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— Parle-moi de son royaume, le suppliai-je, qu’a-t-il prêché à ce sujet ?

— Lorsqu’il vint à Jérusalem pour fêter la Pâques la première fois et qu’il purifia le temple, poursuivit-il, j’allai le voir en secret. Et je n’ai pu oublier ce qu’il me dit bien que je ne l’aie point compris, ni alors ni même encore à présent. Il dit que nul n’entrerait en son royaume s’il ne naissait une nouvelle fois.

À cet instant, me revinrent en mémoire les théories orphiques et pythagoriciennes, ainsi que celles des philosophes qui prétendent que l’homme naît à plusieurs reprises, même parfois sous la forme d’un animal ou d’un végétal selon son comportement durant la vie. Je me sentis possédé par la désillusion car ce que le notable venait de dévoiler n’avait rien d’une doctrine nouvelle. Mais Nicomède continua d’une voix dépourvue d’artifice :

— Je l’interrogeai alors : « Mais comment un homme peut-il renaître ? Il ne peut retourner dans le sein de sa mère pour voir le jour une seconde fois ? » Et Jésus me donna cette clé en disant : « À moins de naître d’eau et d’esprit, nul ne peut entrer dans le royaume. » Je comprenais lorsqu’il parlait de l’eau, car nombreux sont ceux qui vont dans le désert pour attendre en priant au sein d’une communauté et qui, après une période d’épreuves, se font baptiser dans l’eau d’un lac. Jean est venu lui aussi du désert pour baptiser les hommes avec de l’eau jusqu’au jour où Hérode Antipas le fit périr.

Je coupai court à ses explications pour dire :

— Ceux qui s’initient aux mystères d’Isis au cours de cérémonies secrètes pénètrent dans une onde profonde et ténébreuse, mais des bras solides les en sortent afin qu’ils ne s’y noient pas. Ce n’est rien de plus qu’une cérémonie symbolique !

— Oui, certainement, l’immersion n’a rien de nouveau. Mais je lui ai demandé ce qu’il voulait dire par « naître d’esprit » et voici mot à mot ce que Jésus m’a répondu : « Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l’esprit est esprit. Le vent souffle où il veut. Tu entends sa voix mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’esprit. »

Nicomède garda le silence pendant un long moment tandis que je méditais ces paroles. Les étoiles de la Judée scintillaient dans le ciel et la puissante odeur de l’argile humide montait jusqu’à nous avec les effluves du four du potier. Ce que je venais d’entendre me touchait étrangement au plus profond du cœur, lors même que je savais que cela dépassait mon entendement.

— Est-ce tout ce que tu sais de son royaume ? finis-je par demander humblement.

Nicomède réfléchit un instant.

— J’ai su par ses disciples, dit-il, qu’il s’était retiré dans le désert avant de commencer à prêcher. Là, il veilla et jeûna durant quarante jours et fut en proie à toutes les visions et à toutes les apparitions que les forces de la terre utilisent pour induire en tentation celui qui jeûne. Le diable l’emmena sur une montagne très élevée, lui montra tous les royaumes du monde avec leur gloire et lui en promit la possession s’il tombait à ses pieds et l’adorait au lieu de poursuivre la mission pour laquelle il était venu ici-bas. Mais lui sut vaincre cette tentation et voici que des anges s’approchèrent et le servaient. Puis il regagna la société des hommes, se mit à prêcher et à accomplir des miracles, enfin réunit ses disciples. Voilà tout ce que je connais de son royaume : ce n’est point un royaume des hommes, et pour cela sa condamnation à mort fut un crime plein d’iniquité.

Qu’il eût parlé d’anges et de visions me fit éprouver quelque gêne car, après une veille et un jeûne prolongés, n’importe qui tant soit peu doué de sensibilité est susceptible d’avoir des visions, qui d’ailleurs disparaissent aussitôt qu’il prend quelque nourriture, boit et retourne à la vie normale.

— En quoi consiste son royaume ? demandai-je brusquement à Nicomède.

Il poussa des cris de lamentations en levant les bras au ciel.

