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Il ajouta plein d’orgueil :

— C’est mon père qui avait attaché l’ânon dans un endroit convenu pour que ses disciples puissent le trouver. Ce jour-là les gens étendaient leurs manteaux sur le chemin et criaient : « Hosannah ! » en agitant des palmes. Grâce à mon père et à ma tante, il a pu disposer de la grand-salle sans bourse délier.

— Qui est ton père ? demandai-je par curiosité. À quelle classe d’hommes appartient-il et pour quelle raison s’est-il ainsi comporté avec Jésus au mépris de vos autorités ?

Le jeune homme fronça les sourcils et chuchota :

— Il ne veut pas que son nom soit mentionné quand il s’agit de ces événements. Mais il est de ceux qui ont le cœur plein d’humilité malgré sa richesse. Il est probable que les doux l’ont sollicité afin qu’il protège le roi, mais Jésus a refusé de faire courir des risques à mon père et à sa maison en se laissant arrêter chez nous, aussi a-t-il préféré monter à Gethsémani. Mais le traître Judas connaissait notre salle, ils sont donc venus d’abord à la maison, ils ont frappé et enfoncé la porte : ils portaient des torches allumées et faisaient bruyamment résonner leurs armes. J’ai sauté de mon lit pour aller l’avertir.

Puis il expliqua :

— Mon père peut très bien se défendre devant le Sanhédrin car il loue habituellement la salle du haut pour des noces et des banquets. Mais il n’a pas été inquiété du tout, il a également des amis parmi les membres du Conseil.

« Ils savent peut-être parfaitement que les Galiléens sortent la nuit de leur cachette pour se réunir dans la salle de mon père, mais ils n’ont cure de troubler davantage les esprits en engageant des poursuites contre lui. Un crime déjà pèse sur leur conscience : ils ont assassiné le fils de Dieu !

— Était-il vraiment le fils de Dieu ? dis-je dans l’espoir d’en apprendre davantage.

— En vérité, il était oint fils de Dieu ! répondit-il avec fermeté. Personne au monde, s’il n’eût été l’envoyé de Dieu, n’eût pu accomplir ses œuvres ! En outre, il est ressuscité et il vit bien qu’il ait été mort ! Mon oncle Nathanaël a même partagé un repas avec lui : les cadavres et les esprits dépourvus de corps mangent-ils ? Tu vois bien qu’il est vivant !

Cette foi candide et juvénile suscita l’admiration de mon cœur, mais ma raison me poussa à ironiser doucement :

— Ta sagesse ne doit pas te peser outre mesure, ô toi qui crois tout avec autant de facilité !

— Je sais lire et écrire le grec ainsi qu’un peu de latin ! protesta-t-il. Mon père possède des intérêts à Chypre et même à Rome ! Je ne suis pas si ignorant que tu sembles le croire et d’ailleurs, n’oublie pas qu’il a posé sa main sur ma tête lorsqu’il a séjourné chez nous. Bien sûr, toi tu as du mal à croire parce que tu l’as vu seulement au moment de sa mort d’après ce que l’on m’a dit. Mais moi, je le connaissais au temps de sa force et de son pouvoir !

Nous avions atteint la muraille qui sépare les cités et je m’arrêtai devant la porte où j’avais rencontré Marie de Beerot.

— Je ne me perdrai plus maintenant, dis-je.

Je ne m’éloignai point cependant et Marc ne semblait pas non plus disposé à s’en aller. Une autre étoile filante traversa le ciel.

— Même les étoiles marchent inquiètes dans le firmament des nuits comme celles-ci, remarquai-je. Il va arriver quelque chose. Peut-être ses jours de gloire commenceront-ils maintenant sous une forme que nous ne sommes point en mesure d’imaginer encore.

Marc ne prenait pas congé pour regagner son logis. Indécis et comme intimidé, il triturait le bas de son manteau et remuait la terre sous ses pieds de la pointe de son bâton.

— Je m’étonne que Nathanaël ne l’ait point identifié tout de suite, dis-je, et qu’il ait été nécessaire que le fils de Dieu l’appelât par son nom pour que Marie de Magdala le reconnût enfin !

