Выбрать главу

Marie de Beerot leva ses mains en s’écriant :

— Je prierai pour toi chaque jour de ma vie si tu m’amènes en Galilée ! À vrai dire, je n’osais point l’espérer et je suis venue en me traitant d’insensée tout au long du chemin. Si notre voyage échoue et que nous ne le rencontrons pas, tu pourras me vendre comme esclave car plus rien désormais ne m’importera de ce qui pourra m’advenir.

— Nous n’allons point nous précipiter et partir dans l’obscurité, dis-je en tentant de la calmer. Je n’ai nulle envie de me lancer à l’aveuglette dans cette aventure. Il nous faut dormir cette nuit et si demain les nouvelles que je recueillerai confirmaient tes dires, j’organiserais le voyage, choisirais la route à suivre et les haltes, enfin préparerais tout pour que nous arrivions en Galilée dans les meilleures conditions et sans retard. Une fois là-bas, il sera temps de tout examiner pour voir ce qu’il conviendra de faire.

Marie se mit alors à pousser des gémissements :

— Tout un long jour j’ai attendu et mon cœur est si rempli d’impatience que je suis assurée de ne pouvoir fermer l’œil de la nuit ! Pourquoi ne pas partir tels que nous sommes, sans bagages ni rien, et dormir avec les doux de la terre ou dans les champs ? Les nuits maintenant ne sont plus si froides ! Ainsi le voyage ne coûterait guère et tu ne ferais pas de grandes dépenses pour moi.

Sa naïveté me fit éclater de rire.

— Je crois avoir une expérience des voyages plus poussée que la tienne, dis-je, et parfois la manière de voyager la moins onéreuse finit par coûter plus cher que ce que tu as l’air de croire, on peut par exemple y perdre sa santé ou être rossé par des vagabonds. Laisse-moi donc tout préparer comme je l’entends et, une fois que nous serons en Galilée, ce sera ton tour de me donner des conseils sur le chemin à suivre.

— Je sais seulement que la ville de Capharnaüm où vivait et prêchait Jésus se trouve au bord de la mer de Galilée ; je pense donc que c’est vers là-bas que nous devons diriger nos pas si en route nous n’apprenons rien de nouveau à son sujet.

Marie, craignant peut-être que je ne l’abandonnasse prétendit ne pas savoir où dormir et me pria de la laisser reposer sur la terrasse, ou devant ma porte, ou dans un coin de ma chambre. J’acceptai, pensant qu’il ne serait point inutile de commencer à m’accoutumer à sa présence puisque j’allais voyager avec elle et passer les nuits dans des lieux inconnus en sa compagnie. Elle ne me dérangea guère de toute la nuit et ne fit pas un mouvement, enveloppée dans son manteau sur un coin du tapis. Le matin, après la sonnerie des trompettes, elle fit à haute voix son oraison matinale suivant la tradition judaïque. Ensuite, elle s’efforça de rester le plus discrète possible, sans me gêner dans mes activités quotidiennes. Je lui enjoignis de m’attendre dans la chambre, puis descendis l’escalier et rencontrai mon propriétaire qui disposait devant la porte de la maison son éventaire de mercerie.

— Carantès, dis-je, je vais poursuivre mon voyage et l’heure a sonné de mon départ de Jérusalem. La jeune fille est restée là-haut, car j’ai l’intention de l’emmener avec moi. Je me souviens cependant de ce que tu as dit hier soir : achète-lui donc des vêtements neufs et habille-la des pieds à la tête d’une manière convenable. Trouve également les bijoux nécessaires, afin que personne ne se permette de la mépriser durant le voyage et que nul ne puisse la considérer comme indigne d’être ma compagne. N’exagère pas toutefois, car je ne veux pas qu’elle attire l’attention sur elle inutilement.

Le Syrien battit des mains de surprise.

— Je ne sais si tu agis avec prudence, s’écria-t-il, mais tu dois savoir ce que tu fais. Certes, tu pourrais trouver dans n’importe quelle ville des filles comme elle, et tu économiserais ainsi les frais de son voyage ; mais c’est en tout cas plus raisonnable que de te mêler de la politique juive à laquelle tu n’entends rien.

