Выбрать главу

Le proconsul lui signifia de ne point toucher le corps de Jésus de Nazareth s’il était encore sur la croix, parce qu’il avait déjà autorisé une autre personne à l’ensevelir. Cette nouvelle déplut fort à l’émissaire du grand prêtre, mais il ne put entamer une nouvelle discussion, n’ayant reçu qu’un ordre général d’ôter les corps avant le début du sabbat. Il essaya cependant de se renseigner sur la personne qui avait sollicité le cadavre de Jésus et sur les raisons de ce geste. Mais le proconsul, excédé, le congédia brusquement.

— Ce qui est dit, est dit !

Et il tourna les talons de façon à bien montrer que pour lui l’entrevue était terminée. Il ne restait donc au Juif qu’à se résigner et à se retirer, toujours suivi de ses gardiens.

— Même mort, ce roi des Juifs te donne du souci, dis-je alors.

— Tu l’as dit, me répondit Ponce Pilate. Je crois avoir suffisamment d’expérience et n’ai pas l’habitude de me casser la tête pour des choses inutiles. Mais une sentence injuste me trouble plus que l’on ne pourrait imaginer. Lui-même m’a avoué ce matin qu’il était le roi des Juifs, mais il a précisé que son royaume n’était pas de ce monde ; dès lors qu’il m’est apparu qu’il ne représentait nulle menace politique, j’ai refusé de le condamner. Mais les Juifs m’y ont contraint !

Il se frappa la paume de la main avec son poing fermé.

— J’ai été le jouet d’une véritable conspiration due à l’agitation juive ! s’écria-t-il fort en colère. Ils l’ont capturé par traîtrise en pleine nuit, à grand peine ils sont parvenus à réunir les membres indispensables du Sanhédrin pour le juger ; ils auraient très bien pu le lapider pour insulte à leur Dieu ! Bien qu’ils n’aient aucun droit de condamner à mort, ce n’aurait pas été la première fois et ils ont toujours allégué pour leur défense dans ces cas-là l’incontrôlable déchaînement de la colère populaire. Quoique, dans cette histoire, je crois que s’ils se montrèrent lâches, c’est justement à cause du peuple et ils ont donc cherché à mêler les Romains à l’affaire. J’ai même envoyé Jésus au gouverneur indigène de Galilée afin qu’il s’en chargeât puisque le Nazaréen avait grandi et fait ses premiers prêches dans sa région ; mais ce renard astucieux d’Hérode Antipas s’est limité à se moquer de lui et me l’a renvoyé ensuite afin que sur moi, qui le jugeais, retombât le poids de toute la faute.

— Mais que voulait-il dire en prétendant que son royaume n’est pas de ce monde ? osai-je avancer. Je ne suis pas superstitieux, mais la terre a frémi lorsqu’il est mort ; et le ciel s’est pieusement voilé afin que nul ne puisse contempler ses souffrances.

Le proconsul me jeta un regard courroucé.

— Nul besoin qu’un étranger comme toi vienne mettre l’accent à son tour sur ce que ma femme ne cesse de répéter depuis ce matin ! dit-il en manifestant une vive irritation. Je ferai arrêter le centurion Adénabar s’il continue à se répandre au sujet du prétendu fils de Dieu ! La superstition des Syriens est insupportable ! Souviens-toi que tu es un Romain !

Je me félicitai de n’avoir point fait allusion, dans la tour, aux prophéties qui m’avaient incité à entreprendre le voyage à Jérusalem ! La colère de Ponce Pilate cependant me fit décider de m’informer à fond sur cette affaire. Il n’est pas dans les habitudes d’un procurateur romain de se laisser troubler par la crucifixion d’un agitateur juif ! Le roi en question avait dû être un homme exceptionnel.

