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Il garda le silence puis, baissant la tête, il poursuivit :

— Ne va point croire que je sois un charlatan ! Peut-être ne peux-tu comprendre ce que je dis, mais est-ce que je le comprends moi-même ?

Puis il dit encore :

— Ne perds point courage à me voir si plein de tristesse. Tu es sur le bon chemin, je te l’assure. Si tu le suis, tu ne peux t’égarer.

Il se leva et secoua sa cape.

— Sans doute désires-tu rencontrer mes deux sœurs., ajouta-t-il devinant mes intentions. Je te conduirai auprès d’elles, mais permets-moi de me retirer aussitôt. Je n’éprouve aucun plaisir à demeurer parmi les gens.

Je pensai qu’au milieu de personnes normales, il devait avoir l’impression d’appartenir plus aux morts qu’aux vivants. Je remarquai également qu’il se déplaçait avec difficulté, comme s’il n’avait point la complète maîtrise de ses membres. Quiconque l’eût rencontré sans connaître rien de lui, n’eût pu s’empêcher de le considérer comme un être bizarre.

Il ne suivit pas le sentier qui menait au village mais, en marchant devant moi, il me conduisit au détour de la colline voir le tombeau creusé dans les rochers d’où le Nazaréen l’avait fait sortir.

La maison que Lazare occupait avec ses sœurs faisait partie d’une riche propriété. Au fur et à mesure que nous nous en approchions, il me fit remarquer les deux ânes qui paissaient dans un pré, la vigne, le berger, jusqu’aux volailles qui grattaient le sol aux alentours de la maison ! On aurait dit que, suivant la coutume des paysans, il s’assurait du fait que je me rendais bien compte de n’avoir point affaire à des gens démunis. Et tout était si accueillant et palpable dans cette paix, que j’avais du mal à imaginer que l’homme qui marchait à mes côtés prétendait avoir ressuscité d’entre les morts !

Mais à présent je comprenais que la question concernant sa résurrection n’était que subsidiaire ; ce qu’il m’importait de savoir c’était si Jésus de Nazareth était réellement fils de Dieu et s’il avait ressuscité ; car, s’il en était ainsi, pourquoi n’aurait-il pas réveillé Lazare ? Soudain, je pris conscience du chemin qu’avaient pris mes réflexions, et je me sentis plein d’étonnement : étais-je encore le Marcus qui avait fait ses études à Rhodes, qui avait erré des nuits entières par les rues chaudes de Rome, aimé la femme d’un autre à la folie parmi les roses de Baiae, le même qui, à Alexandrie, après l’étude des prophéties, se livrait à la débauche jusqu’au petit matin ?

Étais-je possédé ou simplement victime de la magie hébraïque pour cheminer ainsi, le manteau couvert de poussière et empestant la sueur, à travers un village juif, poursuivi par le caquètement des poules, à la recherche de témoins de résurrections et autres miracles, et d’un dieu fait homme, mort puis ressuscité afin de changer les choses d’ici-bas ? Il est vrai que si tout cela a eu lieu, le monde ne pourra plus être le même. Précédé par Lazare, je franchis le seuil d’une grande pièce baignant dans la pénombre : en bas je distinguai des jarres en terre, des sacs et un râtelier pour les animaux, l’étage me parut succinctement meublé. Lazare alors appela ses sœurs et me conduisit près du puits devant la maison où il m’invita à m’asseoir. Les femmes arrivèrent, les yeux baissés et le visage voilé suivant la coutume paysanne.

— Voici mes sœurs, Marthe et Marie. Tu peux les interroger, dit Lazare qui s’éloigna aussitôt, pour ne plus revenir.

— J’aimerais, dis-je après les avoir saluées, que vous me parliez du rabbin qui avait l’habitude de vous rendre visite et qui réveilla votre frère de la mort, d’après ce que l’on m’a raconté.

Les femmes se troublèrent et, tout en se regardant du coin de l’œil, se couvrirent la bouche avec le pan de leur manteau. Puis, Marthe, l’aînée, se décida à parler.

— C’était le Fils de Dieu, dit-elle. Si tu veux, tu peux faire venir les gens du village, car tous étaient présents et ont vu comment il a ordonné que la pierre tombale fût retirée et comment il a crié à mon frère de sortir de son tombeau. Lazare est apparu enveloppé dans le linceul, le suaire recouvrant encore son visage, si bien que tout le monde resta paralysé de terreur. Mais c’était bien notre frère ! Nous lui ôtâmes le drap mortuaire et vîmes qu’il était vivant. Plus tard, il but et mangea en présence des gens qui le regardaient, tous pleins de doute et d’inquiétude.

