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Thomas lui coupa la parole.

— J’ai bien l’impression que nous nous sommes fourvoyés en écoutant Marie ! La curiosité de cet étranger ne me dit rien qui vaille !

Puis, s’adressant directement à moi, il menaça :

— Sache que lorsque nous étions avec lui, nous avions le pouvoir de guérir les malades et de chasser les démons ; bien que ce pouvoir soit amoindri, il serait quand même préférable pour toi d’agir prudemment avec nous ! Seul celui que nous choisissions s’approchait de lui, le sais-tu ? Si l’un des Douze a trahi, comment dès lors ne pas nous défier d’un inconnu ?

— Je n’ai peur ni de toi ni de ton pouvoir, lui rétorquai-je. Nul n’a dit qu’il se fût servi de sa force pour frapper ses ennemis, moins encore l’utiliserait-il contre un homme qui le cherche avec ferveur !

— Tu te crois bien informé ! se moqua Thomas. Mais t’a-t-on parlé du figuier qu’il maudit dans sa colère et qui sécha sous nos yeux parce que malgré ses feuilles il ne portait pas de fruits mûrs ? Et note bien que ce n’était même pas la saison des figues !

— Nous n’avons pas compris cette leçon, ajouta Jean, sans doute est-ce une parabole que nous n’avons su déchiffrer.

— Il s’adressait aux foules avec des paraboles, mais il nous a tout expliqué clairement à nous ! le coupa Thomas. Et par quel miracle comprendrions-nous maintenant si on ne comprenait pas à l’époque ? Allons ! Mieux vaut partir d’ici sans plus tarder !

Son opposition jointe à ses menaces eurent enfin raison de mon courage.

— Qu’il en soit selon ton désir ! Je regrette de vous avoir dérangés car je m’aperçois que vous n’aviez nul besoin de moi pour être la proie du tourment ! J’ai quitté Alexandrie pour partir à la recherche du souverain du monde annoncé par les prophètes, ceux d’Israël et ceux de maints autres pays du monde également ; on a observé la conjonction des astres annonçant sa naissance aussi bien à Rome qu’en Chaldée ou en Grèce ! J’ai trouvé ce souverain en Jésus de Nazareth qui fut crucifié comme roi des Juifs et j’ai assisté à sa mort ignominieuse ; certes, son royaume est bien différent de ce que j’imaginais et manifestement de ce que vous-mêmes avez cru, mais j’ai le sentiment cependant que vous n’avez aucun droit de m’interdire de le chercher, ce royaume dont la résurrection de Jésus me prouve l’existence.

Telles furent mes paroles. Puis un profond sentiment de déception s’empara de moi et des larmes de désillusion vinrent brûler mes paupières ; détournant la tête afin de dissimuler mon visage, je contemplai, les yeux tout embués, la grande salle de banquet dont les coins étaient plongés dans l’obscurité. Durant un instant, j’eus la même impression d’imminence que celle que j’avais éprouvée dans la chambre d’hôtes de Lazare, mais à présent ce n’était plus un rêve, au contraire, j’étais complètement réveillé. Je me sentis dominé par le désir d’appeler Jésus et de prononcer son nom à haute voix comme lorsque je me trouvais en compagnie de l’aveugle et que la pierre se changea en fromage dans sa main ; mais la crainte m’empêcha d’agir ainsi dans cette pièce et en présence de ces deux hommes : malgré leurs hésitations et leurs refus, ils devaient bien savoir quelque chose et sans doute leur maître leur avait-il révélé son mystère avant de se mettre en route pour la mort qui scellerait la destinée qu’il était seul à connaître et que ses disciples ne s’expliquaient point encore.

Je renonçai donc à proférer son nom, et balbutiai avec une grande humilité :

— La paix soit avec vous !

Et je fis demi-tour dans l’intention de me retirer.

Thomas passa devant moi afin d’ouvrir la porte, mais après qu’il eut tourné la grande clef en bois et saisi la poignée, celle-ci ne bougea pas. Il tira, refit tourner la clef mais sans plus de succès.

— Cette porte a gonflé et s’est coincée, constata-t-il.

