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Elle haletait de colère mais parvint peu à peu à se calmer.

— Oui, je sais, c’est lui qui les en a empêchés. Il disait : « Tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive. » Sur le chemin de Jérusalem, il avait dit cependant : « Que celui qui possède un manteau le vende dès maintenant pour s’acheter un glaive. » Je ne comprends pas ! Voulait-il mettre leur foi à l’épreuve ou bien leur donner confiance en eux-mêmes ? Je n’en sais rien. Simon Pierre a frappé Malchus le serviteur du grand prêtre et son coup lui trancha l’oreille lorsqu’il s’approcha dans l’obscurité de la nuit pour s’emparer de Jésus ; mais ce dernier remit l’oreille à sa place, de sorte que l’on ne voit plus maintenant qu’une légère cicatrice à l’endroit où le glaive a porté. Ce sont les parents de Malchus qui ont divulgué l’histoire bien qu’on eût rigoureusement interdit à leur fils d’en souffler mot.

« Ne te fâche pas si je me laisse aller à ma colère, ajouta-t-elle, permets-moi de dire tout ce que j’ai sur le cœur au sujet de ces couards ! La dernière nuit, Jésus demeura seul, il connaissait son destin et priait ; on raconte que durant sa terrible agonie il sua des gouttes de sang. Il ne leur avait rien demandé, sinon de veiller avec lui. Eh bien ! Sais-tu ce qu’ils ont fait ? Ils n’ont rien trouvé de mieux que de s’endormir profondément dans le jardin. Vraiment, je ne comprends pas et ne peux leur pardonner. Et c’est eux qui prétendent mettre le feu au temple ! Eux, qui ne furent même pas assez hommes pour tuer le traître qui s’est pendu ! Cela dépasse mon entendement, je ne vois pas ce qu’il leur trouvait ni pourquoi c’est justement eux qu’il élut auprès de lui.

Tant de féminité se dégageait de cette Marie de Magdala tandis qu’elle proférait ses capricieuses accusations, que j’aurais aimé lui sourire et caresser sa joue afin de l’aider à se libérer dans les larmes de sa colère sans espoir. Mais je n’eus ni le courage de sourire ni celui de l’effleurer. Je ne sus que lui dire ces mots le plus délicatement qu’il me fut possible :

— S’il en est ainsi, si vraiment ils sont dans l’affliction et ne savent que penser à son égard bien qu’ils aient appris de sa bouche le sens de leur mission, comment veux-tu que moi, l’étranger, je n’aie point l’esprit troublé ? Cependant je suis persuadé que nul parmi eux ne périra, du moins pas avant qu’ils ne sachent interpréter ce qu’ils ont appris. Même un homme à l’intelligence la plus fine aurait du mal à saisir la signification de ces merveilleux événements.

« Toutefois, comme ils vivent depuis leur enfance attachés aux préjugés des fils d’Israël auxquels ils sont encore soumis, il vaudrait mieux ne point faire appel à mon témoignage devant eux, ni même y faire la plus légère allusion. Ils ne ressentiront que mépris à mon encontre parce que je suis Romain, de même qu’ils te méprisent toi, d’après ce que j’ai compris, pour avoir fréquenté des étrangers.

Elle redressa vivement sa tête orgueilleuse, mais je l’arrêtai d’un geste de la main.

— En ma qualité de Romain, me hâtai-je d’expliquer, je te comprends, Marie, beaucoup mieux qu’un homme de ce pays ne le pourrait. Les femmes jouissent à Rome d’une grande liberté et sont considérées à l’égal des hommes : elles lisent, assistent à des lectures publiques, vont écouter de la musique et choisissent leurs amants comme bon leur semble. Je les crois même plus habiles que les hommes, car elles possèdent plus d’astuce et en maintes occasions savent se montrer plus impitoyables, leurs pensées n’obéissant point comme la nôtre à un raisonnement logique. Ainsi donc soyons amis ! Toi, Marie de Magdala, veuille accepter l’amitié de Marcus Manilianus de Rome. Je respecte en toi la femme et je te respecte surtout parce qu’il t’a permis de le suivre. Je ne parlerai point de la vision que tu m’as contée, mais sois certaine que je ne cesserai jamais d’être pénétré de l’idée qu’il a ressuscité puisque je l’ai vérifié de mes propres yeux. Sans doute, précisément parce que tu es une femme, le perçois-tu plus clairement que ses disciples.

