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— Que vient faire tout cela avec Longinus et le bourreau de la légion ? me récriai-je avec colère.

— Il faut avouer que nous avons éprouvé une terrible frayeur à cause du Nazaréen, argumenta Adénabar. Ce n’était pas un homme ordinaire et lorsque ceux qui ont assisté à sa mise en croix, apprirent qu’il était ressuscité, ils en conçurent une terreur plus grande encore : un soldat qui mène une vie monotone est prêt à croire toutes les rumeurs et plus elles sont dénuées de sens, plus facilement il les avale. À présent, il suffit que tombe un bouclier dans l’obscurité de la nuit ou qu’une vieille amphore remplie d’huile se fende d’elle-même répandant sur le sol tout son contenu, pour que la garnison tout entière soit sur pied à invoquer les dieux ! Mais on dit que les Juifs ne vont guère mieux dans la cité, poursuivit-il. Les petits enfants se réveillent au milieu de la nuit prétendant qu’un étranger s’est penché sur leur lit et les a frôlés avec sa main. D’autres disent que la chute de gouttes brûlantes sur leur visage les a sortis au sommeil ; mais une fois la lampe allumée, ils ne voient jamais rien. J’ai entendu dire également que les membres du Sanhédrin se lavent les mains sans relâche et s’adonnent à de nombreuses cérémonies de purification selon les plus sévères prescriptions de leur roi ; les Saducéens eux-mêmes, qui pourtant ne sont point d’ordinaire excessivement scrupuleux, s’y soumettent. Personnellement, il ne m’est rien arrivé de désagréable, je n’ai pas eu un seul cauchemar ! Et toi ?

— Moi ? repris-je sans penser à ce que je disais. Moi, je cherche le chemin.

Adénabar me regarda avec étonnement. Il avait déjà bu plus de la moitié de l’amphore sans prendre la peine de mélanger l’eau au vin bon marché, mais ne manifestait cependant aucun signe d’ébriété.

— J’ai ouï dire, expliqua-t-il, que nombreux étaient les chemins et qu’en maints d’entre eux on pouvait s’égarer. Comment peux-tu espérer, toi un Romain, trouver le chemin quand les Juifs eux-mêmes, n’en sont point sûrs ? J’ai bien peur qu’ils ne te ferment la porte au nez et que tu ne réussisses qu’à te blesser en te cognant contre elle !

— Est-il possible, m’exclamai-je avec surprise, est-il possible que toi, un centurion, tu connaisses les doutes et sois également à la recherche du chemin ?

Adénabar éclata d’un rire bruyant et cria en se tapant les mains sur ses genoux :

— Tu es tombé dans le piège ! Tu n’imagines tout de même pas que j’ignore tes manigances de ces jours derniers. Moi aussi, j’ai des amis à Jérusalem et bien plus que toi, étranger !

Puis, cessant de rire, il expliqua :

— Je crois que c’est une grave erreur de la part des Romains de maintenir ici la même légion durant des années ce qui, en revanche, est fort possible en d’autres contrées : ainsi la légion se familiarise avec le pays où elle a le devoir de faire régner l’ordre et les habitants deviennent amis des soldats et leur apprennent leurs us et coutumes ; et, quand après vingt ans de service, le légionnaire reçoit un bout de terre, il épouse une femme du pays même et enseigne à son entourage les usages romains. Mais cela se passe différemment en Judée ou à Jérusalem : lorsque un étranger demeure longtemps ici, ou bien il est pénétré de la crainte du dieu des Juifs, ou bien il finit par les détester. Tu vas peut-être t’étonner, mais parmi les officiers romains, surtout dans les petites garnisons, on en trouve quelques-uns qui se sont convertis à la religion hébraïque en secret et qui ont accepté de se circoncire. Mais tu peux me croire, ce n’est point mon cas ! C’est par simple curiosité que j’ai acquis des connaissances sur les divers chemins des fils d’Israël, non pas pour les espionner mais pour mieux les comprendre, ne point finir sous la coupe de leur terrible divinité.

