Выбрать главу

— La paix sur toi, étranger.

Je sursautai à ce salut inattendu, mais répondis courtoisement :

— La paix sur toi également, femme.

La femme se mit à genoux devant moi en disant avec humilité :

— Je suis ta servante, commande et j’obéirai.

Je devinai le vil métier qui était le sien et la repoussai.

— Passe ton chemin, je ne veux rien de toi.

Mais elle agrippa le pan de mon manteau avec insistance.

— Je suis pauvre et n’ai pas de chambre où t’amener, mais dans la muraille même il y a un creux où personne ne peut nous voir.

Elle était complètement enveloppée dans ses vêtements et un voile couvrait sa tête selon la coutume des femmes juives, si bien qu’il me fut impossible d’entrevoir son visage et d’avoir une idée de son âge. Mais son dénuement me toucha et me fit souvenir du conseil de Nicomède. Je mis donc dans sa main toutes les pièces d’argent que je considérais devoir au vieux rabbin pour l’entretien qu’il m’avait accordé. Et je dus insister avant qu’elle ne finît par se convaincre que je ne désirais rien d’elle en retour. Lorsqu’elle eut enfin compris, elle voulut baiser mes pieds.

— Jamais personne ne m’a rien donné sans me demander quelque chose en échange. Que le dieu d’Israël te bénisse, bien que je n’aie aucun droit de bénir quiconque et que même mon argent ne soit pas accepté au temple. Au moins dis-moi ton nom, afin que je puisse prier pour toi.

Il ne me paraissait guère convenable de révéler mon nom à une femme qui exerçait cette profession, mais je ne voulais pas la blesser. Aussi lui répondis-je :

— Suivant l’usage chez les Romains, je m’appelle Marcus. Je ne suis pas de Jérusalem.

— Je suis Marie pour te servir, dit-elle. Mais les Maries sont ici plus nombreuses que les grains de la grenade, aussi m’appelle-t-on Marie de Beerot, le village des puits, ceci afin que tu me reconnaisses des autres Maries que tu vas rencontrer sûrement sur ta route, toi qui es si généreux.

— Je ne suis pas généreux, rétorquai-je pour m’en débarrasser. Je me suis acquitté d’une dette et il ne convient pas que tu m’en remercies. Va en paix comme moi je m’en irai et oublie-moi comme je t’oublierai.

La femme essaya de voir mon visage dans l’obscurité.

— Ne méprise pas la prière du pauvre, dit-elle suppliante. Il peut lui arriver de te secourir au moment le plus inattendu.

— Tu ne me dois rien, répétai-je, et je ne te demande rien. Je cherche seulement le chemin, mais je ne pense pas que tu puisses me l’indiquer.

— Toi, étranger, tu cherches le chemin ? s’empressa-t-elle de répondre. Mais nombreux sont les chemins et tous dépourvus de sens. Tu te perdrais certainement si tu étais ton propre guide.

Sa réponse ne pouvait pas être le fruit du seul hasard. Mais je ressentis une déception en voyant que les doux de la terre étaient apparemment des êtres méprisables et à part du reste des hommes. Il me vint cependant en mémoire l’histoire du rat qui en rongeant les cordes délivra le lion prisonnier.

— On m’a dit qu’il n’y avait qu’un seul chemin, dis-je alors. Je voudrais acquérir un cœur doux et humble, si je savais comment m’y prendre.

La femme alors étendit son bras et passa sa main sur mon visage dont elle remarqua la barbe naissante. Malgré mon désir ardent d’humilité, le contact de cette main m’inspira de la répulsion, et je dus faire un mouvement de recul car elle la retira aussitôt.

— Ce sont les malades qui ont besoin du médecin, pas les bien-portants, dit-elle d’une voix triste. Tu n’as pas eu pitié de moi pour moi-même, tu voulais seulement payer une dette qui pesait sur ton cœur. Tu n’es pas assez malade pour désirer vraiment au fond de toi entreprendre la route. Mais j’ai été envoyée pour t’éprouver. Si tu m’avais suivie dans le refuge de la muraille, tu en serais parti aussi triste que moi. Je te donne l’espoir, Marcus, si tu es réellement sincère en demandant le chemin.

