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— Chaque contrée a ses modes ! répondis-je avec détachement. Je suis un philosophe qui étudie les us et coutumes des différents pays. Mais, à vrai dire, j’éprouve un profond respect à l’égard du dieu d’Israël et de sa loi, dans la mesure où il ne m’interdit point de vénérer le génie de l’empereur.

Claudia qui ne s’était point encore arrêtée sur les détails de ma toilette s’exclama :

— En vérité, comme tu as changé ! Je ne sais si mon époux apprécierait cette manière de te vêtir !

Bavardant avec animation, Claudia Procula me parla de l’état de santé de Ponce Pilate et de ses difficultés, tout en faisant servir un vin glacé accompagné de fruits et de pâtisseries. Puis elle ordonna à ses serviteurs de se retirer.

— Jeanne, demanda-t-elle à sa dame de compagnie, assure-toi que nul ne peut nous entendre, je ne supporte pas les espions.

Jeanne démontra une grande habileté dans l’accomplissement de cette tâche ; du seuil de la porte, elle jeta un coup d’œil dans le vestibule d’un air indifférent, puis fit le tour de la pièce, palpant les tapisseries des cloisons et se penchant aux fenêtres.

Claudia Procula m’invita à m’asseoir à ses côtés.

— Te souviens-tu encore de Jésus le Nazaréen qui fut crucifié à Jérusalem ? me demanda-t-elle à voix basse.

J’hésitai en lançant un regard à Jeanne.

— Je m’en souviens parfaitement, admis-je. Je n’ai pu l’éloigner de mon esprit. J’aurais aimé entendre parler davantage de lui, mais ses disciples sont des hommes pleins de méfiance qui n’apprécient guère les étrangers.

Claudia répondit :

— Ils sont revenus en Galilée et chacun a repris son ancien métier. La plupart pêchent dans ce lac.

— En effet, approuvai-je, le bruit courait lorsque je quittai Jérusalem qu’ils avaient abandonné la cité. On dit que d’autres les ont suivis également. Ne sont-ils point l’objet de poursuites en ces lieux ?

Jeanne s’empressa de donner quelques explications.

— C’est fini maintenant. Les conseillers modérés d’Hérode Antipas sont parvenus à le convaincre qu’il ne retirerait aucun avantage de leur persécution. Dans le fond il les craint, tout en essayant de faire croire qu’il ignore tout à leur sujet. Il a commis une erreur politique en faisant exécuter Jean le Baptiste il y a quelque temps, et il ne veut à présent plus entendre parler de prophètes.

— Tu te souviendras que j’ai fait tout ce que j’ai pu, intervint Claudia Procula, pour que mon époux ne fît aucun mal au saint homme.

— Pourquoi te préoccuper d’une histoire passée ? dis-je en affectant l’indifférence. On a condamné de tous temps des innocents, ainsi va le monde et nous ne pouvons le modifier. Oublie donc et occupe-toi de ta santé ; n’est-ce point pour cela que tu es ici ?

— Je ne comprends pas ce que tu veux dire, répondit Claudia avec irritation. Le monde n’est plus comme avant. Jésus de Nazareth a ressuscité même si tu en as douté tout d’abord, il est apparu aux siens, et, que tu le crois ou non, il se trouve ici en ce moment !

Jeanne, effrayée, lui fit un bâillon de sa main.

— Tu ne sais ce que tu dis, ô maîtresse !

Je la regardai avec attention et il me revint en mémoire que Suzanne avait mentionné son nom.

— Je connais ton visage, dis-je tout à trac. Tu suivais Jésus le Nazaréen lorsqu’il était en vie, tu ne peux nier.

Elle me jeta un regard effaré, mais cependant avoua sans nulle réticence :

— Je n’ai jamais eu l’intention de le nier ! J’ai délaissé pour lui mon foyer et marché sur ses pas jusqu’à ce que les obligations de la charge de mon époux me contraignissent à regagner ma maison. Mais comment sais-tu cela, ô étranger ?