— Comment, s’exclama-t-il, comment pourrais-je le savoir moi qui seulement ai entendu la voix du vent ? En le voyant, j’ai cru que le royaume était arrivé sur la terre. Il m’entretint également de beaucoup d’autres choses ; ainsi, il me dit que Dieu n’a point mandé son fils pour condamner le monde mais pour que le monde soit sauvé par lui. Mais cela n’a pas été ! On l’a crucifié et il a péri d’une mort ignominieuse. Et sans lui, il n’y a plus de royaume.

En dépit de mon cœur qui me soufflait d’autres paroles, la raison m’obligea à prononcer ces mots sur un ton ironique :

— Tu ne me donnes pas grand chose, rabbin d’Israël ! Juste la voix du vent et tu ne crois même pas sincèrement qu’il ait ressuscité.

— Non, je ne suis point rabbin d’Israël, balbutia-t-il humblement. Je suis le plus insignifiant des fils d’Israël et mon âme est plongée dans la douleur. Cependant, je vais te donner quelque chose. Lorsque le semeur a jeté la graine, il n’a plus à s’en préoccuper, la graine lève et le vent et les pluies font éclater les bourgeons de la tendre tige qui ne cesse de croître, même lorsque se repose le semeur en attendant l’époque de la moisson. C’est ce qui m’arrive, et ce qui t’arrivera également si tu es sincère. Peut-être une graine a-t-elle été semée en moi qui commence à donner des bourgeons. Peut-être également as-tu reçu une graine qui donnera des fruits lorsque l’heure en sera venue. Je ne puis rien faire d’autre qu’attendre tout en reconnaissant que je comprends bien peu de choses et combien fragile est ma foi.

— Eh bien ! moi, je ne me résigne pas à attendre, rétorquai-je fébrilement. Ne comprends-tu pas qu’aujourd’hui l’impression reçue n’a point encore été effacée de notre esprit, mais que chaque jour qui passe en emporte un morceau avec lui ? Aide-moi à rencontrer ses disciples ! J’imagine qu’il leur a révélé le secret de son royaume d’une manière plus aisée à déchiffrer. Mon cœur brûle, je suis prêt à tout croire pourvu que l’on m’en démontre la vérité !

Le vieillard poussa un profond soupir.

— Les onze disciples qui restent sont pleins de crainte, de confusion, ils sont en proie à une terrible désillusion. Ce sont des hommes simples, encore jeunes et dépourvus d’expérience. Lorsqu’il était en vie, ils commentaient entre eux ses enseignements, se répartissaient les charges du royaume au sujet duquel ils ne cessaient de vaticiner, ne tenant nul compte de ce que disait leur maître ; ils ont cru en un royaume terrestre jusqu’à l’ultime minute ! La dernière nuit encore, avant qu’on ne le fasse prisonnier, lorsqu’il partagea l’agneau pascal avec eux selon la coutume de ceux qui attendent dans le désert et qu’il leur assura qu’il ne boirait plus désormais du fruit de la vigne jusqu’à ce qu’ils se retrouvent dans le royaume. Je crois d’ailleurs que c’est pour respecter ces mots qu’il refusa le vin enivrant que les femmes de Jérusalem lui offrirent avant sa mise en croix. Mais sa promesse persuada les plus naïfs de ses amis qu’il appellerait à son secours une légion d’anges du ciel qui lutteraient et fonderaient son royaume où chacun d’entre eux gouvernerait une tribu d’Israël. Tu comprends donc que sa doctrine n’a point encore eu le temps de faire son chemin en eux. Ces pauvres hommes dépourvus de culture ne savent guère où ils en sont, bien qu’ils aient vécu avec lui et qu’ils aient été les témoins de toutes ses actions. Ils craignent pour leur propre vie et demeurent cachés. Si tu les rencontrais, tu serais surpris de leurs récits et plus désemparé encore qu’eux-mêmes ne le sont.

Mais je ne pouvais comprendre.

— Pourquoi donc a-t-il choisi pour seuls disciples ces hommes simples ? demandai-je avec irritation. S’il était vraiment capable d’accomplir d’aussi magnifiques miracles que ceux dont on m’a parlé, il aurait pu choisir aussi des personnes évoluées.