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— J’ai l’impression que le Nazaréen a voulu, pour une raison que nous sommes incapables de comprendre, que tout se déroulât comme cela s’est déroulé ; mais la lumière se fera promptement puisque son royaume est encore sur la terre. C’est la raison pour laquelle les boucliers se décrochent à Antonia et que des pas mystérieux te tirent la nuit de ton sommeil. Cela indique qu’il attend également quelque chose de nous, les Romains. Mais tu n’as rien à craindre de lui qui prêcha que l’on ne doit pas répondre au mal par le mal : « Si quelqu’un te donne un soufflet sur la joue droite, tends-lui l’autre. » Et il dit encore de nombreuses paroles en complète contradiction avec tout ce que nous sommes accoutumés à considérer comme raisonnable.

Adénabar ne parut nullement étonné de ce que je disais.

— On m’a parlé de sa doctrine, admit-il. C’est pourquoi je pense qu’il est inoffensif même si, à vrai dire, je serais fort embarrassé de me trouver nez à nez avec lui s’il est avéré qu’il se promène en secret par la ville ; j’aurais peut-être les cheveux qui se dresseraient sur la tête s’il m’apparaissait à l’improviste et m’adressait la parole. De toute façon, d’après ce que l’on m’a assuré, il ne se manifeste pas devant un incirconcis, mais seulement à quelques-uns de ses disciples et aux femmes qui vinrent avec lui de Galilée.

Ces propos me touchèrent au fond de moi, si bien qu’oubliant toute prudence, je lui racontai que j’avais vu l’homme à l’allure étrange chez Simon de Cyrènes et que je croyais avoir reconnu le ressuscité dans un jardinier le jour-même de sa résurrection.

— Quelle vie dépourvue de sens as-tu donc menée à Alexandrie ? s’écria-t-il en secouant la tête. Sans doute as-tu lu plus que ton compte ! Ce climat ne te convient pas du tout et le plus raisonnable pour toi serait de t’éloigner d’ici au plus vite. Tu as de la chance que je sois ton ami car je ne te dénoncerai point, mais à la condition que tu recouvres le calme et la paix de l’esprit.

— On m’a déjà suffisamment soupçonné d’être un espion à la solde des Romains pour que je ne me mette pas à mon tour à soupçonner les autres, sinon je pourrais croire que l’on t’a envoyé à moi dans l’intention de m’avertir de cesser de me mêler des affaires des Juifs.

Adénabar évita mon regard et parut troublé.

— Pour être franc, confessa-t-il en se frottant les mains sur les genoux, je t’avouerai que le commandant de la garnison m’a suggéré de venir m’enquérir de ta santé, car il n’a nulle envie qu’un ami du proconsul ait des démêlés avec les Hébreux. Une grande inquiétude règne dans la forteresse et j’ai l’impression qu’il aimerait savoir ce que tu as pu apprendre au sujet du nouveau complot tramé par les Juifs contre la paix et l’ordre. Mais il ne peut pas te faire espionner puisque, d’une part, tu es citoyen romain et que, d’autre part tu es apparemment en possession d’une lettre de recommandation émanant d’une autorité si élevée que je n’ose même pas la nommer. Je n’ai pas l’intention de répéter quoi que ce soit de tes confidences ; je me bornerai à dire que tu montres une certaine irritation à l’égard de la plupart des gens ces jours-ci, mais je ne soufflerai mot de visions et autres apparitions extraordinaires. C’est un homme sérieux qui ne croit rien de ces choses-là, il me tournerait en ridicule et je mettrais en péril mon avancement à vouloir discuter sur de tels sujets.

Il s’essuya le visage, regarda le plafond et dit :

— Il doit y avoir une gouttière dans le toit, car je viens de recevoir une goutte sur le visage. Ce petit vin de Galilée est sans doute plus fort qu’il ne le paraît. Concluons un marché : obtiens pour moi l’indulgence du Nazaréen si tu le rencontres et qu’il consente à t’écouter. Comme tu comprendras, ma dignité d’officier m’interdit de courir derrière lui, et j’ai néanmoins besoin de faire la paix avec lui.

