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— Je m’appelle Marc, dit-il.

Et tandis que je m’essuyais, il se mit à parler avec volubilité d’une voix prête à éclater de fierté.

— J’étais avec le Maître la nuit où ils l’ont capturé. J’ai sauté du lit vêtu de ma seule tunique et j’ai couru pour l’avertir parce que je savais bien qu’il se trouvait dans le jardin de Gethsémani. Ils m’ont attrapé et, dans la lutte qui s’ensuivit, mon vêtement s’est déchiré et j’ai dû m’enfuir tout nu avec les autres.

— Ne parle pas à tort et à travers, lui intima mon guide.

Ce dernier toutefois, faisant taire ses propres craintes, me parut animé lui aussi d’une impatience ardemment réprimée.

— Je suis Nathanaël, dit-il dès que nous nous retrouvâmes dans la cour silencieuse. À quoi bon te cacher mon nom ? Pour ma part, je l’ai rencontré sur le chemin d’Emmaüs le jour où il abandonna son sépulcre.

— Oui, mais au début tu ne l’as même pas reconnu ! observa Marc.

Nathanaël posa sa main sur la nuque du jeune garçon et ce geste parut l’apaiser ; il prit en toute confiance ma main dans la sienne, et je notai au contact de cette tiède main juvénile que l’enfant n’avait guère encore touché aux rudes travaux. Sans me lâcher, il me fit gravir un escalier et nous atteignîmes la galerie qui entourait la terrasse et menait à la salle du haut. C’était une grande pièce, chichement éclairée par une lampe qui laissait les coins dans l’ombre.

En entrant, je remarquai deux hommes qui m’attendaient : debout l’un à côté de l’autre, ils se tenaient par la main sans mot dire. Je reconnus l’un d’eux, Jean, le beau jeune homme que j’avais vu en compagnie des femmes sur la colline du supplice. À le voir de près à la faible lumière ambiante, je pus admirer l’indescriptible pureté de son jeune visage. L’autre, un homme fait au front sillonné de rides, me dévisageait d’un œil scrutateur empli de méfiance.

— La paix soit avec vous, prononçai-je en m’avançant.

Mais nul ne me répondit. Jean, finalement, jeta un regard à l’homme plus âgé comme pour le prier de dire quelque chose, mais les yeux de son compagnon ne perdirent rien de leur expression défiante tandis qu’il m’examinait de la tête aux pieds.

Le silence se fit plus lourd encore.

— Il m’a suivi, se décida à dire Nathanaël comme pour s’excuser.

— Je cherche l’unique chemin, affirmai-je avec ferveur, redoutant d’être rejeté par les deux hommes sans plus d’explications.

De nombreux sofas étaient disposés autour d’une grande table et j’en conclus que cette pièce devait servir de salle de banquets.

Après son examen minutieux, l’homme qui paraissait si peu confiant fit un geste de la main.

— Nathanaël et Marc sortez ! ordonna-t-il. Mais demeurez dans la cour et surveillez si tout va bien.

Il ferma la porte après leur départ avec une énorme clef.

— La paix soit avec toi, étranger, dit-il enfin. Qu’attends-tu de nous ? J’ai bien peur que tu ne sois à la recherche d’un chemin trop étroit pour toi !

Mais Jean intervint alors pour lui adresser ce reproche :

— Ô Thomas ! Pauvre Thomas qui toujours doute de tout et de tous !

Puis, se tournant vers moi, il ajouta :

— Celui qui cherche trouve et la porte s’ouvre pour celui qui appelle. On nous a dit que tu étais doux et humble de cœur. Tu as appelé avec ferveur et voici, nous avons ouvert la porte devant toi.

Après m’avoir invité à m’asseoir il prit place en face de moi, me regardant avec amitié de ses yeux pleins de rêves, transparents comme l’eau d’une source. Thomas hésita un instant puis s’assit à son tour.

