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— Tu ne comprends pas, sanglota-t-elle, j’aurais préféré à ces bijoux de métal un collier fait de graines et de pépins de fruits si c’était toi qui l’eusses choisi !

La colère me gagna et je frappai du pied à mon tour.

— Cesse immédiatement de pleurnicher, Marie de Beerot, dis-je. Ton attitude me dépasse ! Que vont penser les gens du dessous en entendant les coups et les hurlements ? Une femme qui pleure est laide comme un sac et je ne vois pas pourquoi je t’amènerais avec moi en Galilée si tu interprètes mon amitié de cette manière !

Marie, soudain effrayée, cessa aussitôt de verser des larmes. Après avoir séché ses yeux, elle courut vers moi, me prit dans ses bras et déposa un baiser sur mes joues.

— Pardonne-moi pour ma stupidité ! supplia-t-elle. Je te promets que je me conduirai bien si tu m’emmènes avec toi.

Ses caresses ressemblaient à celles d’un petit enfant pris en faute, aussi me réconciliai-je bientôt avec elle et lui dis-je en effleurant sa joue :

— Remets tes parures afin que les soldats que nous croiserons en chemin te portent le respect dû à ma compagne. Plus tard, bien que nous ne soyons plus des enfants, j’aurai l’occasion de te confectionner des colliers de graines et de pépins de fruits si tu en as encore envie !

Hélas ! Il est bien vrai que nous ne sommes plus des enfants et pourtant, je sentais au fond de moi un vif désir de le redevenir, de retrouver l’innocence première qui ignore tout des passions et de la méchanceté et qui accueille toujours avec joie la moisson de chaque jour !

Je ne savais guère ce qui m’attendait en Galilée, j’entreprenais peut-être en vain ce long voyage semé d’embûches. Mais, en dépit de tout, je désirais ardemment m’en réjouir ! Et je voulais être heureux de la seule espérance !

Un appel de Carantès m’avertit de l’arrivée des ânes. Le soleil dans le ciel était juste au milieu de sa course. Je descendis sans tarder suivi de Marie de Beerot. Il y avait devant la maison quatre ânes robustes, deux chargés de nos tapis de couchage, un portant les sacs et sur le quatrième était juchée une femme pauvrement vêtue qui fixait obstinément le cou de l’animal. Nâtan me salua avec respect mais ne dit rien, se contentant d’indiquer la position du soleil afin de démontrer qu’il s’était présenté à l’heure convenue.

— Qui est cette femme ? Je ne veux pas qu’elle vienne avec nous, dis-je avec rudesse.

Nâtan ne répondit rien, regardant ailleurs comme si cela ne le concernait pas. Carantès alla parler avec la femme et revint, tirant sa barbe d’un air embarrassé.

— Elle s’appelle Suzanne, expliqua-t-il. Elle dit que ton guide lui a promis de la prendre avec vous comme servante, car elle désire rejoindre la Galilée son pays, mais ne peut faire de longs trajets à pied ; c’est la raison pour laquelle elle est assise sur l’âne, elle ne demande aucun salaire pour ses services sinon de pouvoir vous accompagner. D’après ce que j’ai compris elle est tombée malade à Jérusalem depuis les fêtes de la Pâques et ses compagnons se sont en allés en l’abandonnant ici.

La femme ne fit pas un mouvement, pas plus qu’elle ne se risqua à me regarder. Je me sentais furieux à juste titre.

— Nous n’avons nul besoin d’une servante, criai-je, nous nous servirons nous-mêmes ! Je ne peux amener avec moi en Galilée tous les misérables de Jérusalem !

Nâtan me jeta un regard dans lequel je crus lire une question et lorsqu’il s’aperçut que je ne plaisantais pas, il haussa les épaules, fit un geste avec les mains, arracha de sa ceinture la bourse qu’il jeta par terre et tourna tranquillement le dos sans se préoccuper des ânes. La femme inconnue se mit alors à gémir, mais resta cependant bien accrochée au cou de son animal.

Je pensai que le départ souffrirait quelque retard si je devais me mettre en quête d’un autre guide dont je ne serais peut-être pas sûr. Une vague de colère me submergea, mais je serrai les dents et rappelai Nâtan, lui ordonnant de rattacher la bourse à sa ceinture.

