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— S’il est ce qu’il est, il n’a rien à craindre du monde, insistai-je sans entrer dans leur raisonnement. À Jérusalem, il est apparu devant ses disciples réunis dans une pièce aux portes fermées.

Les deux pêcheurs éclatèrent d’un rire sec, disant :

— Ne crois jamais tout ce que racontent les Galiléens, ô étranger ! Nous sommes des gens prompts à l’enthousiasme et nous possédons de surcroît une très fertile imagination !

De retour dans ma luxueuse chambre de l’hôtellerie grecque des thermes, j’éprouvai un véritable soulagement à retrouver ma solitude : je pouvais penser en paix et organiser mon temps à ma guise ; en fait, Marie de Beerot n’avait cessé de s’agiter autour de moi telle une jeune chiot et ce ne fut qu’après que la Magdaléenne m’en eut débarrassé que je me rendis compte à quel point sa présence m’avait dérangé.

Dans la paix retrouvée de mon logement, je me remémorai les événements survenus sur la grève, mais mon sentiment de paix fit alors place à l’amertume et je me sentis irrité et inquiet. Dans cette atmosphère cossue, où l’unique préoccupation de chacun est de passer le temps en comparant avec son voisin ses douleurs et son régime alimentaire, je commençai à douter d’avoir rencontré le Nazaréen : la tempête m’avait sans doute bouleversé au point que j’avais tout transformé en un cauchemar entrecoupé de réel ; les pêcheurs eux-mêmes ne s’étaient-ils point moqués de moi ? Si l’inconnu avait été Jésus et avait souhaité nous apparaître, il aurait certainement parlé ouvertement et révélé son identité !

L’esprit en proie à l’agitation, je me mis à marcher de long en large, les yeux remplis de larmes amères. Ma solitude reconquise déjà me pesait, et je fis annoncer mon retour à Claudia Procula qui me fit répondre qu’elle ne pouvait me recevoir car elle accueillait des courtisans du prince Hérode Antipas venus lui rendre visite.

Elle me convia à dîner chez elle le jour suivant. Nous étions plusieurs invités et je fis la connaissance à cette occasion du conseiller romain à la cour, de Chousa, l’époux de Jeanne et du médecin du prince que ce dernier avait envoyé à Claudia Procula pour tenter de la guérir. Ce Juif libéral, si hellénisé qu’il paraissait plus Grec que les Grecs eux-mêmes, avait étudié dans l’île de Cos. Avant de nous mettre à table et en attendant la maîtresse de maison, on nous servit dans l’atrium du palais du vin et des gourmandises sucrées et épicées. Les courtisans me posèrent maintes questions perfides, mais j’échappai à leurs pièges, me limitant à vanter les eaux salutaires des bains qui avaient réussi à guérir si rapidement mon pied, que je leur montrais.

Claudia Procula avait également permis à Jeanne de prendre part au banquet bien que cela, à l’évidence, ne fût point du goût de son époux ; Jeanne, toutefois, garda le silence durant le repas. Notre hôtesse, très pâle, nous conta qu’elle ne parvenait toujours pas à dormir en dépit des bains qui lui avaient été bénéfiques et que, si par hasard elle s’endormait, elle devenait la proie de cauchemars épouvantables de sorte qu’un esclave avait pour tâche de l’éveiller lorsqu’elle gémissait en rêvant.

— Ô Marcus ! dit-elle en s’adressant à moi, tu ne peux imaginer dans quelle situation embarrassante je me trouve, moi qui suis si malade et délicate ! Mon époux m’avait mise en garde lorsque j’entrepris ce voyage, mais je ne pouvais imaginer que cela prendrait de telles proportions, car j’ai toujours fait preuve de discrétion et ne me suis jamais mêlée de politique. Hérode, le prince de Galilée et de la Pérée, déploie trop d’empressement ! Il veut à tout prix organiser en mon honneur des courses gigantesques dans le dessein de démontrer son amitié à l’égard de Ponce Pilate. Mais tu sais combien je redoute d’attirer l’attention et déjà, le fait qu’il dépêcha à la frontière ses cavaliers aux manteaux rouges dès qu’il avait appris mon arrivée, m’avait paru dépasser la mesure.

