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— « Et ne me laisse pas tomber dans la tentation mais délivre-moi du mal. Au nom de ton royaume ! »

C’était tout ce que je pouvais faire !

Aussitôt, l’escalier se mit à craquer et je reconnus le pas de Myrina. Elle ouvrit la porte et pénétra rapidement dans la pièce, les mains levées, comme si elle apportait une grande nouvelle.

— Pierre et Jean ! s’écria-t-elle. Pierre et Jean…

Mais en voyant mon expression elle laissa tomber ses mains. Son visage perdit son éclat et elle me parut laide tout à coup.

— Ne me parle plus de ces hommes, dis-je avec colère. Je ne veux rien savoir à leur sujet !

Myrina, surprise, fit un pas vers moi mais n’osa pas me toucher. Je me reculai et m’appuyai contre la cloison pour éviter qu’elle s’approchât davantage de moi.

— Ils viennent de guérir un pauvre impotent de naissance près de la porte corinthienne du temple, balbutia Myrina, mais les paroles s’éteignirent sur ses lèvres et elle leva vers moi un regard désolé.

— Et quoi ? hurlai-je. Je ne doute pas de leur pouvoir ! Mais en quoi cela me regarde-t-il ? J’ai vu assez de miracles, ils ne m’étonnent plus !

— Pierre l’a pris par la main et l’a relevé, raconta Myrina en bégayant. À l’instant, ses pieds et ses chevilles s’affermirent ; tout le peuple courut plein d’excitation au portique de Salomon, où cet homme guéri sautait en chantant les louanges de Dieu ; les gens lui touchaient les pieds pour bien se convaincre, tandis que Pierre prêchait la rémission des péchés.

— Quel spectacle réjouissant pour les Juifs !

La jeune fille, hors d’elle, me saisit les bras avec ses deux mains et se mit à me secouer violemment.

— Qu’as-tu, ô Marcus ? Qu’est-il arrivé ? me demanda-t-elle, les yeux pleins de larmes.

— Oh ! Tu peux pleurer, Myrina ! dis-je, le cœur endurci. Et ce ne seront pas les seules larmes que tu verseras sur moi, j’en suis certain !

Elle me lâcha, essuya ses yeux d’un geste vif et redressa la tête. La colère empourpra ses joues et elle frappa du pied en m’ordonnant :

— Parle clairement ! Que s’est-il passé ?

Froidement, je contemplais avec ironie les traits qui ce matin encore m’avaient paru si chers, en essayant de comprendre ce que j’avais cru voir en cette fille. À travers elle, je revis les yeux brillants de Tullia et ses joues dévorées de plaisirs.

— J’ai reçu une lettre de Tullia, dis-je en lui montrant le rouleau. Elle m’attend à Alexandrie !

Myrina me regarda longuement. On aurait dit que son visage se rétrécissait et que ses joues se creusaient encore davantage ; puis elle s’agenouilla par terre et enfouit sa tête dans ses mains ; je crois qu’elle priait mais je ne vis pas le mouvement de ses lèvres. Je me sentais comme meurtri, incapable de penser quoi que ce fût ; les yeux posés sur ses cheveux dorés, il me vint soudain à l’esprit qu’il suffirait d’un coup d’épée pour faire tomber la tête de cette fille et m’en délivrer à jamais. Mais cette idée me parut si absurde que j’éclatai de rire.

Enfin Myrina se leva et, sans me regarder, se mit en devoir de rassembler ce qui m’appartenait et de préparer mes effets. Surpris puis effrayé, je ne pus m’empêcher de l’interroger.

— Que fais-tu ? Pourquoi ramasses-tu mes vêtements ?

La jeune fille compta sur ses doigts en murmurant, comme pour rafraîchir sa mémoire :

— Il faut encore laver ta tunique et ton manteau de voyage !

Puis elle ajouta :

— À ce que je vois, tu as l’intention de partir en voyage ! Tu penses rejoindre ta Tullia ! Je m’occuperai donc de tes bagages, laisse-moi faire !

— Qui t’a dit que je voulais partir ? m’exclamai-je en proie à l’inquiétude. Puis, la saisissant par les poignets je l’obligeai à abandonner sa tâche : « Je n’ai rien dit de semblable ! Je t’ai parlé pour que nous décidions entre nous de ce qu’il convient de faire ! »

Mais Myrina secoua la tête.

