L’enthousiasme de Claudia commençait à faiblir.
— Et si je la rencontrais par hasard, me permettrais-tu de faire état de nos relations amicales pour la prier de me raconter en secret ce dont elle a été témoin ?
Elle murmura que jamais un homme ne serait en mesure de gagner la confiance d’une femme comme le serait une autre femme, et que d’ailleurs, les hommes en général ne sont jamais capables de comprendre vraiment une femme ! À contre-cœur elle accepta que je mentionnasse son nom si la chance me mettait en présence de son amie.
— Mais si, par ta faute, il lui arrive le moindre mal, tu devras en répondre devant moi, conclut-elle sur le ton de la menace.
Ainsi prit fin notre conversation. Nul doute que l’épouse du proconsul n’eût caressé le rêve de me voir partager sa foi enthousiaste dans la résurrection du roi des Juifs ! Cette résurrection à laquelle, bon gré mal gré, je suis bien contraint de croire puisque j’ai vu le linceul dans le sépulcre abandonné. Mon dessein en tout cas est de mettre au clair cette affaire d’une manière sensée.
Quatrième lettre
Marcus à Tullia
Je poursuis mon récit en relatant les faits dans leur ordre chronologique.
La forteresse d’Antonia est une construction austère où l’on ne dispose que de très peu d’espace. Je n’avais nulle envie d’y séjourner plus longtemps car je me sentais l’objet d’une constante surveillance. Le proconsul d’ailleurs se préparait également à la quitter pour retourner dans sa résidence officielle de Césarée. Je lui fis cadeau d’un scarabée égyptien porte-bonheur et offris à sa femme un miroir d’Alexandrie ; l’un et l’autre me firent promettre de passer par Césarée lors de mon voyage de retour, Ponce Pilate ne voulant pas que je puisse quitter la Judée sans m’interroger auparavant, et Claudia exigeant le serment de lui raconter tout ce que je pourrais glaner au sujet du ressuscité.
Je fis don au commandant de la garnison d’une somme importante d’argent, car je désirais garder de bonnes relations avec cet homme et pouvoir, le cas échéant, venir chercher refuge dans la forteresse ; je me suis toutefois rendu compte que je ne courrai aucun danger dans la cité tant que je saurai respecter les coutumes du pays et ne pas choquer avec les miennes.
Le centurion Adénabar est devenu un véritable ami. Grâce à lui, je n’ai pas eu à me loger dans une auberge, mais j’ai pris pension près du palais des Asmonéens dans la maison d’un marchand syrien de ses relations. Je connais les Syriens de longue date et je sais qu’ils aiment la bonne chère, qu’ils sont propres et honnêtes, sauf lorsqu’il s’agit de changer de l’argent.
Le marchand vit avec sa famille au rez-de-chaussée du bâtiment et installe tous les matins son éventaire d’articles de mercerie devant la porte, dans la rue. J’ai la possibilité d’accéder directement à la terrasse de la maison par un escalier, si bien que je peux aller et venir à mon gré et recevoir des visites dans ma chambre sans que nul ne le sache, indéniable avantage que ne manquèrent pas de souligner Adénabar et son ami. La femme et les filles du mercier me servent les repas dans la chambre et sont chargées de remplir d’eau fraîche la cruche de terre qui pend au plafond ; les gamins, pour leur part, ont été mis à ma disposition pour faire mes commissions, m’acheter du vin et tout ce dont je peux avoir besoin.
Cette famille, dont les modestes revenus suffisent juste à la faire vivre, paraît ravie d’avoir trouvé un pensionnaire après les fêtes et le départ de tous les étrangers.
Une fois installé dans mon nouveau logement, j’attendis que la nuit fût tombée et que les étoiles fussent allumées dans le ciel pour descendre l’escalier extérieur. La poterie de Nicomède est si réputée que je n’eus aucun mal à la trouver. On avait laissé la porte entrouverte et dans la cour un serviteur m’attendait.