Elle jeta un regard narquois en direction des courtisans avant de poursuivre.

— Il souhaite que sa belle épouse Hérodiade soit assise à mes côtés dans la loge royale afin que nous recevions ensemble les ovations du peuple de Galilée. Mais, outre que je ne connais pas Hérodiade, je me suis laissé dire que son union n’est point reconnue par la loi judaïque.

Les courtisans levèrent les bras en signe de protestation contre une telle injure, mais je remarquai en revanche que le barbu Chousa adoptait une expression pleine d’embarras. Pour ma part, n’ayant rien à perdre et ne dépendant guère des faveurs du prince, je parlai en toute franchise, sentant que tel était le désir de Claudia Procula.

— Nous sommes entre amis, dis-je. Le renard est un animal intelligent et l’on m’a dit que l’on attribue ce titre flatteur au prince de ces contrées. Ainsi donc, il souhaite que la Romaine de plus haute naissance présente en Galilée, et apparentée de surcroît à l’empereur, manifeste officiellement son approbation à son mariage, lequel souleva une telle indignation qu’un prophète y laissa la tête si je ne m’abuse. J’imagine la tempête d’acclamations que ta présence, ô Claudia, déchaînerait dans le cirque lorsque le peuple enthousiaste de Galilée voudrait prouver son attachement aux Romains et à l’épouse du prince à la fois : je crois que deux cohortes de soldats pour le moins seraient nécessaires pour maintenir un peu d’ordre et qu’il faudrait fouiller le public à l’entrée du cirque afin d’éviter la chute de quelque objet sur toi.

Claudia Procula me lança un regard satisfait.

— Naturellement, je n’éprouve nul sentiment contraire à la princesse, s’empressa-t-elle d’ajouter. Mais, à supposer qu’ayant accepté la célébration de courses en mon honneur, je prenne place à ses côtés et que cela provoque des désordres, comment mon époux, étant à Césarée, pourra-t-il distinguer si ces manifestations hostiles étaient dirigées contre les Romains ou contre la seule Hérodiade ? On m’a dit que le peuple refuse même de la saluer, qu’il s’écarte sur son passage et lui tourne le dos lors de ses apparitions publiques.

Le conseiller romain prit alors la parole.

— Si le peuple se soulève, cela peut être interprété certes comme une démonstration d’hostilité vis-à-vis des Romains et dès lors le prince, sous couvert de prouver sa loyauté à l’égard de Rome, y trouverait une excellente occasion de donner une sévère correction à son peuple, ce qui, je pense, ne laisserait point de réjouir la princesse Hérodiade.

— Mais mon époux n’apprécierait guère, répliqua Claudia Procula. Ponce Pilate est un modéré qui préfère éviter, dans la mesure du possible, tous les troubles quoique, en l’occurrence, cela concerne exclusivement Hérode Antipas. Mais il est difficile d’imaginer comment cette affaire parviendrait aux oreilles de Rome. Il me plaît que tu partages mon avis, ô Marcus, et j’ai décidé de n’accepter une invitation qu’à titre personnel ; naturellement, à la fin des courses, je suis prête à saluer la princesse pour entamer des relations amicales avec elle. Je n’ai aucun préjugé et d’ailleurs n’ai point le droit d’en avoir, étant l’épouse du procurateur de la Judée.

— J’ignorais que les Galiléens organisaient des courses, dis-je dans l’intention d’amener la conversation vers des sujets moins brûlants.

— Ces pêcheurs et ces rustres ne connaissent rien aux chevaux, intervint le médecin d’un air méprisant, mais le cirque et le théâtre sont les meilleurs véhicules de la culture et servent également à extirper les préjugés. Le temps est bien fini où le peuple dut traverser le désert pour fuir le pays d’Égypte ! Aujourd’hui, les quadriges se déplacent par toute la terre pour prendre part aux courses des divers pays : ainsi nous aurons un attelage en provenance du pays d’Édom et un autre que nous envoie la cavalerie de Césarée ; Damas également va participer ; quant aux cheiks arabes, ils sont positivement fous de courses et nul motif de rancune ne résiste à leur désir de s’y joindre.