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Adénabar poursuivit avec moi leur interrogatoire et nous apprîmes qu’ils avaient repéré, très tôt le matin, deux femmes qui s’approchaient du tombeau chargées d’un paquet. Elles avaient hésité devant l’entrée, puis une seule des deux avait pénétré à l’intérieur pour en ressortir aussitôt. Juste à ce moment, le soleil qui se levait face aux gardes les avait éblouis, mais ils pouvaient jurer que les femmes n’avaient rien emporté au sépulcre pas plus qu’elles n’y avaient introduit quoi que ce fut : elles avaient en effet laissé devant l’entrée le paquet qu’elles portaient et l’avaient repris quand elles s’étaient enfuies en courant bien que les soldats ne les eussent pas dérangées.

Peu avant notre arrivée, deux hommes s’étaient également aventurés par là, un jeune précédant un homme mûr qui soufflait très fort ; le premier arrivé ne se risqua pas à entrer tout seul et se contenta de jeter un œil par l’ouverture en attendant son compagnon ; puis ils sont entrés l’un derrière l’autre ; les femmes, sans doute, les avaient incités à venir mais ils ne sont demeurés qu’un temps très court à l’intérieur et en sont sortis les mains vides. Les soldats juraient les avoir étroitement surveillés de leur cachette, prêts à leur sauter dessus s’ils avaient fait mine d’enlever le cadavre.

— On nous a placés ici pour surveiller un corps et nous avons accompli notre mission au mieux, en accord avec les ordres reçus ; même le tremblement de terre ne nous a pas fait fuir sauf que nous nous sommes retirés à une prudente distance, affirmèrent-ils avec un bel ensemble.

En les regardant attentivement, je crus lire dans leurs yeux qu’ils dissimulaient quelque chose.

— Le corps en tout cas a disparu ! criai-je sur un ton accusateur.

Ils protestèrent en gesticulant suivant la coutume syrienne.

— Ce n’est pas de notre faute ! Nous n’avons pas quitté le tombeau des yeux un seul instant !

Comprenant que nous n’en obtiendrions guère davantage, nous cessâmes nos questions. Sur ces entrefaites, arrivèrent de la cité les autres déserteurs de la garde, accompagnés de trois princes des prêtres, reconnaissables de loin au bijou qui ornait leur tête. Les quatre soldats, lorsqu’ils virent leurs compagnons au milieu de nous, se mirent à crier.

— Ne dites rien ! hurlèrent-ils en guise d’avertissements. Ne vous compromettez pas ! Tout est clair entre nous et les prêtres ! On leur a tout dit, ils nous ont compris et pardonné.

Les trois Juifs étaient sans doute membres du Sanhédrin car ils nous saluèrent avec courtoisie lorsqu’ils nous rejoignirent.

— Nous avons tardé à venir, dirent-ils, parce que nous avons voulu réunir le Conseil pour résoudre d’abord entre nous cette affaire. C’est à la demande du Sanhédrin et pour lui, que les légionnaires surveillent le tombeau. Nous ne voulons point qu’ils soient punis de leur négligence. Comment auraient-ils pu d’ailleurs imaginer la fourberie des adeptes du Nazaréen ? Nous en avons délibéré entre nous et décidé de laisser les soldats reprendre leurs rangs sans les inquiéter. Partez tranquilles, vous aussi ; ni les Romains, ni nous-mêmes, n’avons plus rien à faire ici. Puisque le malheur est déjà arrivé, nous l’acceptons et point n’est besoin de tapage ou d’inutiles commentaires.

— Non, ceci est une affaire soumise aux lois militaires de Rome et nous ferons une enquête comme il se doit : le cadavre de votre roi a disparu et ces soldats en étaient responsables.

— Qui es-tu toi ? demandèrent alors les grands prêtres, et pourquoi te mêles-tu de nos conversations ? Tu es jeune et ne portes point de barbe, mais tu dois respecter notre âge et notre dignité. Si nous devons débattre de cette affaire, ce n’est pas avec toi que nous en débattrons, mais avec le gouverneur en personne.