— Non ! Non, répondit-elle, tu as déjà pris ta résolution au fond de ton cœur et si j’y mettais un obstacle, je ne ferais qu’irriter ta rancœur contre moi. Il est vrai que tu es un être faible et que peut-être, en invoquant le royaume, je pourrais te faire rester mais tu ne me le pardonnerais jamais ! Tu te consumerais à l’idée que tu aurais sacrifié pour moi ton irremplaçable Tullia ! C’est pourquoi, il vaut mieux que tu la rejoignes : tu ne peux la laisser toute seule si elle t’attend !

Je n’en croyais pas mes oreilles ! J’avais l’impression que la jeune fille se défaisait de moi et que je perdais la seule personne au monde capable de me protéger.

— Mais… balbutiai-je, mais…

Et plus un mot ne put franchir mes lèvres.

Myrina finit par me prendre en pitié et murmura :

— Je ne peux rien pour toi dans cette affaire. Tu dois faire toi-même ton choix et en répondre tout seul.

Puis elle me regarda avec un triste sourire avant d’ajouter :

— Je vais t’aider cependant à prendre une décision : tu peux aller retrouver ta Tullia pour qu’elle t’embrase, te pique avec des aiguilles de feu et te détruise. Tu m’en as assez dit sur elle pour que je puisse imaginer comme elle est ! De mon côté, je te suivrai et, le moment venu, recueillerai ce qui restera de toi lorsqu’elle t’aura abandonné. Ne crains pas de me perdre, Jésus de Nazareth t’a confié à mes soins ! Va-t’en, si la tentation est si forte que tu ne puisses y résister. Il te pardonnera comme je te pardonne au plus profond de mon cœur qui te connaît si bien !

Tandis qu’elle parlait avec tant de douceur, l’idée de me retrouver près de Tullia me devenait de plus en plus insupportable et toutes les humiliations, toutes les souffrances dont elle m’abreuverait pour pimenter son plaisir assaillaient ma mémoire.

— Tais-toi, ô folle Myrina ! coupai-je. Veux-tu faire de moi la victime d’une femme cruelle et assoiffée de jouissances ? En vérité, ce n’est pas ce que j’attendais de toi ! Ne devrais-tu pas plutôt me réconforter et m’aider à résister à ma faiblesse ? Je ne te reconnais pas ! Comment peux-tu me traiter ainsi ?

Et je poursuivis, en proie à l’irritation :

— Malgré ce que tu dis, je n’avais pas du tout décidé en mon cœur de partir la rejoindre et j’attendais un conseil de ta part ! Et je n’ai pas non plus l’intention de me rendre à Alexandrie ! L’unique chose qui me préoccupe, c’est comment le lui faire savoir ! Peut-être me faudrait-il lui écrire un mot ? Sinon elle va croire que je me suis perdu au cours de mon voyage !

— Quelle peine ! murmura Myrina. À moins qu’il ne soit nécessaire, pour satisfaire ta virilité, de l’humilier en lui écrivant que tout est fini entre vous ?

— Tullia m’a bien humilié plus de mille fois ! répliquai-je avec aigreur.

— Et tu rendrais le mal pour le mal ? interrogea-t-elle.

Il vaut mieux qu’elle croie que tu t’es perdu sans laisser de trace, car ainsi tu n’offenseras point la femme en elle. Elle a sans doute d’autres amis pour la consoler bientôt !

Je me sentis blessé tant elle avait raison ! Mais ma douleur à présent n’était plus que celle que l’on ressent lorsque l’on passe sa langue à l’endroit où l’on vient d’arracher une dent malade. Une soudaine sensation de liberté s’empara de mon être comme si je relevais enfin d’une longue maladie.

— Ô Myrina, je viens, grâce à toi, de me rendre compte à quel point la seule idée de te perdre m’est insupportable ! Tu n’es pour moi qu’une sœur, mais j’ai bien peur, ô Myrina, de t’aimer comme un homme aime une femme !

Le visage de la jeune fille s’illumina de nouveau comme celui d’un ange. Elle resplendissait en disant :