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« Soyons francs l’un et l’autre, poursuivit-il. J’ai des raisons de penser que notre grand Sanhédrin est à présent fatigué des Galiléens qui avaient suivi cet homme et des bruits dépourvus de fondement que propageaient leurs femmes. Les gens simples sont prêts à tout croire, même le plus absurde et il est difficile de lutter contre des bruits, encore plus difficile de condamner un homme en se fondant sur ces seuls bruits ! Tout le monde s’empresserait de rappeler qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Une crucifixion est un avertissement suffisant pour le peuple et la persécution des disciples de cet homme ne ferait qu’augmenter la confusion. Mieux vaut donc qu’ils l’oublient et c’est pour cela, je crois, que nos princes ont fait comprendre d’une manière indirecte à ces Galiléens que toute poursuite cesserait s’ils quittaient la ville définitivement. Qu’ils s’en retournent en Galilée et que le roi Hérode Antipas dont c’est la juridiction fasse d’eux ce que bon lui semble ! Personnellement, je suis persuadé qu’une fois chez eux, où ils sont connus, ils deviendront inoffensifs : nul n’est prophète en son pays ! Si je te parle de la sorte, c’est afin que tu n’imagines point de folies et n’ailles pas agiter dans ta tête des pensées qui ne doivent même pas effleurer un homme doué de raison.

Dans cette pièce luxueuse où je me trouvais entouré de murs épais, de portes, de fenêtres, de serrures, ce fut comme si les paroles pleines de bon sens du banquier eussent recouvert de terre les charbons ardents de mon esprit.

— Si tout cela est aussi insignifiant que ce que tu prétends, je me demande pourquoi tu en es si totalement informé, répliquai-je avec humeur. Pourquoi ne serai-je point franc à mon tour ? On m’a dit qu’il a ressuscité d’entre les morts, qu’il est apparu à ses disciples et qu’il a promis d’aller au-devant d’eux en Galilée.

Aristhènes palpait la couture de son manteau comme pour gratter ses vêtements. Puis il reprit son calme et tenta même de sourire.

— Je déplore qu’une surveillance défectueuse ait permis à ses disciples de dérober le cadavre dans le sépulcre lors du tremblement de terre, car cela leur permet depuis de diffuser les bruits les plus insensés. Certes, ils n’ont pas de mal à faire avaler à leurs adeptes secrets ces contes qui sanctifient leur fuite de Jérusalem. Je te comprendrais si tu étais un Hébreu depuis toujours fasciné par les textes sacrés et dans l’attente du Messie. Mais toi ! Un Romain doublé d’un philosophe ! Un mort ne ressuscite pas, cela ne s’est jamais produit et ne se produira jamais !

— Pourquoi donc t’exciter de la sorte, homme plein de prudence ? répliquai-je. Je comprends fort bien que tu te sentes attaché à tes coffres, à ton argent et à tes affaires et que tu essayes de toutes tes forces de conserver les choses en l’état. Moi, en revanche, je suis libre d’aller et venir à ma guise et même d’agiter dans mon esprit des idées auxquelles tu n’oses pas penser. Je vais prendre les eaux dans les thermes de Tibériade et souhaite du fond du cœur entendre là-bas et peut-être voir des choses qui ne sont jamais advenues auparavant !

Je me sentis rempli de haine envers son monde et sa propre personne, sa petite barbe, son visage et ses mains manucurées, et ses cheveux bouclés à la manière des Grecs ! Je vis en esprit les sœurs de Lazare, Marie de Magdala et même Marie de Beerot, et j’éprouvai plus d’admiration et de tendresse pour leur espérance que pour cet homme esclave de son argent et de ses intérêts ! Parce qu’il était lui-même dépourvu d’espoir, il méprisait celui d’autrui !

Il dut lire dans mes pensées car, changeant radicalement d’attitude, il dit en agitant les mains :

— Pardonne-moi, tu dois savoir mille fois mieux que moi ce que tu as à faire ! Je comprends qu’avec ton âme de poète, tu te sentes attiré par ce que je suis obligé de refuser, moi qui ne suis qu’un homme d’affaires ! Je suis bien certain que tu ne seras pas la dupe de ces escrocs et que tu ne croiras pas les histoires que l’on raconte là-bas !