— Ils n’imaginaient point cela ! justifia Marc. De toute façon, lorsqu’il était en vie, son aspect n’était pas toujours le même mais se transformait suivant ses états d’âme. C’est difficile à expliquer : on aurait dit qu’il possédait le visage de tous les hommes à la fois et ceux qui croyaient voyaient en lui quelqu’un qu’ils avaient un jour aimé. On avait du mal à le regarder en face, ses yeux étaient trop pleins de gravité. J’ai constaté à maintes reprises que des hommes faits baissaient la tête après avoir contemplé son visage.

— Peut-être es-tu dans le vrai, répondis-je. Moi qui l’ai vu sur la croix en ignorant tout de lui, je n’ai pu lever les yeux vers lui, je ne pourrais même pas le décrire. Il faut dire qu’il régnait alors une grande obscurité. Je me figurais que je ne le regardais point par égard pour ses souffrances. Mais cela ne m’étonne guère puisque c’était le fils de Dieu. Même les soldats le reconnurent comme tel lorsqu’il rendit l’âme et que la terre se mit à trembler.

« Néanmoins, ajoutai-je, donnant libre cours à mon amertume, de quelque façon qu’il ait choisi ses compagnons, ils sont totalement dépourvus de culture ! Ils n’ont aucun droit, à mon avis, d’empêcher les autres de chercher leur maître. Il n’y a ni bonté ni justice en cela ! Et je partage ton sentiment, ils exagèrent leur peur afin de garder leur secret pour eux seuls : je suis persuadé que personne ne les inquiéterait s’ils sortaient de leur cachette !

— Je crois que tu te trompes, réfléchit Marc. Il est possible qu’ils aient reçu peu d’instruction, mais eux seraient capables de le regarder en face sans le moindre trouble. Jean d’ailleurs, celui qu’il aimait entre tous, l’a contemplé. Ne les critique pas, étranger !

Je perçus toutefois un sourire dans sa voix lorsqu’il ajouta :

— Je reconnais qu’on a du mal à les comprendre et j’ai l’impression que mon père commence à se lasser car ce sont des hommes querelleurs, prompts à la violence, surtout Pierre, le plus âgé, qui veut toujours commander et ne cesse de se disputer avec les femmes qui pourtant s’occupent de leurs repas et de leur abri ; il a beau être grand et fort, c’est un véritable enfant ! En tout état de cause, les Galiléens sont différents des habitants de Jérusalem, ils ne saisissent pas les subtilités des Écritures comme les rabbins d’Israël ; en réalité ils étaient et ils restent des paysans qui perçoivent le monde d’une manière concrète et terre à terre.

Un silence s’établit entre nous durant un moment.

— Je reconnais qu’ils ont des façons d’agir brutales avec les étrangers et lorsque Jésus vivait, ne l’approchait pas qui voulait ! Tu n’es d’ailleurs pas le seul qui ait cherché à les rencontrer, mais ils n’ont point reçu l’autre personne parce qu’ils ne la considéraient pas comme un véritable fils d’Israël.

— Quel est donc celui qui a tenté de les approcher ? demandai-je intéressé.

— Sais-tu que Jésus s’évanouit alors qu’il était chargé du bois transversal de sa croix et qu’il tomba à terre tant ses forces étaient épuisées ? Les Romains requirent pour porter la croix un passant qui venait des champs ; ils le désignèrent au hasard, croyant que c’était un pauvre travailleur, mais en réalité l’homme réquisitionné est le propriétaire de nombreuses terres et fort estimé à la synagogue des affranchis ; il avait d’ailleurs, après cette aventure, l’intention de déposer une plainte contre les Romains pour leur attitude à son égard, puis il a changé d’avis : originaire de Cyrènes, il n’a jamais voulu se mêler de politique et n’était donc au fait de rien quand cela s’est passé ; mais lorsqu’il apprit toute l’histoire et à qui appartenait le bois dont on l’avait chargé, il en fut atterré et se mit en devoir d’en apprendre davantage sur Jésus par l’intermédiaire de ses disciples. Mais Pierre ne lui a pas accordé sa confiance, c’était l’époque où ils étaient tous morts de peur, et depuis lors, l’homme ne s’est point représenté. Peut-être conviendrait-il que tu le rencontres et parles avec lui. Cela m’étonnerait que Jésus n’ait point prononcé une seule parole digne de souvenir quand il marchait à ses côtés.