— Je suis sincère et ne veux de mal à personne, affirmai-je. Mais je veux savoir la vérité sur des choses que sans doute tu ignores.

— N’aie pas de mépris pour le savoir d’une femme, me répondit-elle. Ce que connaît une femme compte peut-être davantage dans le royaume que les raisonnements d’un homme, bien que je sois la plus méprisable d’entre toutes les femmes d’Israël. Mon savoir de femme me dit que les jours que nous vivons sont des jours d’attente, où une sœur rencontre sa sœur sans la dédaigner, et un frère rencontre son frère sans le condamner. Voilà pourquoi maintenant mon âme est emplie de plus de lumière qu’autrefois, même si je suis une femme perdue.

Tant d’espoir joyeux vibrait dans sa voix que je me vis forcé de croire qu’elle savait réellement quelque chose.

— Cette nuit j’ai écouté un rabbin d’Israël, expliquai-je. Mais il était plein d’incertitudes, sa foi était fragile et ses paroles n’ont pas réchauffé mon cœur. Marie de Beerot, pourrais-tu, toi, me donner un meilleur enseignement que lui ?

En disant cela, je pensais que peut-être cette Marie n’était pas une femme aussi mauvaise qu’elle le paraissait. Peut-être bien aussi l’avait-on mise sur mon chemin pour me mettre à l’épreuve d’une manière ou d’une autre, puisque de toute façon je devais passer par cette porte pour rejoindre ma nouvelle chambre.

— Quel espoir me donnes-tu ? lui demandai-je.

— Tu connais la porte de la Fontaine ?

— Non, mais je n’aurai point de mal à la trouver si besoin est.

— C’est par cette porte que l’on gagne la vallée de Cédron et la route de Jéricho. Peut-être est-ce là le chemin que tu cherches. Sinon, attends que ta barbe pousse, puis un jour va à la porte de la Fontaine et regarde autour de toi. Il se peut que tu voies venir un homme portant une cruche. Suis-le. Peut-être te répondra-t-il lorsque tu t’adresseras à lui. Mais s’il ne te répond point, je ne peux guère t’aider.

— Aller chercher l’eau n’est pas le travail d’un homme, dis-je d’une voix méfiante. Ce sont les femmes qui portent l’eau, aussi bien à Jérusalem que dans le monde entier.

— C’est justement à cela que tu le reconnaîtras, m’assura Marie de Beerot. Mais s’il ne te parle pas, ne perds point courage. Reviens un autre jour pour tenter ta chance une nouvelle fois. C’est tout ce que je peux te dire.

— Si ton conseil est bon et que tu m’aides en ce que je désire, je serai encore en dette avec toi, Marie.

— Au contraire, répliqua-t-elle vivement. C’est moi qui paie ma dette si je peux indiquer le chemin à un autre. Mais si la tienne te pèse, donne ton argent aux pauvres et oublie-moi. Il est inutile que tu viennes me chercher ici dans le creux de la muraille parce que je n’y reviendrai plus jamais.

Nous nous séparâmes sans que je pusse voir son visage et le reconnaître à la lumière du jour. J’avais cependant le sentiment de pouvoir toujours identifier sa voix pleine de gaieté si j’avais l’occasion de l’entendre une autre fois.

Je regagnai ma maison et gravis l’escalier extérieur. En me remémorant tous les événements survenus durant cette nuit, je ne pus empêcher une certaine irritation de me gagner devant ce goût du mystère qu’affectent les gens d’ici Nicomède savait certainement plus que ce qu’il m’avait révélé ; j’avais en outre la nette impression d’avoir été espionné : on attendait quelque chose de moi.

Les disciples du roi ressuscité ainsi que les amies juives de Claudia Procula s’imaginent sans doute que je suis au courant de choses sur lesquelles ils ne sont pas eux-mêmes aussi bien renseignés, mais ils n’osent pas se montrer ouvertement. On ne peut, certes, leur en vouloir pour cette méfiance à l’égard des étrangers : leur rabbin vient d’être condamné, maudit et crucifié.