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Cette réaction me parut compréhensible dans une certaine mesure : n’était-ce point elle qui la première, ce matin-là, avait couru au tombeau ? Et n’était-ce pas à elle que le Nazaréen apparut pour la première fois après sa résurrection ?

— Marie de Magdala, ne te laisse point envahir par le désespoir ! S’il est revenu en Galilée, son royaume est encore proche ! Peut-être n’y ai-je moi-même nulle place et me repoussera-t-il à l’instar de ses disciples, mais je suis pénétré du sentiment que toi, tu le reverras dans ce pays.

Elle posa sur moi ses yeux noirs, disant :

— C’est toi, un Romain, qui m’apportes la consolation tandis que les siens me la refusent !

Son visage se mit à briller, comme illuminé par le soleil alors que nous nous trouvions à l’ombre du pavillon ; elle me toucha la main et je sentis la même force étrange émanant de son contact.

— En vérité, tu le crois ainsi ? implora-t-elle. Moi aussi sans doute, mais la révolte est en moi, je ne parviens pas à éprouver le respect dû à ces hommes qu’il a élus ; je suis une femme mauvaise et indigne qui ne sait respecter sa volonté. Enseigne-moi l’humilité, ô Romain, je l’ai bien mérité.

— Je préfère que tu me dises si tu crois que bien que je sois romain, il m’accueillera dans son royaume, demandai-je, le cœur plein d’anxiété.

Elle parla alors comme Jeanne, du même ton dédaigneux.

— Les disciples s’attendent encore à ce qu’il construise le royaume d’Israël. Pour moi, il est la lumière du monde entier. Pourquoi cela ne te concernerait-il pas tout autant que les fils d’Israël si tu crois qu’il est le Christ ? Son royaume est la vie éternelle et non la terre sur laquelle nous marchons !

Elle dit, et mon cœur frémit dans ma poitrine.

— Qu’est-ce que la vie éternelle ? interrogeai-je.

La Magdaléenne secoua la tête.

— Je ne saurais le dire, répondit-elle. Je crois que lui seul le sait. Il ne nous en parlait guère lorsqu’il était parmi nous, il expliquait seulement comme l’homme doit se comporter en vue de son royaume. Je ne suis ni assez humble ni suffisamment innocente pour concevoir la vie éternelle ; je sais seulement qu’elle est en lui et avec lui, et cela me suffit.

Je méditai un instant avant de poursuivre.

— Comment donc dois-je vivre ? demandai-je ensuite. N’est-ce point suffisant de s’efforcer d’être doux et humble de cœur ?

— Aime ton prochain comme toi-même, répondit Marie pensive. Fais aux autres ce que tu désires qu’ils te fassent.

Elle cacha soudain son visage dans ses mains et fondit en larmes.

— Comment pourrais-je t’apprendre, moi qui ai trahi sa doctrine ? Nous étions comme frères et sœurs lorsqu’il était parmi nous, mais il a suffi qu’il nous laisse quelques jours pour que je commence à détester mes frères et mes sœurs. Peut-être est-ce lui qui t’a envoyé à moi pour je reconnaisse ma méchanceté en toute humilité.

Elle se pencha vivement vers mon pied malade et posa sa main sur la plaie qui cicatrisait.

— Jésus-Christ, fils de Dieu, pria-t-elle à voix haute, aie pitié de cette pécheresse. Si telle est ta volonté, ce pied guérira comme si jamais il n’eût été malade.

Elle leva son visage, retira sa main et me regarda en retenant sa respiration.

— S’il y consent, ceci sera un signe : jette ta canne et marche !

Je me levai, jetai ma canne et fis quelques pas. Et voici que je ne boitai plus ni ne ressentis la moindre douleur dans le pied. Émerveillé, je revins près d’elle.

— Voilà le signe que tu réclamais ! m’exclamai-je. Mais pour moi, point n’est besoin de signes, je crois ! À vrai dire, mon pied était déjà guéri et une peau neuve s’est constituée à l’endroit de l’abcès incisé au scalpel par le médecin grec ; je ne boitai plus que par habitude car le médecin avait fortement insisté pour que je prenne des précautions.

Alors la Magdaléenne ramassa ma canne et me posa cette question le sourire aux lèvres :

— Dois-je annuler ma prière afin que tu te remettes à boiter ?

