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Le chef de la garnison appela le trompette, ce qui eut le don de porter un comble au courroux du proconsul qui hurla, en se frappant la paume de son poing fermé :

— Mais vous êtes fous ! Vous n’avez nul besoin d’une cohorte ! Quelques hommes sûrs suffiront. Ce serait folie d’attirer l’attention en donnant de l’importance à une affaire bien assez honteuse pour nous. Allons ! Dépêchez-vous !

Adénabar réunit sur-le-champ une dizaine d’hommes auxquels, après qu’ils eurent formé les rangs, il ordonna le pas de course cadencé.

— Halte ! cria le proconsul qui s’empressa d’ajouter que « courir à travers la cité serait le moyen le plus sûr d’attirer à notre suite tous les curieux de la ville ».

Je fus, pour ma part, fort content de l’entendre car, même sans équipement, je n’aurais pu suivre qu’à grand peine le pas cadencé des légionnaires en dépit de la courte distance à parcourir.

Ceux qui s’étaient réfugiés en dehors des murailles pour fuir le tremblement de terre, s’en retournaient maintenant vers leurs maisons. Ils étaient bien trop préoccupés de leurs propres affaires pour prendre garde à nous, et ils en oublièrent même de cracher sur le passage des soldats en criant leurs habituelles malédictions.

Le jardin cachait une partie du tombeau. Nous pûmes cependant voir d’assez loin deux hommes qui en sortaient. C’était sans nul doute des adeptes du Nazaréen, car il me sembla que l’un d’eux était le beau jeune homme que j’avais vu sur la colline du supplice consolant les femmes en pleurs. L’autre, à la tête ronde, était corpulent et barbu. Lorsqu’ils nous aperçurent, ils s’enfuirent à toutes jambes et, malgré nos cris, disparurent rapidement, bientôt dissimulés à nos regards par les nombreux accidents du terrain.

— Cela commence ! s’exclama Adénabar mais, jugeant plus raisonnable de ne pas disperser nos forces, il n’ordonna point qu’on les poursuivît. Il savait d’ailleurs que les fuyards parviendraient de toute façon à échapper aux légionnaires à travers jardins, maquis, collines et autres grottes.

Nous les avions cependant vus bien assez pour savoir qu’ils n’emportaient rien du tombeau.

Arrivés devant l’ouverture béante, nous nous aperçûmes que le poids de la pierre d’entrée avait cassé le bord de la rainure ; elle était tombée en roulant vers le bas de la colline, jusqu’à heurter un autre rocher contre lequel elle s’était brisée. Pas une trace d’outil ! Si l’on avait ouvert le tombeau de l’extérieur, il aurait fallu faire rouler la pierre le long de la rainure. Un morceau de ruban pendait du sceau cassé de la légion. C’était le tremblement de terre qui, à l’évidence, avait arraché la pierre de l’endroit où elle se trouvait. De l’obscurité du sépulcre, s’exhalait une forte odeur de myrrhe et d’aloès qui imprégnait l’air humide de la montagne.

— Passe devant, je te suivrai, me pria Adénabar.

Son visage avait pris couleur de cendre. Il tremblait de tout son corps. Les légionnaires s’étaient arrêtés à une distance respectable de l’entrée, pressés les uns contre les autres comme un troupeau de moutons en proie à la frayeur.

Nous pénétrâmes ensemble dans la première pièce du caveau, puis, après avoir franchi une voûte plus étroite, nous arrivâmes dans le tombeau proprement dit. Tant que nos yeux ne furent pas accoutumés à la pénombre, à peine si nous pouvions distinguer le linceul blanc sur la dalle de pierre ; nous crûmes donc tous deux de prime abord que le corps était toujours là. Mais, lorsque nos regards recouvrèrent toute leur acuité, nous constatâmes que le cadavre du roi des Juifs avait disparu, abandonnant son drap mortuaire qui, raidi par les aromates, gardait encore les contours du corps. Le suaire, qui avait enveloppé la tête du mort, se trouvait dans un autre endroit.

Je me refusai à croire le témoignage de mes yeux et touchai de mes mains le vide entre le drap et le suaire. Rien ! Le linceul n’avait pas été déchiré, le corps avait tout simplement disparu de l’intérieur.

