elle est, et je crois que même lorsque ses cheveux seront devenus blancs et qu’elle n’aura plus de dents, elle demeurera belle, en admettant que nous vivions jusque-là !

Carantès prit alors congé, satisfait d’avoir réussi à me faire rire. En y songeant, je me rendis compte que Myrina en effet me paraissait plus belle de jour en jour. Ayant quitté sa vie nomade de comédienne et mangé tous les jours à sa faim, elle avait un peu grossi et ses joues moins hâves lui seyaient mieux. Une vague de tendresse me submergea en y réfléchissant : voilà qui démontrait qu’elle n’était point un ange mais bien une femme parmi les autres êtres humains.

Elle était allée au temple : dans la cour, en effet, deux ou trois apôtres venaient y prêcher chaque jour les baptisés et les curieux, annonçant la résurrection et rendant témoignage que Jésus était le Christ.

Plein d’entrain, je m’habillai et me coiffai pour me rendre chez Aristhènes mon banquier dans le but de préparer mon départ de Jérusalem. Il me reçut d’une manière fort courtoise et se lança dès mon arrivée dans un discours animé.

— Ah ! Je vois que les bains de Tibériade t’ont convenu à merveille ! dit-il. Tu n’es plus dans l’état de surexcitation d’autrefois et tu ressembles de nouveau à un Romain ! Je m’en réjouis et je vais maintenant te révéler une chose, si par hasard tu ne le sais déjà : les Galiléens sont revenus ici et provoquent de grands désordres. Ils proclament ouvertement la résurrection de Jésus de Nazareth, mais l’on sait parfaitement à quoi s’en tenir dans les milieux bien informés ; en interprétant les Écritures à leur fantaisie, ils affirment que ce Jésus est le Messie et prétendent qu’il leur a conféré le pouvoir de pardonner les péchés. Personnellement je respecte les textes sacrés mais, étant saducéen, je n’accepte ni la tradition orale ni l’interprétation tout à fait insupportable qu’en donnent les Pharisiens, et les discussions sans fin au sujet de la résurrection que ces derniers arrivent à admettre sont à mes yeux dénuées de sens.

« Quand je pense que l’on accuse les Juifs d’intolérance ! Je vois au contraire une preuve évidente de tolérance dans le fait que nous acceptons que s’expriment les différentes sectes ! Jamais le Nazaréen n’aurait été crucifié s’il n’avait pas blasphémé ! Le blasphème est la seule chose que nous ne tolérions pas ! Hélas une dissension semble se faire jour parmi nous et à son sujet ! Le temps dira si nous pouvons laisser ce schisme prendre de l’ampleur ou si nous devons le combattre.

« Ils baptisent leurs adeptes, mais cela n’est pas une nouveauté et nous n’avons jamais considéré le baptême comme un délit ; ils prétendent guérir les malades, ce que faisait également leur maître sans que nul ne songe à le poursuivre ! La seule restriction à ce sujet fut émise par les Pharisiens qui jugeaient illégal l’accomplissement de miracles le jour du sabbat. Ce qui me paraît être le point le plus dangereux de leur doctrine est cette pratique de la communauté des biens : des hommes, jusqu’à ce jour réputés pour leur bon sens, vendent leurs champs pour aller déposer leur argent aux pieds des disciples ! Et qu’en font ces derniers ? Ils le distribuent à chacun selon ses besoins si bien qu’il n’existe plus ni pauvres ni riches parmi eux ! Les membres du gouvernement se trouvent à l’heure actuelle pris de court, car nous avions tous cru que les choses se calmeraient d’elles-mêmes une fois le Nazaréen crucifié ; nous n’avons nulle intention de poursuivre qui que ce soit, mais néanmoins le courage de ces Galiléens ne laisse pas de nous étonner ; à moins qu’ils ne sachent que Ponce Pilate interdit de les toucher, c’est ce que pense le Grand Conseil. Encore l’insupportable politique de Rome ! Ne prends point ombrage de ma sincérité, tu connais à présent nos coutumes et nous sommes entre amis ! C’est maintenant que le procurateur pourra vraiment se laver les mains en se moquant de nous : « Vous le constatez vous-mêmes, la dernière imposture est pire que la première ! » Le peuple, crédule, va se mettre de son côté et, si l’on commet l’imprudence de le persécuter, redoublera de foi à l’égard des pêcheurs de la Galilée !