Je me sentais si faible et si triste que je fus incapable de feindre plus longtemps :

— Je sais et je crois qu’il a ressuscité d’entre les morts et je reconnais par là même qu’il est le fils de Dieu ! confessai-je avec conviction. Mais je ne saisis point le sens de tout cela car nul n’avait jamais rien vu de semblable jusqu’ici. Je me proposais de chercher son royaume, mais les siens ne m’ont ni reçu ni accepté. J’ai appris toutefois qu’il les avait devancés en Galilée et je les ai suivis dans l’espoir de le rencontrer ici. Hélas ! poursuivis-je, le cœur plein d’angoisse, depuis mon arrivée j’ai souffert d’une infection au pied qui m’a longtemps empêché de me mettre en chemin. Peut-être dois-je voir là un signe qu’il ne me reconnaît pas. Mais toi, ô Claudia Procula, sois sincère et avoue que tu es venue en Galilée pour sa cause également.

Les deux femmes, profondément surprises, échangèrent un regard, puis m’ayant dévisagé s’exclamèrent à l’unisson.

— En vérité, toi un Romain et un philosophe, tu crois qu’il a ressuscité et qu’il est venu en Galilée ?

— Je le crois parce que je ne puis faire autrement, déclarai-je sans me départir de mon amertume.

Et poussé par un profond besoin de soulager mon cœur, je leur contai ma visite dans la maison de Lazare où j’avais rencontré Marie de Magdala, puis le refus de Jean et de Thomas, les disciples de Jésus ; je racontai aussi ce qui s’était passé chez Simon de Cyrènes et que Matthieu était venu chez moi en compagnie de Zachée pour m’interdire avec menaces à l’appui d’invoquer le nom du Nazaréen.

Jeanne affirma :

— Ils ont mal agi en procédant de la sorte, je me souviens qu’une fois, le maître guérit un homme qu’il ne connaissait pas du tout ; les disciples voulaient l’en empêcher, mais il se fâcha et dit qu’au moins cet homme-là ne médirait point de lui. Je ne vois pas pourquoi tu n’as pas le droit de prononcer son nom alors que tu crois en lui.

J’ajoutai que j’avais également amené Suzanne.

— Connais-tu cette vieille femme ? demandai-je à Jeanne.

Elle fit un visible effort pour dissimuler son mépris.

— Naturellement que je connais cette vieille bavarde et querelleuse, convint-elle. C’est une campagnarde sans instruction qui ne connaît même pas la loi. Mais Jésus lui a permis, à elle aussi, de le suivre.

Claudia Procula, émerveillée quoique méfiante encore, s’exclama :

— Ô Marcus, comme tu as changé depuis le temps de Rome ! Apparemment, tu as même oublié Tullia pour le Nazaréen ! Imaginais-tu que je n’en étais point informée ? Les nouvelles de Rome parviennent même à Césarée ! Mais je n’arrive pas à comprendre ce que tu recherches en Jésus.

— Et toi que recherches-tu ? interrogeai-je à mon tour.

Elle haussa ses épaules à présent décharnées.

— Je suis une femme et il est permis de rêver, dit-elle. Je suis convaincue qu’il me guérirait de mon insomnie et de tous mes maux si je le rencontrais. Mais j’éprouve avant tout, naturellement, de la curiosité à voir un prophète crucifié qui a ressuscité des morts.

— En moi se sont éteintes les envies de rêver et la curiosité, répliquai-je, et je ne cherche que son royaume tant qu’il demeure encore sur la terre. On m’a dit qu’il possède les paroles de la vie éternelle. Mais qu’importent mes idées ? Je préfère apprendre de ta bouche s’il se trouve vraiment en Galilée et s’il est apparu aux siens.

Jeanne hésita puis, la mine sombre, commenta :

— Je ne saurais dire avec certitude. Il a révélé le secret de son royaume à ses disciplines tandis qu’il ne parlait aux autres et aux femmes que par paraboles ; peut-être avons-nous tout vu sans rien entendre ! Les disciples restent unis mais se taisent devant les femmes, et c’est la raison pour laquelle Marie de Magdala s’est séparée d’eux et s’en est retournée pleine de colère, chez elle à Magdala. Je sais seulement que sept d’entre eux, qui s’en furent il y a peu de jours pêcher de bon matin, ramenèrent leurs filets pleins à craquer. Et l’on aurait dit qu’une lumière était sur eux, et tous se montraient pleins d’allégresse. Mais ils ne voulurent point expliquer ce qui était avenu.