Ponce Pilate commença alors à gravir les marches qui mènent à son appartement en me lançant toutefois une invitation à dîner. Pour ma part, je regagnai la salle des officiers où le vin coulait à flots après la fin du service. Ils m’apprirent que la Judée est un pays de bons vins ce dont je ne doute pas après avoir goûté au leur : mélangé à l’eau son agréable saveur est rafraîchissante et point trop sucrée.

J’engageai la conversation avec tous les officiers présents et j’appris que c’était Ponce Pilate qui avait condamné à mort le roi des Juifs. Naturellement, eux l’avaient fouetté et s’étaient moqués de lui dans la cour, mais plutôt par habitude et pour se divertir un peu : ils l’auraient laissé partir ensuite. Ils donnaient tous l’impression d’être la proie du trouble ; c’était comme s’ils se sentaient obligés de se défendre et de rejeter la faute sur les Juifs ! Le tremblement de terre les avait fortement émus et, sous l’empire de la boisson, certains se mirent à raconter les miracles que ce Jésus, suivant la rumeur publique, avait accomplis : il avait guéri des malades, exorcisé des démons et même, peu de temps auparavant, réveillé un homme mort et enseveli depuis déjà plusieurs jours aux environs de Jérusalem.

Cette dernière histoire me parut être un exemple de la rapidité avec laquelle des rumeurs se propagent à la suite d’un événement hors du commun. J’eus du mal à dissimuler mon sourire devant ces hommes relativement instruits qui gobaient des contes dénués de toute vraisemblance. L’un d’eux prétendit même connaître le nom du ressuscité ! Ils affirmèrent avec le plus grand sérieux que la nouvelle de cette résurrection, aussitôt connue et répandue par toute la ville, avait porté à son comble le courroux des grands prêtres, les décidant à tuer l’auteur de tels miracles !

Le chef d’une unité de chameaux cantonnée aux confins du désert et détachée dans la cité sacrée à l’occasion de la fête de la Pâques, rapporta, pour illustrer l’intolérance des fils d’Israël, que le roi Hérode de Galilée avait fait mettre à mort, quelques années auparavant, un prophète venu du désert : ce dernier attirait de grandes foules qu’il baptisait dans les eaux du Jourdain afin de leur ouvrir les portes du nouveau royaume. Le chef l’avait vu de ses propres yeux : il était couvert d’une peau de chameau et ne mangeait jamais de viande !

Ils contèrent également que sur les rives de la mer Morte, au milieu d’un désert très difficile d’accès, une communauté s’était établie dans le but d’étudier les textes sacrés et d’attendre la venue du nouveau souverain. Ceux qui vivent dans cette communauté utilisent un calendrier différent de celui des autres et respectent entre eux une certaine hiérarchie.

Ils allumèrent les lampes lorsque tomba la nuit et je pris congé pour me rendre chez le proconsul, ce qui donna lieu à quelques plaisanteries de la part des officiers qui finirent par m’avouer avoir réussi, malgré les ordres, à introduire dans leur salle un couple de danseuses accompagnées de musiciens syriens ; ils m’invitèrent cordialement à me joindre à leur petite fête lorsque le proconsul se retirerait ; apparemment, ils estimaient mériter sans conteste une diversion après le travail extraordinaire que cette Pâques leur avait imposé.

On avait tenté d’adoucir la sévère austérité des appartements situés dans la tour de la forteresse en recouvrant le sol et les murs de somptueux tapis et de fort belles tentures ; des coussins d’étoffes précieuses s’entassaient sur les divans. On servait dans une vaisselle syrienne et le vin fut dégusté dans de splendides coupes en cristal. Le commandant de la garnison, un homme silencieux pour ne pas dire muet, était également invité ; je ne doute point de ses qualités de stratège, mais la présence de Claudia Procula et de sa dame de compagnie le troublait au point qu’il ne parvint pas une seule fois à ouvrir la bouche. Il y avait aussi Adénabar et le secrétaire du proconsul. Des essences odoriférantes brûlaient dans les lampes et l’on aurait dit que les deux femmes rivalisaient de parfums avec elles.