— Il y a aussi dans le village, ajouta Marie, un aveugle auquel il a rendu la vue. Veux-tu le voir pour croire ?

— On m’a dit en effet qu’il avait guéri des aveugles et rendu l’usage de leurs membres à des paralytiques, répondis-je. Mais ils sont trop nombreux, cela ne vaut pas la peine de les déranger. Je préférerais entendre parler de son royaume. Que disait-il à ce sujet ?

— Il savait déjà qu’il allait mourir et de quelle manière, même si nous ne le comprenions pas, affirma Marie. Après avoir ressuscité mon frère, il se retira dans le désert parce que la foule était trop nombreuse autour de lui. Puis il revint nous visiter six jours avant la fête de la Pâques. Tandis qu’il mangeait, je lui oignis les pieds et les essuyai avec mes cheveux afin de lui témoigner mon amour. Voici qu’il me dit alors que cette onction servirait pour le jour de sa mort. Mais je ne comprends pas plus que ma sœur pourquoi tout devait se passer ainsi, ni pourquoi il devait mourir de si horrible façon.

— Comment nous, femmes que nous sommes, pourrions-nous le comprendre ? l’interrompit Marthe. On dit que tout est arrivé ainsi afin que soient accomplies les prophéties. Mais moi, pauvre femme, je ne comprends guère à quoi sert qu’elles s’accomplissent : il était ce qu’il était et ses actions en étaient un suffisant témoignage ! Peut-être était-ce nécessaire seulement pour convaincre davantage les savants. Seuls les hommes ont la faculté de raisonner tandis que nous, les femmes, n’avons rien reçu en partage.

— Mais que disait-il de lui-même et de son royaume ? insistai-je.

Marthe s’adressa à sa sœur :

— Marie, réponds-lui, toi qui l’as écouté, dit-elle. Moi, je pourrais expliquer la façon de faire le pain, de griller la viande, de cueillir le raisin ou de presser le vin, ou encore je pourrais vous conseiller sur le soin à donner aux figuiers, mais tout le reste, je l’ignore. Je n’avais guère besoin de phrases pour croire qu’il était plus qu’un homme.

Après avoir réfléchi, Marie ouvrit enfin la bouche :

— Nul homme au monde n’a jamais parlé comme lui. Il parlait comme celui qui détient tout pouvoir. Il disait qu’il était venu pour être la lumière du monde afin qu’aucun de ceux qui croient en lui ne demeure dans l’obscurité.

— Que sont la lumière et l’obscurité ? demandai-je avec impatience.

— Bien sûr, répondit Marie en secouant la tête, comment pourrais-tu comprendre, toi qui ne l’as pas entendu prêcher ? Il disait : « Celui qui me voit, voit Celui qui m’a envoyé. » Et il disait aussi : « Je suis le chemin, la vérité et la vie. »

Il me sembla enfin avoir compris.

— Ainsi donc, dis-je, lorsque je cherche le chemin, c’est lui que je cherche ?

Marie approuva d’un signe de tête. Sans crainte maintenant, elle s’agenouilla à mes pieds et leva son visage vers moi. Puis, comme pour me faire bien comprendre, elle me posa une question :

— Quelle est la chose qui te paraît la plus difficile, dire à quelqu’un : « Tes péchés ont été pardonnés » ou bien appeler mon frère Lazare et le faire sortir de son tombeau quatre jours après sa mort ?

Je méditai longuement avant de lui donner un réponse.

— Les deux choses me paraissent également difficiles, dis-je enfin, et inconcevables pour un esprit rationnel. Comment un homme pourrait-il pardonner les péchés d’un autre ? Et d’ailleurs, qu’est-ce que le péché ? Si l’on y réfléchit bien, on s’aperçoit que toutes les philosophies se bornent à enseigner à l’homme, d’une part à vivre en accord avec sa raison et à s’abstenir de faire tort délibérément à ses semblables, et d’autre part à se préparer à la mort avec sérénité. Mais l’homme ne peut éviter de commettre de mauvaises actions. Il lui est tout juste permis, à l’examen de ces dernières, de prendre la résolution d’être plus prudent à l’avenir. Et nul être au monde ne peut l’y aider. C’est à chacun d’entre nous de répondre de ses propres actes.