— Marcus et Myrina ! Tu sais bien au fond de toi que je serai pour toi ce que tu voudras et nous devons décider à présent de ce que nous ferons de nos deux vies.
Elle me prit gentiment par la main et me fit asseoir à côté d’elle. Puis elle se mit à parler comme si déjà elle avait mûrement réfléchi à cette question.
— Je caresse le rêve que ses disciples me donnent le baptême et me posent leurs mains sur la tête au nom de Jésus-Christ. Peut-être qu’ainsi je recevrai la force de sa force qui m’aidera à supporter cette vie et que j’aurai ma part du royaume et de l’Esprit saint descendu sur eux sous la forme de langues de feu. Hélas ! Ni toi ni moi ne sommes fils d’Israël ! Toutefois, ils acceptent de baptiser des prosélytes étrangers qui se font circoncire et vivent dans le respect de la loi. Mais on m’a dit qu’il existe d’autres prosélytes, qui eux ne sont pas circoncis ; ils craignent Dieu et doivent abandonner leurs idoles, leurs blasphèmes et leurs sacrifices humains ; l’inceste, le vol et la nourriture impure leur sont interdits et ils doivent mener une vie pleine de piété. Peut-être les apôtres consentiraient-ils à nous baptiser nous aussi si nous le leur demandions avec ferveur.
— Je sais tout cela et j’y ai pensé plus d’une fois, répondis-je en secouant la tête. Je n’ai plus d’autres dieux depuis que j’ai rencontré Jésus de Nazareth, le fils de Dieu ! Je n’aurais nulle difficulté à obéir à leurs ordres ! Qu’est-ce qui m’empêcherait de manger de la viande sacrifiée suivant la coutume juive ? Quelle différence avec une autre viande ? Mais je ne parviens pas à comprendre en quoi cela changerait quelque chose. En revanche, je ne puis m’engager à mener une vie toute de piété, car je ne suis pas religieux même si j’aspire au bien. Voilà un point dont je suis sûr ! En outre, tu fais erreur si tu crois qu’ils baptisent ceux que l’on appelle les prosélytes de la Porte, même si ces derniers frappent très fort ! Ils sont bien plus impitoyables que leur maître !
Myrina approuvait en hochant la tête et se saisit de ma main qu’elle serra fortement dans les siennes.
— Mon rêve n’est peut-être que le caprice d’un enfant ! admit-elle d’une voix résignée. Je ne crois pas que je puisse lui appartenir davantage, même s’ils me baptisaient et imposaient leurs mains sur ma tête. Laissons donc cette idée et suivons son chemin comme il nous l’enseigne. Prions pour que sa volonté s’accomplisse et que son règne arrive jusqu’à nous. Il est la vérité et la miséricorde, et cela doit nous suffire à nous qui l’avons vu de nos propres yeux !
— Son royaume ! Il ne nous reste plus qu’à attendre ! Mais nous sommes deux, et à deux il nous sera plus facile de suivre le chemin ! Voilà donc envers nous où réside sa miséricorde !
Nous ne quittâmes point Jérusalem aussitôt, car je tins à écrire auparavant tout ce qui venait de se passer, même si les récents événements n’avaient pas le caractère miraculeux des précédents. Je veux en tout cas me souvenir avec précision que l’Esprit saint est descendu du ciel tel un vent impétueux et apparu sous la forme de langues de feu qui se posèrent sur la tête des douze apôtres de Jésus le Nazaréen afin que nul désormais ne doutât de ces hommes.
À cette époque, ceux qui gouvernaient les Juifs se saisirent de Pierre et de Jean, mais durent les relâcher dès le jour suivant sous la pression populaire. Et les disciples, sans peur des menaces, continuent avec courage leurs prédications. Depuis qu’ils ont guéri un impotent près de la porte du temple appelée la Belle, je crois que plus de deux mille personnes se sont jointes à eux. Voici que maintenant tous ceux-là, dans leurs maisons, rompent le pain et bénissent le vin au nom de Jésus-Christ pour gagner l’immortalité, et il n’y a plus de pauvres parmi eux car les riches vendent leurs terres et leurs demeures afin que chacun reçoive ce dont il a besoin. Je pense que s’ils agissent ainsi, c’est parce que pour l’instant tout est clair comme un miroir pour eux et qu’ils sont persuadés que le royaume est tout proche, mais je ne sache point que Simon de Cyrènes ait déjà vendu ses biens.
Lorsque j’eus mis fin à mon récit, je reçus l’ordre du proconsul Ponce Pilate de quitter sans retard les territoires soumis à sa juridiction, à savoir Jérusalem et la Judée, et les légionnaires de la forteresse Antonia avaient la mission de me conduire devant lui à Césarée dans le cas où je refuserais de partir. Je ne saurais dire les raisons qui ont poussé Pilate à prendre une telle mesure à mon endroit : sans doute considère-t-il mon séjour prolongé à Jérusalem comme une atteinte aux intérêts de Rome ! Et comme je n’ai pas la moindre envie de le rencontrer, j’ai décidé de me rendre à Damas avec Myrina. Un rêve de la jeune fille est à l’origine de ce choix, et puis Damas a au moins l’avantage de se trouver à l’opposé d’Alexandrie.
En compagnie de Myrina, je suis retourné une dernière fois sur la colline où j’avais vu, à mon arrivée à Jérusalem, Jésus de Nazareth crucifié entre deux brigands. Puis je lui ai montré le jardin et le tombeau où l’on avait enseveli son corps et d’où il est sorti ressuscité pendant que la terre tremblait.
Mais déjà son royaume n’était plus en ces lieux !
1 Poète romain, auteur de l’Astronomie (Astronomica), poème en cinq livres.
2 Lieu d’Athènes où Zénon enseignait sa philosophie.
3 Borne qui marque la distance d’un mille romain (mille pas).