Il ne me fit aucune question sur ma destination, car le souci de satisfaire mes désirs d’une manière avantageuse tant pour lui que pour moi le préoccupait suffisamment.

Je me rendis ensuite directement chez mon banquier Aristhènes, que je trouvai déjà levé et en plein travail devant sa table de calculs et de lettres de crédit.

Il me salua avec bonne humeur et m’examina de la tête aux pieds.

— Tu as suivi mes conseils au-delà de mon attente ! Ta barbe est plus longue que la mienne et les franges cousues à ton manteau te rangent dans la classe des prosélytes hébreux. As-tu réussi à vérifier ce que tu désirais ? Es-tu satisfait ?

J’acquiesçai avec prudence.

— J’ai appris plus de choses que ce que je voulais et je suis à présent rassasié de Jérusalem. On m’a beaucoup vanté la beauté de la Galilée et de Tibériade, la cité nouvelle construite par Hérode Antipas sur la rive du lac. On dit qu’il y a des thermes pour prendre les eaux, que l’on peut aller au théâtre ou au cirque et vivre à la manière hellène sans que nul ne crie au scandale.

Aristhènes prit une expression lointaine en évitant mon regard, ce qui me poussa à ajouter :

— Franchement, je crois avoir épuisé mon corps et mon esprit au-delà de mes forces durant la saison hivernale d’Alexandrie et j’ai besoin de bains et de massages salutaires afin de pouvoir conserver mon équilibre après tout ce que j’ai entendu et appris.

Aristhènes esquissa un sourire.

— Tu t’es laissé séduire, à ce que je vois, par quelque agent beau parleur du prince Hérode. Certes, il a fait un grand effort pour construire une moderne cité grecque et son désir est d’attirer les voyageurs et les gens préoccupés de leur santé afin qu’ils viennent y dépenser leur argent dans une atmosphère de tolérance. As-tu l’intention de t’y rendre par la Samarie ou par le chemin des pèlerins à l’est de Jéricho ?

— Je suis justement venu te consulter à ce sujet, répondis-je. Je voudrais également prendre de l’argent de mon compte ainsi qu’un ordre de paiement pour un banquier de Tibériade de tes relations. Pour être tout à fait franc, je dois t’avouer que j’ai fait la connaissance d’une charmante jeune personne qui m’accompagnera. Mon expérience de Baiae m’a appris qu’il est préférable d’aller prendre les eaux déjà accompagné lorsque l’on est un homme point trop vieux ; sinon l’on risque de se retrouver complètement démuni et la tête à l’envers.

Le sourire d’Aristhènes se fit ironique.

— Ma banque est à ton service et je n’ai ni le droit ni le besoin de t’interroger pour connaître tes intentions. Cependant, si je me souviens bien, tu avais entrepris des recherches poussées sur les enseignements de Jésus, le Nazaréen crucifié.

Je trouvais fort désagréable d’être contraint de lui mentir et choisis mes mots tandis qu’il me fouillait de son regard plein d’expérience.

— Certes, j’ai entendu à son sujet de nombreuses histoires merveilleuses, et il n’est point exclu qu’une fois en Galilée je me renseigne davantage. Je reconnais également que dans votre ville sacrée ont eu lieu des événements hors du commun après sa mort. Mais je me suis suffisamment préoccupé de lui ces derniers jours.

Aristhènes réfléchit durant quelques instants en me scrutant d’un air méfiant.

— Ton désir soudain de te rendre en Galilée, finit-il par dire, me surprend, je l’avoue. On m’a rapporté que tout au long de la journée d’hier beaucoup de gens avaient quitté la ville pour la Galilée et il court le bruit parmi ceux de basse extraction que là-bas se produisent des miracles. Naturellement, je sais bien qu’un homme cultivé comme toi n’a pas l’intention de courir derrière des pêcheurs et des charpentiers, la coïncidence cependant n’a point laissé de me surprendre.