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« Tous les croyants qui en ont la possibilité affluent à Jérusalem pour offrir des sacrifices dans le temple ; ainsi, sous forme d’offrandes, se déversent sans relâche et s’accumulent des richesses innombrables. Tu comprendras dès lors qu’il nous soit impossible de tolérer que le peuple se laisse emporter par les rêves d’une quelconque royauté !

Il désirait manifestement me faire partager sa conviction du bien-fondé de la politique du Sanhédrin.

— Mais, malgré tout, nous vivons au bord du précipice ! dit-il en se penchant sur moi. Il suffirait qu’un procurateur avide fît sienne la devise : « Diviser pour régner ! » ; en encourageant ceux qui briguent le pouvoir, il provoquerait à coup sûr des émeutes et des révoltes qui lui permettraient de limiter notre autonomie tout en lui donnant l’occasion d’accaparer le tout ou une partie au moins des trésors du temple. Quoique, dans le fond, et sans parler de notre propre intérêt, il soit beaucoup plus avantageux pour Rome de maintenir les choses en l’état et de soutenir le Sanhédrin qui ne se mêle absolument pas de politique. Afin d’éclairer ta lanterne, je te dirai que notre Sanhédrin correspond en quelque sorte au sénat romain En font partie les grands prêtres, les scribes les plus érudits et un groupe de laïques influents, appelés les Anciens du peuple ; ces derniers qui ne sont pas nécessairement très âgé, appartiennent de plein droit au Conseil soit par leur fortune soit par l’importance de leur famille. Le peuple, en revanche, n’a aucune formation politique et il est hors de question de le laisser gouverner. Voilà pourquoi nous devons étouffer dans l’œuf la moindre tentative qui aurait pour but d’augmenter ses pouvoirs politiques ou de restaurer une monarchie, aussi inoffensive que paraisse la conspiration et même si elle se manifeste sous le couvert de notre religion ou de l’amour du prochain.

Mon silence chargé de mépris entraînait le banquier à parler avec plus de véhémence, comme s’il se défendait de quelque faute.

— Toi qui es un Romain habitué à ne vénérer que de simples images, tu ne peux imaginer l’immense influence exercée par une religion authentique. Elle constitue notre force en même temps qu’elle est notre plus grand péril, car les agitateurs doivent inévitablement recourir aux Écritures pour justifier leur cause et ce, quel que soit le but poursuivi.

« Évidemment, tu pourras dire que ce Jésus de Nazareth, crucifié la veille de la Pâques, était un juste, un innocent, un remarquable guérisseur et un grand prédicateur ! Je n’en disconviens pas ! Mais c’est justement un homme innocent et sincère qui attire le peuple par sa personnalité et ses promesses d’avenir meilleur, qui est toujours le plus dangereux ! Étant sans préparation politique, il devient l’instrument de ceux qui briguent le pouvoir tout en croyant avec naïveté agir pour le bien de tous ! Car ceux-là se moquent bien de détruire l’ensemble du système social et de perdre la nation tout entière qui finirait par tomber sous les coups des Romains ! Leur seul souci est de satisfaire leurs ambitions et de s’emparer du pouvoir ne fût-ce que pour peu de temps !

« Crois-moi, tout homme qui se présente comme un messie est un criminel politique, aussi sincère soit-il, et il mérite la mort !

Et, comme s’il craignait que sa conviction faiblît, il se hâta d’ajouter :

— De toute façon, il se rend coupable de blasphème, ce qui est un crime suivant notre loi. Je reconnais que ce n’est pas la loi qui compte pour des hommes comme nous, mais franchement, si ce Jésus était entré dans le temple une seule fois de plus, on aurait vu un grand désordre, les trublions en auraient profité pour s’emparer du pouvoir en se servant de lui comme d’un bouclier, et beaucoup de sang aurait coulé ! Les Romains auraient alors été obligés d’intervenir et que serait-il advenu ensuite ? La suppression de notre autonomie politique ! Qu’un homme meure plutôt que la nation entière périsse !

— J’ai déjà entendu cette phrase, rétorquai-je.

— Alors oublie-la ! répondit-il. Nous n’avons guère à nous vanter de sa mort. Tout au contraire ! Moi-même j’éprouve de la tristesse lorsque je pense à lui, car je crois qu’il n’était point un mauvais homme. Que n’est-il resté dans son pays ! Il ne lui serait rien arrivé de mal car là-bas, en Galilée, il y avait même des collecteurs d’impôts qui le protégeaient et l’on disait que le commandant de la garnison de Capharnaüm était son ami.

Je vis bien qu’il était inutile de faire une allusion à la résurrection du Nazaréen ; un tel propos n’aurait pu que me perdre dans l’estime de mon interlocuteur qui m’aurait pris pour un homme dépourvu de jugement.

— Tu m’as convaincu, dis-je après un bref silence, et je comprends à présent que sa mort fut nécessaire pour des raisons politiques. Mais j’ai pour habitude, lorsque je voyage, de collectionner des informations sur toutes sortes de curiosités ; cela me permet ensuite de distraire mes amis avec mes récits et, parfois même, d’apprendre quelque chose. Entre autres, je m’intéresse vivement aux questions de guérisons miraculeuses. J’ai eu l’occasion, au cours de ma jeunesse passée à Antioche, de voir un mage de Syrie fort habile en la matière. En Égypte également, il existe des lieux de pèlerinage où s’accomplissent de tels miracles. Il me plairait vraiment de faire la connaissance d’un des malades que cet homme a guéri, afin de savoir quelle était sa méthode.

Puis, comme pris soudain d’une idée subite, je m’exclamai :

— Le mieux serait de rencontrer un de ses disciples ! J’aurais ainsi une information de première main sur ce qu’ils pensent de lui et sur les intentions qu’il avait.

— Ils se sont certainement cachés, ou peut-être sont-ils déjà retournés se réfugier en Galilée, me répondit Aristhènes sur un ton qui me sembla courroucé. Que je sache, il n’avait guère plus de douze disciples proches, et l’un d’entre eux a dévoilé au Sanhédrin leur refuge nocturne. Ce sont tous de petites gens, des pêcheurs du lac de Tibériade ou quelque chose d’approchant, à part un dénommé Jean qui appartient à une très bonne famille et qui a fait des études et appris le grec. Je crois aussi qu’un collecteur d’impôts s’était adjoint à son groupe ; mais ils ne sont pas grand-chose, tu sais, tu ne pourras rien en apprendre. Cependant…

Il se tut un instant, me regarda, puis ajouta :

— Si tu éprouves quelque curiosité à ce sujet, bien que je ne puisse le comprendre car tu pourrais vraiment passer du bon temps à Jérusalem, nous avons un membre du Sanhédrin, Nicomède, qui pourrait te donner des informations. C’est un pieux érudit qui consacre sa vie à l’étude des Écritures. Aucun mal n’est en cet homme bien qu’il ait pris la défense de Jésus lors du conseil. Je pense seulement qu’il est trop naïf pour occuper un poste aussi important ! Il n’a d’ailleurs point assisté à la séance du Sanhédrin qui se tint durant la nuit, car sans doute n’aurait-il pas eu le courage de condamner le Nazaréen.

— J’ai entendu parler de lui, intervins-je. N’est-ce point lui qui fit descendre le roi de la croix et le mit au tombeau ? On dit qu’il a dépensé plus de cent livres en aromates destinés au linceul !

Le mot roi irrita visiblement Aristhènes mais il ne prit pas la peine de me corriger.