— Tu as reconnu toi-même au pied de la croix qu’il était fils de Dieu, lui rappelai-je. Toi-même tu m’as accompagné dans le sépulcre et tu as vu de tes propres yeux le linceul intact après qu’il ait ressuscité.

— Exactement ! approuva Adénabar.

Brusquement, il projeta contre le sol sa coupe en terre qui éclata en mille morceaux et il se leva d’un bond.

— Maudit soit le roi des Juifs ! s’écria-t-il, le visage contracté par la colère. Maudite cette cité ensorcelée et maudit le temple où il n’y a même pas une image de son dieu pour que l’on puisse la mettre en pièces ! Quelle chose étrange de ne point arriver à ôter sa vie à un homme ! D’autres innocents, pourtant, ont été mis en croix auparavant, mais ils n’ont jamais ressuscité. Le Nazaréen a transgressé la discipline des armées !

Déjà avaient résonné les trompettes du temple et déjà les fidèles avaient accompli leurs oraisons nocturnes. Nous entendîmes la fermeture des portes du temple à travers les minces cloisons de ma chambre : le sabbat était terminé. Machinalement, nous poussâmes en chœur un soupir de soulagement. Adénabar me pria de lui pardonner l’accès de colère au cours duquel il avait cassé sa coupe de vin.

— Je suis furieux parce qu’étant centurion, je devrais me montrer plus raisonnable que mes subordonnés, dit-il. Mais peut-être ne suis-je qu’un homme inculte plein de superstition, car la lance de Longinus et les bras du bourreau me tourmentent sans relâche, et moi aussi je suis réveillé en pleine nuit par des pas invisibles. Donne-moi un conseil, toi qui as choisi secrètement ta voie : que dois-je faire pour échapper à ces maléfices juifs ?

— Peut-être, Adénabar, te sens-tu pécheur ? me bornai-je à dire.

— De quel péché veux-tu parler ? demanda-t-il en me regardant d’un air surpris. J’ai toujours satisfait aux exigences de la discipline militaire et toujours obéi aux règlements et aux ordres du mieux que j’ai pu. Tout le monde évidemment a quelques fautes sur la conscience ; mais je ne pense pas être pire militaire ou pire officier qu’un autre et, lorsque l’on m’a parlé d’un probable avancement, j’ai considéré que c’était la juste récompense de mes états de service.

— À ta guise ! répondis-je. S’il en est ainsi, Jésus de Nazareth n’aura pas grand chose à te dire, car il n’est point venu chercher les justes mais les pécheurs. Tu pourrais toutefois échapper à son jugement en disant : « Fils de Dieu, aie pitié de moi parce que j’ai péché. »

— Il m’est plus facile de croire dans les cérémonies de purification, objecta Adénabar. Quelle différence s’il suffisait de se laver et de brûler des fils de couleurs ou je ne sais quoi encore de ce genre ! Je pense que tu es dans l’erreur en ce qui concerne le Nazaréen : il n’est pas venu, que je sache, chercher une autre nation que celle des fils d’Abraham, l’élue de Dieu, comme ils se nomment. Tu as constaté toi-même ce qui lui est advenu. Personnellement, je n’ai fait qu’obéir à un ordre et de ce fait ne suis nullement responsable de sa mort. Le chaos triompherait et il ne pourrait même pas y avoir de guerres dans le monde si un militaire se mettait à se poser des questions au sujet des ordres reçus. N’y eut-il pas un capitaine romain, j’ai oublié son nom, qui fit exécuter son propre fils parce que ce dernier, en dépit des instructions, avait lancé une attaque avec ses troupes et remporté une brillante victoire, mais en contrevenant à la discipline militaire ? C’est du moins ce que j’ai appris à l’école d’officiers.