Même en pressant dessus, le drap conservait la forme du corps et il n’était ni déchiré, ni ouvert : j’en suis sûr, je l’ai vu. La disparition du corps était une chose proprement incroyable et cependant il avait disparu, on ne pouvait le nier, nos propres yeux en pouvaient témoigner.

— Vois-tu ce que je vois ?

La gorge nouée, j’approuvai d’un mouvement de tête et le centurion poursuivit dans un murmure :

— J’avais bien dit qu’il était fils de dieu !

Puis, reprenant son calme et cessant de trembler, il se passa la main sur le visage.

— C’est un tour de magie comme jamais je n’en ai vu ! ajouta-t-il. Il vaut mieux que nous soyons les seuls à le savoir jusqu’à nouvel ordre !

Eussions-nous recouru à la contrainte que nous ne serions pas parvenus à faire entrer les légionnaires dans le caveau : ils étaient tous en proie à une immense terreur depuis la disparition de leurs camarades, événement d’autant plus mystérieux que l’on ne voyait aucune trace de lutte sur le terrain.

Ni Adénabar ni moi-même ne tentâmes de trouver une explication au fait qu’il ait été possible à un être humain de s’extraire d’un linceul rigide sans l’ouvrir ; il était collé par la myrrhe et l’aloès et, s’il avait été forcé, il en serait resté quelque trace. Nulle main, si habile fût-elle, n’eût pu le remettre en place en imitant si parfaitement les contours du corps.

Une fois que j’eus accepté cette idée, je ressentis une si profonde impression de paix que la peur disparut de mon cœur. Mais je ne puis comprendre pourquoi mes terreurs ont pris fin lorsque je reconnus la réalité du miracle dont mes yeux étaient les témoins ; nous aurions dû, en toute logique, voir décupler notre épouvante ! Et pourtant, nous sortîmes du sépulcre l’esprit serein et annonçâmes avec tranquillité aux soldats que le corps ne se trouvait plus à l’intérieur.

Aucun ne manifesta le désir d’aller y voir de plus près, ce que d’ailleurs nous aurions interdit de faire. Certains se souvinrent alors de l’honneur de la légion et commencèrent à s’agiter pour nous montrer les entrées béantes d’autres tombeaux creusés dans les mêmes rochers. Le tremblement de terre avait dû être particulièrement violent en ce lieu, ce qui ne m’étonna guère. Les soldats suggérèrent alors d’enlever le cadavre d’un caveau plus ancien et de le substituer à celui du roi des Juifs disparu, mais j’interdis formellement jusqu’à la simple idée d’une telle action.

Nous étions encore indécis sur ce que nous devions entreprendre lorsque nous vîmes surgir, d’entre les broussailles et les aubépines, deux légionnaires qui s’approchaient furtivement de nous. Adénabar reconnut deux des déserteurs ; plein de colère, il se dirigea vers eux et leur ordonna de jeter à terre leurs armes et bouclier. Mais ils se récrièrent violemment, jurant qu’ils avaient accompli leur mission en gardant le sépulcre d’un abri caché : nul, à leur connaissance, n’avait jamais fixé la distance d’où l’on devait exercer la surveillance.

— Nous étions quatre à prendre du repos, dirent les sentinelles, pendant que les deux autres montaient la garde, lorsque la terre a tremblé. La pierre, qui s’était détachée de l’entrée, se mit à rouler dans notre direction et c’est véritablement une grande chance qu’aucun d’entre nous n’ait été écrasé ! Nous nous sommes alors cachés à une certaine distance d’où nous pouvions surveiller le tombeau car nous avions peur du tremblement de terre, et les quatre autres ont couru prévenir les Juifs de ce qui était arrivé puisque nous étions ici sur leur ordre et non par la volonté de la légion.

Leur histoire paraissait d’autant plus embrouillée qu’ils mettaient d’acharnement à se défendre.

— Bien sûr, nous avons vu arriver ces deux-là pour la relève ! continuèrent-ils. Mais nous n’avons pas voulu nous montrer malgré leurs appels, car nous attendions le retour de nos compagnons avec lesquels nous ne formons qu’un bloc ! S’il y a une explication à donner, nous la donnerons tous les six ensemble, après nous être concertés sur ce qu’il convient de raconter ou de taire.