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— Il n’est pas seulement un esprit, ne l’as-tu point encore compris ? Il a ressuscité des morts, il demeure parmi nous, il va et vient comme il le désire même à travers les portes closes.

Mais l’esprit servile de Simon refusait de se soumettre.

— Je peux concevoir sa résurrection puisqu’il m’a regardé de cette manière, murmura-t-il. Mais pour quelle raison serait-il apparu devant nous justement ? Cela dépasse mon entendement. Nous ne faisons pas partie de ses disciples et ne le connaissions même pas avant sa mort ; tu es un Romain incirconcis et moi un ancien esclave. Pourquoi le roi devrait-il se manifester à nos yeux ?

— Son royaume était tout proche même avant qu’il n’apparaisse, dis-je. N’as-tu point remarqué comme la pièce s’est illuminée précisément quelques instants avant son entrée ? Tu t’es senti soulagé de ta tristesse et j’éprouvai de mon côté un merveilleux bien-être qui est en moi encore à présent. Pourquoi s’étonner de ses actes ? En se manifestant à nous, sans doute a-t-il voulu signifier que nous aussi avons le droit de chercher son chemin de notre mieux.

— Si c’était lui, je léguerais ma fortune à mes fils pour le suivre où bon lui semble, promit Simon. Mais ce n’était point lui, je te le jure, c’était Éléasar.

Il se mit alors à se lamenter sur sa destinée.

— Pourquoi est-ce à moi que cela devait arriver ? soupirait-il en serrant les poings. Pourquoi n’a-t-il pris dans son filet un homme plus jeune ? C’est ainsi que s’abat le malheur, par surprise et de la manière la moins attendue. Pourquoi me placer juste au milieu de son chemin ? Ô malchance ! Moi qui seulement rêvais de vivre le reste de mon âge en jouissant de ce que je possède.

En l’écoutant j’en arrivais à penser que Simon, bien qu’il ne la désirât point, avait la foi.

— Simon mon frère, crois-moi, dis-je pour lui donner courage. Il est en son pouvoir de t’offrir quelque chose d’incomparablement plus précieux que tout ce que tu as possédé jusqu’à présent ! Mais ne le suis pas, abandonne le chemin s’il est trop ardu pour toi, je ne pense point qu’il oblige qui que ce soit à marcher sur ses pas si l’on n’y est point préparé au plus profond de son être.

— Voici que tu surveilles la voie et disposes des obstacles devant moi à l’instar des disciples qui n’ont même pas accepté de me recevoir. Je suis aussi capable que toi de chercher le chemin, s’il est vrai qu’il nous est apparu, ce que naturellement je ne crois point.

Soudain de violents coups nous firent sursauter. Nous entendîmes grincer la serrure, la porte s’ouvrir puis crier la gardienne qu’un homme de très petite taille écarta vivement avant de pénétrer dans la pièce.

— Où est-il ? sanglota-t-il en se tordant les mains. Où l’avez-vous caché ? J’ai attaché mon âne à l’anneau de l’entrée et je l’ai attendu patiemment lorsque j’ai vu qu’il pénétrait dans cette maison. Mais il n’est pas ressorti. Je veux le voir !

— De qui parles-tu, étranger ? interrogea Simon. Il n’y a personne ici hormis mon invité avec lequel je suis en conversation depuis un long moment déjà.

Le plaisant petit nain fit un pas dans ma direction, leva sa grosse tête vers moi et me regarda avec la fixité de ceux qui n’y voient goutte.

— Ce n’est pas celui-là que je cherche ! finit-il par constater. Il était luxueusement habillé pour un fils d’Israël, son manteau devait être en laine de Milet si je ne me trompe.

— Qui cherches-tu donc ? demanda Simon une nouvelle fois. Est-ce là une façon de se présenter chez les gens ?

— Que t’importe celui que je cherche ? rétorqua le petit homme l’air mystérieux. Ce que je puis te dire, c’est qu’il est passé près de moi et que je ne l’ai point reconnu avant qu’il soit assez loin ; il ne s’est point arrêté et n’a pas écouté mes cris ; j’ai eu beau exciter mon âne, il a atteint la ville avant moi et je l’ai vu entrer dans cette maison.