Je ne ressentais, après avoir vu dans le sépulcre ce que j’avais vu, que de la haine à l’égard de ces vieillards pleins d’astuce et de fourberie qui avaient pris part au procès de leur roi et contraint Ponce Pilate à le crucifier.

— Votre roi a laissé vide son tombeau, rétorquai-je avec fermeté. Et c’est pourquoi nous ferons la pleine lumière sur cette histoire !

— Pas notre roi ! C’est lui qui prétendait l’être ! se récrièrent-ils en proie au courroux. Quant à cette histoire, elle ne peut être plus claire : les sentinelles ont dormi et pendant leur sommeil les adeptes du Galiléen sont venus dérober le corps. Les soldats étaient tout prêts à en témoigner et à payer le prix de leur faute, mais nous leur pardonnons sans exiger leur châtiment.

Il existait un tel abîme entre leurs assertions et ce que mes yeux et ma raison avaient vu qu’il me devint évident qu’ils avaient réussi à circonvenir les légionnaires dans leurs manigances. Alors, m’adressant à Adénabar, je dis sur le ton du détachement :

— Selon la loi martiale de Rome, la sentinelle qui s’endort à son poste ou qui l’abandonne sans une autorisation de ses chefs doit être fouettée et passée par l’épée.

Les deux légionnaires sursautèrent en échangeant un regard, mais les quatre venus en compagnie des membres du Conseil s’efforcèrent de leur faire comprendre avec force clins d’yeux, coups de coude et autres grimaces qu’ils n’avaient rien à redouter.

— Ils n’assuraient point une garde pour le compte de Rome mais pour nous, répétèrent les grands prêtres. C’est donc à nous qu’il appartient de leur infliger une punition ou de leur pardonner.

C’est alors que, dans ma soif d’apprendre ce qui s’était réellement passé, je commis une erreur et dans le dessein d’effrayer les Juifs proposai :

— Entrez dans le sépulcre et voyez par vous-mêmes ce qu’il est advenu ! Ensuite vous pourrez interroger les soldats si vous en avez l’envie et l’audace !

Adénabar, plus avisé que moi, s’empressa d’ajouter :

— Eh quoi ? Des hommes pieux comme vous l’êtes se troublent à l’idée d’entrer dans le tombeau ?

Mais nos propos les amenèrent à penser que quelque chose à l’intérieur valait la peine d’être vu, et donc, après s’être consultés dans leur langue sacrée que je ne comprends pas, ils pénétrèrent en se courbant l’un après l’autre dans le sépulcre avant que nous eussions pu faire un geste pour les en empêcher. Ils y demeurèrent si longtemps, malgré l’exiguïté de l’endroit peu apte à contenir trois personnes, que je me décidai à jeter un œil à l’intérieur : les trois hommes, recroquevillés, discutaient avec animation.

Ils finirent par sortir, le visage empourpré et les yeux hagards.

— Nous nous sommes chargés d’impuretés pour être en mesure de témoigner nous-mêmes que tout s’est passé exactement comme les sentinelles nous l’avaient raconté. Il vaut mieux maintenant que nous nous rendions tous ensemble auprès du gouverneur afin de tirer l’affaire au clair ; ainsi éviterons-nous la propagation de mensongères histoires dépourvues de fondement.

Soudain, un soupçon s’empara de moi et je me précipitai dans le tombeau : quand mes yeux furent accoutumés aux ténèbres, je découvris que, dans leur recherche infructueuse du corps, ils avaient mis en pièces le linceul.

Je fus submergé par une atroce colère en me rendant compte que ma stupidité avait permis que fut détruite l’unique preuve de la façon surnaturelle dont le roi des Juifs était sorti de son tombeau. En ce même instant, la fatigue, le sommeil et l’odeur asphyxiante de la myrrhe me donnèrent des vertiges. Je ressentis une étrange sensation d’irréalité et l’impression très envahissante de la présence d’une force plus puissante que moi, comme si des mains invisibles me retenaient, m’empêchant de courir jeter mes accusations contre les Juifs. Puis, je retrouvai mon calme, la paix rentra dans mon esprit et je quittai, la tête basse, le sépulcre. Je n’adressai pas une seule parole aux prêtres, pas même un regard.