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Chousa parla à son tour :

— Les courses contribuent aussi à adoucir les haines qui peuvent exister entre les races. Par exemple, les arabes ont le cœur lourd de ressentiment depuis que la première épouse du prince Hérode, qui appartenait à leur race, s’est vue contrainte de fuir pour regagner le campement de son père.

— En vérité, quel étrange pays ! ironisai-je, si les courses sont bonnes à aplanir les différents entre les peuples ! À Rome, tout au contraire, les partisans des couleurs en compétition se battent à coups de pierres et de massues aussi bien avant qu’après la course.

— C’est un signe de civilisation, commenta le conseiller romain, que la foule en vienne aux mains pour des chevaux et des quadriges ! Bien pires, crois-moi, sont les batailles religieuses ! Souhaitons que nous allons pouvoir jouir de quelques années tranquilles, à présent que nous sommes débarrassés du roi que ton époux a pris l’excellente initiative de faire mettre en croix.

— Veux-tu parler de Jésus de Nazareth ? demandai-je. Ignores-tu qu’il a ressuscité des morts et qu’il est de retour en Galilée ?

Je parlai sur le même ton que celui que j’avais employé auparavant pour qu’ils crussent à une plaisanterie de ma part. Mais ils sursautèrent avec ensemble et les sourires se figèrent sur les lèvres.

— Les Galiléens sont des gens fort superstitieux, dit enfin Chousa. Lorsque le prince a entendu parler de la résurrection de Jésus, il a cru qu’il s’agissait du prophète vêtu de peaux de chameau. Mais, à vrai dire, je ne m’attendais point à ce que cette rumeur désagréable fût arrivée aux oreilles d’un Romain en voyage d’agrément.

Le médecin hellénisé se mit à discuter avec fougue, accompagnant son discours du mouvement vif de ses mains.

— Après que l’on m’en eut fait part, j’ai réfléchi à cette histoire et fait une enquête auprès des témoins de sa mort. On ne lui a point brisé les os parce que l’on avait hâte de le descendre de la croix ; l’on m’a dit également que de l’eau et du sang s’écoulèrent de son côté lorsque le soldat le lui perça avec sa lance pour vérifier s’il était mort. Or, selon la médecine, il ne s’écoule point de sang d’un cadavre ! Supposons qu’enivré d’un vin qu’on lui aurait fait boire, il eût été simplement plongé dans un sommeil semblable à la mort ? Sinon, pour quelle raison ses disciples auraient-ils dérobé son corps dans le sépulcre ? Peut-être ont-ils réussi à le ranimer, ce qui expliquerait qu’il se trouve à présent caché ici quelque part dans une grotte. Quoi qu’il en soit, c’était un mage qui possédait un pouvoir considérable.

Le conseiller romain répliqua d’une voix mordante :

— Jamais un homme crucifié par Rome ne ressuscite ! Tu portes là une sévère accusation contre Ponce Pilate ! Prends garde à ce que tu dis !

— Par hasard, mon arrivée à Jérusalem a coïncidé avec son supplice, intervins-je de nouveau, et c’est pour cette raison que je m’intéresse à cette affaire. Je puis vous assurer qu’il est réellement mort sur la croix. S’il avait seulement perdu connaissance par asphyxie, il serait mort de toute façon lorsqu’on lui perça le cœur, ce que je vis de mes propres yeux.

Mais le médecin, entraîné par son idée, protesta :

— Un profane peut difficilement reconnaître la mort ! Un médecin chevronné est seul habilité à cela !

Il s’engagea alors dans des explications de cas dont il avait eu à s’occuper personnellement, jusqu’au moment où Claudia Procula coupa en se bouchant les oreilles.

— Cesse d’évoquer de si terribles choses, sinon des êtres fantasmagoriques reviendront hanter mes rêves.

Le médecin, quelque peu troublé, s’adressa alors à moi pour changer de thème.

— Est-il vrai que Marie de Magdala ait abandonné son ancienne profession comme on le raconte ? demanda-t-il.