— Es-tu celui que mon maître attend ? demanda-t-il sur un ton plein de déférence.
À sa suite, je montai un escalier jusqu’à la terrasse. Le ciel étoilé de Judée était si lumineux qu’il n’y avait nul besoin d’éclairer le chemin. En haut, un homme âgé, assis sur des coussins, me salua avec amabilité.
— Es-tu l’homme à la recherche de Dieu dont le banquier Aristhènes m’a annoncé la visite ? s’enquit-il.
Il me pria de prendre place à ses côtés et se mit aussitôt à me parler d’une voix monocorde du Dieu d’Israël. Il commença son récit à partir du moment de la création du ciel et de la terre, puis dit que Dieu avait pris de la poussière et créé l’homme à son image.
— Rabbin d’Israël, le coupai-je avec impatience, je connais tout cela, j’ai déjà lu vos livres saints en grec. Je suis venu te voir pour que tu me parles du roi des Juifs, Jésus de Nazareth. Tu ne l’ignores point puisque tu me reçois de nuit sur ta terrasse.
— Son sang est retombé sur moi et sur mon peuple, dit-il d’une voix tremblante. Mon cœur est rempli de douleur et d’angoisse à cause de lui. Sa venue était l’œuvre de Dieu, car nul n’aurait pu accomplir ce qu’il fit s’il n’eût été l’envoyé de Dieu.
— Il était plus qu’un simple rabbin et je tremble aussi au fond de moi à cause de lui bien que je ne sois qu’un étranger, répondis-je. Tu sais sans doute qu’il a ressuscité, malgré le linceul dans lequel tu l’as toi-même enseveli et le tombeau où tu l’enfermas avant le début du sabbat.
Nicomède leva son visage vers la lumière des étoiles.
— Je ne sais ce qu’il faut croire, s’écria-t-il d’une voix plaintive.
Lui montrant alors la voûte céleste, je l’interrogeai :
— Était-il le Messie annoncé par les prophètes ?
— Je ne sais, répliqua-t-il, je ne comprends rien, je ne suis pas digne d’être rabbin d’Israël. Ceux du Sanhédrin m’ont fort déconcerté en prétendant que nul prophète ne pouvait venir de Galilée ; mais sa mère, dont je viens de faire la connaissance, affirme que Jésus est né à Bethléem de Judée au temps d’Hérode Antipas. Et les Écritures annoncent que le sauveur viendra de Bethléem. Tous est accompli, tout ce qu’avaient annoncé les prophètes à son sujet, même que l’on ne lui briserait pas les os !
Et voici qu’il se mit à psalmodier les prophéties qu’il me traduisait ensuite. J’écoutai ces chants qu’il répétait sans relâche, puis, gagné par l’impatience, je dis :
— Peu me chaut que les prédictions de vos prophètes soient accomplies ou non ! Pour moi, ce qu’il m’importe de savoir, c’est la vérité sur sa résurrection, car s’il est réellement revenu d’entre les morts, un roi n’est rien auprès de lui et le monde n’a jamais vu naître un homme tel que lui. Je n’essaie point de te tendre un piège ; nul ne peut maintenant lui faire du mal. Réponds-moi ! Mon cœur bondit dans ma poitrine tant il a de désir de connaître la vérité.
— On me l’a dit, mais je ne sais que croire ! confessa le vieillard d’une voix hésitante. La nuit dernière, ses disciples se sont réunis secrètement dans un endroit clos car ils craignent d’être poursuivis. La plupart d’entre eux en tout cas étaient terrorisés. C’est alors que Jésus de Nazareth s’est trouvé au milieu d’eux et leur a montré les blessures de ses mains, de ses pieds et de son côté. Il a soufflé également sur eux puis a disparu de la pièce comme il y était apparu. Voilà ce que l’on m’a raconté, mais je dois avouer que j’ai bien du mal à y ajouter foi !
Mon corps se mit à trembler dans la pénombre.