« Comment donc désires-tu te déplacer ? Je peux mettre à ta disposition un guide de caravanes très expérimenté, avec des chameaux et des bêtes de somme ainsi qu’une tente entièrement équipée de tout le nécessaire pour que tu ne sois pas à la merci des auberges communes ; tu éviteras de cette façon la saleté, les parasites et les mauvaises rencontres. Il vaudrait mieux engager une escorte de légionnaires syriens et ainsi tu serais tranquille le jour comme la nuit. Naturellement, cela revient un peu plus cher, mais tu peux te le permettre.

J’avais prévu une expédition de ce genre et c’était même la raison pour laquelle je m’étais adressé à lui. Son empressement ne m’étonnait point, car sans doute toucherait-il une commission en organisant un déplacement comme celui qu’il me proposait.

Mais je supposai qu’un homme à lui surveillerait tous mes faits et gestes pour l’en informer et que lui, à son tour, irait communiquer aux membres de son gouvernement tout ce qu’ils désiraient savoir. Et cela me fit hésiter dès le début bien que je ne susse à quoi me résoudre.

— À vrai dire, j’avais l’intention de voyager par mes propres moyens. Je ne suis jamais allé au gymnasium depuis mon arrivée à Jérusalem et je compte sur les aléas du voyage pour raffermir mes forces physiques. Mais il est évident que je dois également me préoccuper du bien-être de ma Compagne.

— Exactement, approuva le banquier avec enthousiasme. Les difficultés les plus futiles rendent une jeune femme irritable et capricieuse. J’imagine par ailleurs qu’une peau blanche couverte de piqûres d’insectes ne doit point te séduire. Laisse-moi lui offrir quelque chose pendant que j’y pense.

Il sortit de la pièce, puis revint peu après portant une glace à main de style grec, le dos délicatement gravé d’un satyre étreignant une nymphe qui tentait de s’échapper. C’était un miroir fort bien poli mais je ne voulais pas en l’acceptant rester en dette avec le banquier.

— Ne crains rien, dit-il en me le mettant de force dans la main, ce n’est pas un miroir magique ! Mais ton amie concevra d’agréables pensées à ton sujet en y regardant sa propre image en même temps que le satyre. Je sais que l’on raconte qu’il existe des miroirs qui peuvent tuer celui qui s’y regarde, mais mon bon sens se refuse à l’accepter. Comme cependant mieux vaut être prudent, je te conseille du fond du cœur de ne point te pencher par mégarde dans un miroir de ce genre et je souhaite que tu ne voies rien qu’un homme ne doive voir.

Et sans me donner le temps de penser à la signification de ses paroles, il se mit à compter sur les doigts, assurant que j’aurais besoin d’une servante pour la femme qui m’accompagnait, d’un cuisinier et d’un domestique personnel ainsi que d’un conducteur pour les bêtes de somme et d’un homme chargé de monter la tente.

— Il me semble, conclut-il, qu’avec une douzaine de personnes tu auras une escorte suffisante qui, en outre, n’attirera point l’attention et correspond parfaitement à ta dignité.

Je me vis aussitôt au milieu d’un groupe d’hommes braillards, se battant, riant ou chantant, incapables de faire régner entre eux la moindre discipline. Et cette seule idée m’épouvantant, je rejetai le projet.

— Ce n’est pas une question de frais, mais la solitude est mon luxe. Fais-moi une autre proposition et reprends ton miroir de toute façon : son dessin frivole ne manque point de charme, mais je crains que les Juifs ne me regardent de travers s’ils le voient.

— J’ai une idée ! Il m’est arrivé de recourir aux services d’un certain Nâtan dont l’unique défaut est d’être un homme de confiance absolue et de connaître parfaitement la Judée, le territoire de la Décapole, la Samarie et la Galilée. Lorsque je suis allé chercher la glace à mains, je l’ai aperçu assis dans la cour ce qui signifie qu’il est en quête de travail. Je n’ai rien pour lui en ce moment et ne veux pas qu’il reste jour après jour assis chez moi, car son caractère taciturne irrite mes serviteurs. Je sais qu’il a conduit des caravanes jusqu’à Damas. Explique-lui où et comment tu veux voyager et il s’occupera de tout pour ta plus grande satisfaction. Tu peux également lui confier ta bourse afin qu’il se charge de payer tous les frais ; certes il ne se fatigue pas à marchander, mais il ne débourse point non plus ce qu’on lui demande, il paie ce que lui-même juge le juste prix. Les hôteliers ne lui versent aucune commission, car il préfère toucher un salaire.