Il se mit alors à se gratter avec acharnement, jeta un regard autour de lui et dit étonné :

— C’est étonnant, il y a des bêtes dans cette chambre et je ne te l’aurais guère recommandée si j’avais su qu’à peine assis on était couvert de parasites.

En le voyant se gratter si fort, je me mis moi-même à éprouver une démangeaison sur tout le corps, j’eus l’impression que les cheveux se dressaient sur ma tête et je frissonnai.

— Il n’y a pas de bêtes ici, c’est une chambre très propre, dis-je dans un murmure. Je crois que quelqu’un va arriver.

Adénabar se leva rapidement et déclara en s’enveloppant dans son manteau :

— Je ne veux pas te déranger plus longtemps. Nous avons dit tout ce que nous avions à nous dire et de toute façon le vin est presque fini. Je m’en vais.

Mais il n’eut pas le temps de fuir car nous entendîmes en bas la voix du Syrien et aussitôt les craquements de l’escalier.

Adénabar se réfugia, les doigts levés en signe de protection, contre le mur. Je vis apparaître Zachée, traînant derrière lui un homme drapé dans son manteau de telle sorte qu’il me fut impossible au premier abord de discerner son visage.

— La paix soit avec toi, ô Zachée, dis-je, je n’ai pas bougé d’ici tant j’étais impatient de recevoir un message de toi.

— La paix soit avec toi également, Romain ! répondit Zachée apparemment de fort mauvaise humeur.

J’eus le sentiment qu’il avait déjà oublié m’avoir serré dans ses bras et donné un baiser lorsqu’il était sous l’empire du vin dans la maison de Simon de Cyrènes. De son côté, l’homme qui l’accompagnait tressaillit en voyant Adénabar.

— Qui est celui-là ? demanda-t-il.

Le Syrien, qui les avait conduits courtoisement jusqu’à mon seuil, protesta :

— Mais c’est un centurion du fort Antonia, tout simplement, et un bon ami malgré sa position ! Il comprend les fils d’Abraham et de toute façon, sa présence ne peut vous charger de plus d’impuretés que ma propre personne ou la demeure où vous vous trouvez.

L’inconnu donna un soufflet à Zachée en criant :

— Traître ! Ainsi tu m’as entraîné dans un piège, homme pire que Judas Iscariote !

Et il fit demi-tour pour s’échapper, mais je passai devant lui et le retins, en empoignant fermement son bras. La manière dont il avait traité le nain Zachée me paraissait contraire à la justice.

Ce dernier se frotta la joue en jetant des regards terrifiés sur Adénabar et sur moi.

— Si je l’avais su, afferma-t-il, jamais je ne t’aurais amené ici. Le Romain est plus malin que ce que je croyais. Frappe-moi aussi l’autre joue car je l’ai mérité.

Adénabar dévisagea à son tour Zachée et son compagnon.

— Voici sans doute deux disciples du Nazaréen, constata-t-il.

— Non ! Tu fais complètement erreur, seigneur centurion ! s’écria Zachée. Il est douanier et collecteur d’impôts comme moi ! Nous sommes tous les deux de grands amis des Romains à l’instar de tous les fils d’Israël amoureux de l’ordre et de la paix.

— Ne charge point ta conscience de péchés supplémentaires, Zachée ! Nous ne sommes ni l’un ni l’autre amis des Romains. Il est vrai que je suis un ancien douanier, mais je m’en suis repenti et ce péché aussi m’a été pardonné.

Je lâchai son bras promptement comme s’il m’eût brûlé.

— La paix soit avec toi, m’exclamai-je. Je crois savoir qui tu es. Que le centurion ne t’inspire nulle crainte, il ne te veut aucun mal, au contraire, il brûle de désir de faire la paix avec ton seigneur si cela se peut.