— Je dois me soumettre à l’inévitable, dis-je avec rancœur. Fais comme bon te semble, mais que l’on parte avant que les badauds qui nous entourent ne deviennent trop nombreux.

J’entrai rapidement dans la maison pour liquider mes comptes avec Carantès auquel je donnai plus que ce qu’il demanda.

— Garde les effets que je laisse car je pense revenir à Jérusalem.

Il me remercia avec grandiloquence et approuva sur le ton de l’enthousiasme :

— Oh oui ! Je suis certain que nous te reverrons d’ici peu à Jérusalem.

Nombreux étaient ceux qui s’étaient agglutinés autour des ânes pendant que Nâtan disposait dans les sacs tout ce que j’avais décidé d’emporter. Les hommes palpaient les muscles des animaux, examinaient leurs dentures, tandis que les femmes s’apitoyaient sur la malade pelotonnée sur son âne et qui n’adressait pas le moindre mot à quiconque. Des mendiants apparurent bientôt qui allongeait leurs mains en nous souhaitant un bon voyage ; Nâtan distribua les aumônes qu’il jugea nécessaires pour qu’ils ne nous portassent point malheur avec leurs malédictions.

Il y avait finalement une véritable foule dans la ruelle des merciers lorsque Marie et moi enfourchâmes nos montures et que Nâtan prit la tête du convoi. Il aurait aussi bien pu me fixer un bandeau sur les yeux, car il ne dit pas un seul mot pour me faire part du chemin qu’il comptait emprunter pour nous conduire en Galilée.

Il nous fit traverser tout d’abord la cité jusqu’à une petite place située près de la porte des Poissons par où nous sortîmes de la ville. Les sentinelles qui le connaissaient se mirent en devoir de vérifier les sacs des bêtes de charge, mais s’interrompirent aussitôt lorsque je criai que j’étais un citoyen romain. Grande fut ma surprise quand Nâtan suivit le chemin qui serpente le long des remparts jusqu’à la forteresse Antonia devant laquelle il arrêta les bêtes. Suzanne recommença ses plaintes en voyant les gardes devant la porte et cacha son visage dans l’encolure de sa monture. Je m’efforçai en vain de convaincre Nâtan de poursuivre la route. Il me montra seulement d’un geste que je devais pénétrer dans le fort. Je me demandai si cet homme n’était point muet car il n’avait pas encore desserré les lèvres une seule fois. Cependant en regardant ses cheveux coupés, il me vint à l’esprit qu’il avait peut-être fait vœu de garder le silence.

Je franchis le seuil à contrecœur et pénétrai dans la cour de la forteresse. Les soldats me laissèrent passer sans encombre en dépit de mon apparence plutôt étrange due à ma barbe et à mon manteau rayé. Comme s’il eût obéi à quelque appel, le commandant de la garnison descendit au même instant l’escalier de la tour. Je m’approchai de lui et le saluai en levant la main.

— Je vais prendre les eaux à Tibériade. Mon guide a jugé qu’il était bon de me présenter pour prendre congé de toi en même temps que pour solliciter tes conseils au sujet du trajet. Je voyage sans escorte, en la seule compagnie de deux femmes.

— Traverseras-tu la Samarie, s’enquit-il, ou suivras-tu le cours du Jourdain ?

Ayant honte d’avouer mon ignorance, je m’empressai de demander :

— Quel est celui de ces deux chemins que tu me conseilles ?

L’homme perclus de rhumatismes se tira la lèvre en réfléchissant.

— Il y a d’une part les Samaritains qui sont de mauvaises gens, qui importunent de toutes les façons les simples voyageurs, et d’autre part le Jourdain encore en crue ; tu cours le risque de rencontrer des difficultés aux gués et d’entendre la nuit le rugissement des lions dans les fourrés. Si tu le désires, je te donnerai une escorte de deux légionnaires, que tu devras payer toi-même bien entendu. N’oublie pas de signaler mon obligeance au proconsul.

Mais il ne paraissait guère disposé à réduire, même temporairement, l’effectif de la garnison, ce qui m’incita à refuser sa proposition.