— Je suis convaincu que tu réussirais à me rendre infirme, peut-être même pour toute ma vie, si tu l’invoquais à cet effet !

Marie parut alors en proie à la frayeur : elle jeta un regard autour d’elle comme surprise à accomplir une mauvaise action.

— Non, non ! Si l’on invoque son nom dans le dessein de malfaire, on ne réussit qu’à se nuire à soi-même. On ne peut que bénir en son nom, jamais maudire !

Transfigurée par un sourire et le regard fixé sur quelque chose que je ne pouvais voir, plongée dans ses pensées, elle se mit à tordre ma canne dans ses mains et, sous mes yeux ébahis celle-ci, taillée dans du chêne, se courba légèrement comme un roseau ; je demeurai fasciné par ce qu’elle faisait et n’en croyant pas mes yeux, jusqu’à ce que, reprenant ses esprits et sentant mon regard posé sur elle, elle me regardât à son tour.

— Qu’y a-t-il ? me demanda-t-elle en cessant de courber le bois.

J’agitai mes mains machinalement en un geste d’avertissement tandis que mes lèvres articulaient ces mots :

— Courbe la canne encore une fois comme tu viens de le faire !

Marie essaya, fit un effort pour y parvenir, mais elle ne céda pas d’un doigt. Je la saisis à mon tour : c’était bien la canne robuste et inflexible sur laquelle j’avais coutume de m’appuyer. Marie ne l’avait point fléchie à dessein puisque étant plongée dans ses pensées, elle ne s’en était même pas rendu compte. Je ne fis aucun commentaire, mais fus pénétré du sentiment que la réaction du bois dur avait été un signe donné à mon intention, puisque j’avais douté de l’intervention du Nazaréen dans la guérison de mon pied. Pourquoi en fut-il ainsi, je ne sais, en vérité je n’avais nul besoin de signe. Mais l’espoir de nouveau pénétra en mon cœur.

Et il ne me vint pas à l’esprit que la flexion de ma canne put être un acte de sorcellerie, car je ne ressentis aucun trouble comme il arrive lorsqu’un sorcier se livre à ses pratiques magiques ; au contraire, ma tête était parfaitement claire et sereine et je me sentais tout à fait bien.

— Marie, ô bienheureuse femme ! dis-je. Il est bien ton seigneur, chasse toute impatience de ton cœur ; lorsque tu l’appelles, il est près de toi même si tu ne le vois point. Je ne comprends pas comment cela se peut mais je le crois. En vérité, il t’a bénie entre toutes les femmes.

En quittant le pavillon, nous nous sentions tous deux inondés d’un nouvel espoir. La Magdaléenne me fit visiter son jardin et ses colombiers, me conta comment on capture les oiseaux dans la vallée et que lorsque elle était enfant, elle escaladait les précipices, sans crainte des voleurs ni du vertige.

Nous pénétrâmes dans sa demeure qui regorgeait de tapis somptueux et de meubles de prix ; elle avait, me dit-elle, brisé les vases grecs et les sculptures depuis sa libération des démons, car la loi d’Israël interdit de représenter l’homme ou l’animal. De fil en aiguille, elle me raconta que bien souvent Jésus, absorbé dans ses pensées, prenait une branche et se mettait à dessiner sur le sol, mais que toujours il effaçait avec son pied avant qu’elle ou un autre eût le temps de regarder son dessin. Tandis que nous parcourions sa vaste demeure, elle relata d’autres menues anecdotes sur le Nazaréen à mesure qu’elles se présentaient à son esprit. Elle avait ordonné à ses serviteurs de préparer un repas mais, après m’avoir invité à prendre place, elle refusa de s’asseoir avec moi.

— Permets-moi de satisfaire aux coutumes de mon pays et de servir pendant que tu manges, dit-elle.

Puis elle appela à l’aide Marie de Beerot et la laissa verser l’eau sur mes mains, lui enseignant avec le sourire le service du repas. Ce fut elle qui prépara le vin, un vin blanc très doux de Galilée qui monte à la tête comme un souffle de vent. Après quelques bouchées de mets salés et sucrés, elle me présenta du poisson frit, puis des colombes assaisonnées d’une sauce au romarin et je ne me souviens point avoir jamais goûté des mets aussi exquis.