Un silence de mort suivit ses paroles. Étonné, il regarda autour de lui, disant :

— Ai-je dit une inconvenance ? Est-il interdit de toucher à ce sujet ? Mais… qu’y a-t-il de mal ? La Galilée est vraiment un petit pays malgré son million d’habitants ! Tout le monde, sur les rives de ce lac pour le moins, est au fait des allées et venues de tout le monde. Il y eut une époque où la Magdaléenne représentait aux yeux des voyageurs qui arrivaient en nos contrées le plus fameux des monuments et l’on voyait tout au long des nuits des caravanes de litières défiler à la lueur des torches de Tibériade jusqu’à sa maison. On dit que tu es allé lui rendre visite et que tu as laissé chez elle, pour qu’elle fasse son éducation, la jeune fille que tu avais amenée de Jérusalem. Quel mal y a-t-il à cela ?

Comme je ne soufflais mot, il poursuivit d’un air embarrassé :

— Nombre de gens la considèrent comme une femme dangereuse ; ils prétendent qu’un sorcier, originaire de la Samarie, réussit une fois à l’emmener avec lui en invoquant les démons, ce qui ne signifie absolument rien pour un médecin doué de raison.

Chousa prit alors la parole comme malgré lui :

— Mon épouse l’a connue bien que, naturellement, elle ne recherche plus sa compagnie. Depuis que Jésus de Nazareth l’a guérie, elle n’exerce plus la sorcellerie mais distribue des aumônes et mène une vie simple. J’estime d’ailleurs qu’en règle générale, le Nazaréen accomplit plus de bonnes actions que de mauvaises ; il n’ameutait point le peuple et n’était pas un blasphémateur même s’il fut condamné pour ces raisons. Mon épouse, qui l’a suivi un certain temps en accomplissement d’un vœu – il avait guéri des fièvres un de nos princes –, ne peut en dire aucun mal.

Comme il s’échauffait en parlant, il frappa la paume de sa main d’un coup de poing.

— Rien ne lui serait arrivé s’il n’était pas allé à dessein à Jérusalem ! Des Pharisiens plusieurs fois s’étaient déplacés jusqu’ici pour enquêter à son sujet en vue de préparer une accusation contre lui, mais ils avaient toujours échoué ! Je crois que Jésus conseillait de prier seulement en esprit et en vérité, ce qui n’était pas du goût du Sanhédrin qui craignait de voir ses revenus diminuer. Mais, personnellement, je considère qu’expédier les dîmes au temple, c’est-à-dire hors de chez nous, est un gaspillage des richesses de notre pays ; il est insensé que de simples paysans soient contraints de payer des dîmes au temple, qui s’ajoutent à celles du prince, le tribut de l’enregistrement et des douanes aux Romains, sans compter les péages et les impôts sur le sel et sur les marchés ! Ils croulent déjà sous les charges et finiront par perdre leurs champs et leurs terres ! Et l’on verra alors des vagabonds innombrables par les chemins, un climat d’incertitude et de mécontentement général s’installera dans le pays, chacun haïssant son voisin, tout comme cela s’est déjà produit en Judée.

Le conseiller romain ouvrit la bouche, prêt à parler mais Claudia Procula le prévint :

— Je partage ton opinion, ô Chousa ! dit-elle d’un air entendu. Jésus de Nazareth était un homme juste et pieux, et Ponce Pilate ne l’aurait point envoyé à la mort si les Juifs ne lui avaient forcé la main.

Après le repas, notre hôtesse se plaignant de maux de tête se retira dans ses appartements, où le médecin la suivit pour lui préparer une boisson sédative. Chousa se leva également, prétextant qu’il avait à régler avec son épouse des affaires d’ordre domestique, de sorte que le conseiller et moi-même restâmes seuls étendus sur les coussins à déguster le vin. Il but sans retenue tout en essayant de me soutirer des détails sur Rome, souhaitant, à l’évidence, obtenir des renseignements sur l’influence grandissante de Séjan, mais je pris garde à ne point me compromettre. Lorsque d’ailleurs il sut que j’avais quitté Rome depuis plus d’une année, je perdis tout intérêt à ses yeux. Moi, de mon côté, je lui fis quelques questions sur la cour et son prince.