— Ne tire pas si fort, tu vas casser la serrure, l’avertit Jean qui s’approcha pour lui venir en aide mais qui ne réussit pas davantage.

Surpris tous les deux, ils commencèrent à me jeter des regards accusateurs comme s’il y eût de ma faute dans le fait que la porte ne voulût point s’ouvrir. Je tentai ma chance à mon tour et, bien que je n’aie guère une grande expérience de clefs et serrures en bois, je réussis à faire tourner la clef et la porte s’ouvrit sans plus de difficulté. L’air frais de la nuit me saisit au visage, je vis au-dessus de la cour le firmament constellé d’étoiles et une étoile filante laissa sa trace lumineuse dans le ciel tel un avertissement.

J’interprétai l’incident de la porte et à présent cette étoile filante comme la preuve que le roi, à l’encontre de ses disciples, ne désirait point m’exclure de son royaume. Mais ces derniers n’y virent aucun signe : Thomas se contentait de faire tourner et retourner la clef de bois dans le pêne tout en grommelant dans sa barbe qu’un pauvre homme comme lui n’avait pas l’habitude des clefs et autres serrures, n’ayant point possédé quoi que ce soit qui valût la peine d’être enfermé.

Ils restèrent tous deux dans la salle tandis que je descendais l’escalier. Le jeune Marc m’attendait en bas.

— Sauras-tu retrouver ta maison tout seul, étranger ? me demanda-t-il avec sollicitude. La seconde veille a déjà commencé.

— Ne t’inquiète pas ! répondis-je. Un Nathanaël haletant de peur a eu beau, en m’amenant ici, faire mille détours à travers une infinité de ruelles afin que je ne puisse pas repérer le chemin, je crois que je saurai rejoindre la ville basse et de là ma demeure. Je franchirai en premier lieu la muraille et suivrai ensuite la pente jusqu’en bas en prenant les étoiles pour guides. Une fois que j’aurai trouvé le théâtre et le forum, je serai sauvé.

— Mon père et mon oncle m’ont délégué leur pouvoir de maître de maison pour te recevoir cette nuit, se hâta-t-il de dire. Je ne t’ai rien offert car les envoyés du Seigneur ont refusé de partager leur repas avec un Romain. S’il te plaît, accepte de moi cette marque d’hospitalité en me permettant au moins de te raccompagner jusqu’à ton domicile.

— Tu est très jeune et la jeunesse a besoin de sommeil, refusai-je en souriant. Tu as déjà veillé bien tard par ma faute !

— On a du mal à fermer l’œil par des nuits comme celle-là ! assura Marc. Attends un instant, je vais quérir mon manteau.

La servante endormie bougonna sur le seuil de la porte, mais l’enfant lui donna en riant une petite tape sur la joue et se glissa à l’extérieur. Je remarquai qu’il s’était muni d’une canne à bout plombé ce qui me déplut fort, quoique à vrai dire, je ne fus guère effrayé par cet adolescent. Très sûr de lui, il me conduisit directement à la ville basse, sans faire aucune tentative pour se détourner de sa route et éviter que je puisse retrouver sa demeure une autre fois – je l’avais soupçonné au début d’obéir à une idée de ce genre lorsqu’il avait tant insisté pour me raccompagner. Il me prenait la main dans les endroits obscurs et me guidait afin que je ne tombasse point. Je crois qu’il brûlait d’envie de bavarder avec moi, mais je marchais la tête basse et les lèvres serrées et il n’osa point dire un mot. Toutefois je n’avais point encore perdu tout espoir et je finis par m’attendrir et lui adresser la parole.

— Ainsi, tu as connu Jésus de Nazareth ?

Marc serra ma main dans la sienne.

— En vérité je l’ai connu, m’assura-t-il. J’étais présent, j’aidais à préparer le repas et à le servir lorsqu’il a mangé l’agneau pascal avec ses disciples. C’était sa dernière nuit. Mais je l’avais déjà vu avant, lorsqu’il vint à Jérusalem monté sur le petit d’une ânesse. Je l’avais alors acclamé comme le fils de David.