À ce moment, de nouveau l’on frappa à la porte, et nous vîmes approcher un paysan au visage ouvert, bruni par le soleil.

— Enfin te voici Éléasar ! soupira Simon avec soulagement. Pourquoi ne t’es-tu point arrêté tout à l’heure ? Où étais-tu passé ?

— Je n’étais pas là ! protesta surpris Éléasar. J’arrive à l’instant directement de la campagne. Quelle nouvelle, ô mon maître ? Il y a déjà plusieurs jours que tu n’es point venu visiter tes propriétés. Or la terre tressaille de joie sous les pas du maître et quant à moi je ne sais plus que faire si tu ne viens me donner tes instructions. J’espère que tu n’es pas souffrant.

Je baissai les yeux vers ses pieds : nus, ils étaient tachés de sang, semblait-il.

— Tu es blessé ? signalai-je.

— Non ! répondit Éléasar en regardant ses pieds avec gêne. C’est la couleur avec laquelle nous marquons les agneaux pour le sacrifice et je ne me suis pas lavé : je viens juste pour voir mon maître et qu’il m’explique une fois de plus comment on procède à Cyrènes en hurlant dans mes oreilles : privé de cris, je ne travaille jamais à son goût.

Le petit homme en proie à l’agitation nous regarda tour à tour.

— Vous moquez-vous de moi ? vociféra-t-il se laissant emporter. Vous parlez de champs et de sacrifices tandis que je vous demande textuellement ceci : où l’avez-vous caché ?

— Tu sautes tel un coq devant nos yeux, dis-je. Je suis Marcus, citoyen romain, notre hôte que voici s’appelle Simon et celui-ci est son intendant Éléasar. Quelle espèce d’homme es-tu donc pour oser ainsi venir jeter le trouble dans une maison inconnue comme si tu avais perdu le jugement ?

— Je viens de Jéricho, assura-t-il avec fierté, je suis Zachée l’ancien chef des collecteurs d’impôts ; et ne te moque point de ma petite taille car je suis estimé dans ma cité natale, au moins par les Romains.

Ma surprise fut si grande que je frappai dans mes mains.

— On m’a parlé de toi Zachée, s’écria Simon, et nous discutions à ton sujet il y a un instant. Quel bon vent t’amène chez moi ? Nous nous serions rendus à Jéricho dans l’intention de te rencontrer si ce n’était pas aujourd’hui veille du sabbat.

Zachée nous observait, le regard plein de méfiance.

— Il dit la vérité, m’empressai-je de lui confirmer. Ainsi tu es l’homme qui, sur l’ordre de Jésus de Nazareth, offrit la moitié de sa fortune aux pauvres et restitua quatre fois plus que ce qu’il avait gagné par fraude.

— Ce n’est point sur ses ordres mais volontairement que j’ai distribué mes biens mal acquis. Mais que sais-tu de lui toi un Romain ?

Éléasar, mal à l’aise, grattait le sol avec son pied.

— Je constate que tu vas bien et que tu jouis de toute ta santé, ô maître, se décida-t-il à dire, et je préfère ne point écouter des propos qui remplissent de trouble et remuent les entrailles.

— Ne crains rien, intervins-je, nous allons tout mettre au clair. Pourquoi, toi qui es un pauvre homme, redoutes-tu le nom du Nazaréen ?

Toujours remuant ses pieds, il baissa la tête.

— Léger aurait été son poids sur nous et douce sa chaîne ! dit-il. Il a promis la paix à ceux qui allaient vers lui. Mais quiconque promet aux travailleurs, aux bergers ou aux paysans d’améliorer leur existence est conduit devant les juges ; ils l’ont crucifié lui aussi, lui Jésus, et je ne veux plus entendre parler de lui !

— Non ! cria Zachée plein d’enthousiasme. Ne dis pas cela, tu te trompes ! Il est venu pour chercher les égarés et il m’a appelé, moi aussi, fils d’Abraham, bien qu’il sût que j’étais un homme avare et malhonnête. Il ne s’est pas non plus moqué de mon apparence, mais il a prononcé mon nom et m’a fait descendre de l’arbre où j’avais grimpé pour le voir. Puis il fut l’hôte de ma demeure.