— Je suis l’un des Douze dont on t’a parlé, dit-il, un de ceux qu’il a lui-même choisis et élus comme messagers, un de ceux qui le suivaient. Voici Jean, le plus jeune de nous tous et sur lequel je suis chargé de veiller car il manque de défiance. Mais ne nous accuse point d’excès de prudence ! ajouta-t-il. Tu n’ignores pas que les membres du gouvernement cherchent à nous juger nous aussi ; ils racontent que nous avons fomenté une conjuration et que le signal du soulèvement du peuple serait l’incendie du temple ; ils font également courir le bruit que nous avons mis à mort celui qui a trahi notre maître. Je ne te cacherai point que nous avons eu des discussions à ton sujet et que je suis celui qui t’a le plus combattu, mis à part Pierre qui ne veut même pas entendre parler de toi parce que tu es étranger. Mais Marie de Magdala est intervenue en ta faveur.

— Je te connais, affirma Jean, je t’ai vu au pied de la croix et tu n’étais point du côté de ceux qui se moquaient de lui.

— Je te connais moi aussi et l’on m’a parlé de toi, dis-je.

J’avais du mal à détacher mon regard de son jeune visage, le plus beau qu’il m’eût été donné de contempler à ce jour. Il resplendissait comme si jamais l’ombre d’une mauvaise pensée ne l’eût effleuré et sa beauté, cependant, n’était point froide comme l’eût été celle d’une statue, elle frémissait de vie et d’impatientes aspirations. Une impression chaleureuse de paix émanait de lui et venait jusqu’à moi.

— Alors, que veux-tu de nous ? réitéra Thomas.

Son animosité me rendit circonspect, car il semblait soucieux de garder à l’abri de toute personne étrangère le secret dont tous les disciples étaient dépositaires.

— Je vous prie seulement de m’indiquer le chemin, dis-je avec humilité.

Thomas regarda Jean du coin de l’œil et, de mauvaise grâce, se résolut à parler.

— Avant d’être fait prisonnier, il nous a assuré qu’il y avait de nombreuses demeures chez son père ; il a dit qu’il allait tout préparer pour nous les Douze et je crois que c’était vraiment son intention, mais Judas l’a vendu après. Et il avait dit : « Du lieu où je vais, vous connaissez le chemin. »

Thomas pressa son front couvert de rides et ses yeux s’emplirent de trouble.

— Je lui dis alors que puisque nous ne savions point où il allait, nous ne pouvions en connaître le chemin ! Et te voici, étranger, qui viens m’interroger là-dessus alors que je ne sais rien moi-même !

— Thomas ! Ô Thomas, coupa Jean, il t’a répondu disant que lui était le chemin, la vérité et la vie. Comment peux-tu donc nier connaître le chemin ?

À bout de forces, Thomas se leva brusquement, frappant du poing la paume ouverte de sa main.

— Mais qu’est-ce que cela veut dire ? s’écria-t-il. Je ne comprends pas, explique-moi !

Jean avait visiblement grande envie de parler, mais il se retint en ma présence. Je pris un temps de réflexion avant de me mêler à la conversation.

— Le troisième jour, il a ressuscité en son sépulcre.

— Tu l’as dit, confirma Jean. Marie de Magdala vint nous aviser que la pierre de l’entrée avait été enlevée du tombeau ; Pierre et moi, nous avons couru pour vérifier ses dires et nous nous aperçûmes que le tombeau était vide.

— Oui, oui ! ironisa Thomas. Marie a même vu des anges et un jardinier fantomatique !

— Un jardinier ? criai-je dans un sursaut, et quelque chose au fond de moi se mit à trembler.

— Histoire de bonnes femmes ! continua Thomas sans prendre garde à mon interruption. Nathanaël et l’autre l’ont également rencontré sur la route d’Emmaüs et ne l’ont même pas reconnu !

— Il nous est apparu au crépuscule de ce même jour alors que nous étions réunis ici, morts de peur derrière les portes verrouillées, raconta Jean. Il demeura parmi nous, nous parla et nous fit une promesse que j’ose à peine me répéter à moi-même et à plus forte raison à un inconnu. Mais je t’assure qu’il était vivant au milieu de nous ! Il a disparu ensuite comme il était venu, et dès lors nous avons eu la foi.