« J’aimerais pourtant, ajoutai-je avec la plus grande prudence, j’aimerais les rencontrer une fois, sinon tous, du moins l’un d’entre eux, afin de me faire une idée du genre d’hommes auquel ils appartiennent.

— Je ne suis pas brouillée avec eux, reconnut-elle de mauvaise grâce après avoir hésité un instant. Qui prendrait soin de ces hommes et veillerait à ce qu’ils ne manquent de rien à présent qu’ils vivent cachés ? Ce sont de simples pêcheurs ! Impuissants à vaincre leur inquiétude et leur angoisse, ils s’irritent les uns contre les autres et c’est moi qui dois les réconcilier et les calmer, bien que cela puisse te surprendre après tout ce que je t’en ai dit il y a un moment. Je reconnais en eux également beaucoup de bien. Leur plus cher désir est de retourner en Galilée, mais ils sont pour l’instant absolument incapables de prendre une résolution. Leur accent de Galilée les ferait reconnaître facilement aux portes de la ville ou sur les routes ; en outre, leurs visages ne ressemblent point à ceux des autres, car après avoir partagé la vie de Jésus ils ont changé, ils sont différents des pêcheurs ordinaires. Peut-être est-ce difficile pour toi de l’imaginer, mais je suis sûre que tu t’en apercevras si tu as l’occasion de les rencontrer.

Alors, d’une manière inattendue, elle se lança dans la défense de ses amis.

— Il avait ses raisons pour les choisir malgré leur modestie, affirma-t-elle. Le seul parmi eux que l’on puisse considérer comme ayant reçu une certaine instruction s’appelle Matthieu, c’est un ancien publicain. Et quand je pense aux hommes cultivés comme les scribes ou les philosophes, je me demande comment ils pourraient entendre sa doctrine. De même qu’un scribe passe des années à méditer sur une seule phrase des livres sacrés ou qu’un Grec écrit un livre sur le seul nom d’un lieu de l’Odyssée, de même un érudit passerait sa vie entière à soupeser une seule de ses phrases. Et en réfléchissant bien, je me souviens à présent qu’il a dit un jour que seuls les humbles et les enfants auraient accès à certaines vérités et non les savants.

Ceci me donna à penser. Il se pouvait que Marie fut dans le vrai : du moment qu’il s’agissait d’une doctrine complètement nouvelle et aussi dépourvue de sens que celle que Marie m’avait révélée, un esprit pénétré d’antique sagesse et féru d’idées anciennes ne pouvait l’accepter sans la discuter. Moi-même ne me heurtais-je point sans cesse au passé et à tout ce que l’on m’avait enseigné ?

— Suggérait-il cela lorsqu’il déclara à Nicomède que l’homme doit naître une nouvelle fois ? demandai-je d’une voix éteinte comme si je me fusse parlé à moi-même.

— Nicomède fait partie des doux de la terre, observa Marie de Magdala. C’est un homme pieux et de bonne volonté qui connaît par cœur les Écrits sacrés. Mais dès qu’il se trouve confronté à une pensée inédite, il veut aussitôt la comparer avec ce qui est déjà écrit. Il aura beau naître une nouvelle fois, il sera toujours un petit enfant emmailloté dans des couches trop étroites.

L’idée de l’enfant enveloppé dans ses couches amena un sourire sur les lèvres de Marie. En voyant son visage de pierre livide ainsi illuminé et ses yeux pétillants de joie, je songeai qu’en son temps cette femme avait dû être d’une beauté éblouissante et dus reconnaître par-devers moi devant ce fragile sourire, qu’elle était encore fort belle.

Par une étrange association d’idées, il me vint à l’esprit l’image de la lune à son zénith et je me souvins que Marie de Magdala avait fait sa fortune en élevant des colombes.