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Il rit sans retenue et me fit cet avertissement :

— Je te conseille de ne point te risquer une nouvelle fois à l’appeler renard en public ! Tous les descendants d’Hérode le Grand sont rancuniers et très chatouilleux sur le chapitre de leur honneur. On ne peut nier leur intelligence exceptionnelle ni leur impudicité, mais au moins ils font preuve d’une grande fidélité à l’égard de Rome à laquelle ils doivent leur position. Leurs liens de parenté sont si obscurs qu’il vaut mieux ne point trop s’interroger là-dessus. Hérode le Grand était le grand-père d’Hérodiade et sans doute les Juifs ont-ils de bonnes raisons de mettre en question la légitimité de son mariage. Mais heureusement que le prince a les moyens de suivre sa propre loi, car au milieu de sa cour un docteur y perdrait son savoir. J’ai moi-même un droit de veto en cas de meurtre mais je ne suis pas assez fou pour l’utiliser ! Mon seul souci consiste à profiter de cet excellent emploi afin d’amasser un petit capital, et la ville de Tibériade, par ailleurs, n’est point une cité trop désagréable pour qui vient de Rome. Que dirais-tu de nous enivrer, puis d’aller ensemble par la ville prendre un peu de plaisir ? Je te montrerais comment un homme sensé peut organiser sa vie de plaisante manière tout en se tenant à l’écart des affaires qui ne le concernent nullement.

Je refusai de l’accompagner en lui montrant mon pied.

— Bien entendu, j’ai des espions dans toutes les agglomérations importantes de Galilée, poursuivit-il, et la légion maintient ici une garnison de quelques hommes. Je veille à ce que l’on n’introduise point d’armes illicitement dans le pays afin que le prince ne puisse se constituer de réserves ; de même que je surveille ses relations avec l’étranger : il a coupé fort à propos les ponts avec les Arabes, et la Perse est une contrée bien trop éloignée pour un prince de cette catégorie. Bref, je remplis mon rôle vis-à-vis de Rome.

Je lui demandai comment il avait réussi à éviter la contagion de la religion hébraïque dans un pays qui fourmillait de prophètes et de saints.

— Je prends garde à ne point mettre mes doigts dans le nid de guêpes, assura-t-il avec un geste résolu. Nous les Romains, nous offrons des sacrifices à l’effigie de l’empereur, malgré la timide opposition de Tibère, mais nous n’obligeons pas le peuple à agir de même ; les gens d’ici, en revanche, sont tellement éloignés de la civilisation que les nobles eux-mêmes refusent de se rendre au théâtre lorsque l’on parvient à y faire représenter un spectacle. Il est en ce pays tout à fait hors de question qu’un condamné trouve une véritable mort sur scène comme à Alexandrie, et nous devons nous satisfaire dans les tragédies de poches pleines de succédané de sang ! En outre, les Juifs ne veulent point voir de frivoles divertissements sur scène et n’admettent même pas l’idée d’une farce !

Soudain frappé par un souvenir, je lui demandai si Tibériade accueillait actuellement une troupe de comédiens.

— Pas que je sache ! répondit-il en secouant la tête. Si le prince ne finance pas la représentation, il est difficile de trouver un bienfaiteur qui prenne les frais à sa charge ! Le théâtre ici ne correspond point à un goût populaire comme dans les pays civilisés !

Il se retira peu après suivi de Chousa ; je les accompagnai jusqu’à la cour où ils montèrent dans leur litière, et pris congé d’eux avec la plus grande courtoisie, pensant avoir tout à gagner en me montrant déférent à l’égard de ces deux éminents personnages. Le médecin du prince profita de l’occasion de faire un tour dans la station balnéaire pour glaner quelque argent. Après leur départ, Claudia Procula me fit appeler auprès d’elle.

— La Magdaléenne a-t-elle du nouveau ? me demanda-t-elle d’une voix faible, la tête appuyée sur les mains. Que t’a-t-elle dit à mon intention ?

— Il faut attendre, répondis-je. Nul, semble-t-il, ne connaît rien de plus que ce que nous savons déjà.

— On m’a porté un message, raconta Jeanne, disant que dans l’intérieur, près de Naïm, on avait vu un homme ressemblant à Jésus, mais il a disparu avant que les doux ne le puissent rencontrer.

— Peut-être que les témoins ont des raisons de ne point en parler, dis-je.

Claudia Procula ajouta dans un murmure :

— J’avais une grande illusion en entreprenant ce voyage plein d’embûches : je me proposais de lui fournir l’occasion de guérir mes douleurs pour acquérir de la renommée après sa résurrection. Pourquoi donc ne m’apparaît-il point ? Rien ne l’en empêche s’il peut passer à travers des portes fermées lorsqu’il le désire ! Je n’aurais nulle crainte ! Les cauchemars me torturent si terriblement chaque nuit ! Je commence à me lasser de cette attente ! Certes, les bains soufrés me procurent quelque détente, mais je suis préoccupée par ce que je dois porter pour assister aux courses ; Ponce Pilate, malgré ses richesses, est un homme plein d’avarice car il est d’une très humble origine, sais-tu, sa mère était une barbare de la partie la plus septentrionale de la Bretagne où l’on mange de la tourbe.

— J’ai soufflé un mot de ta gêne à Chousa, dit Jeanne. Il est d’avis que le prince te doit au moins un vêtement de soie si tu honores la course de ta présence.

— Mais s’il m’envoie un des vieux chiffons d’Hérodiade, je le prendrai comme une offense, j’espère que tu as été clair là-dessus, reprit Claudia sur un ton d’extrême irritation. Outre que je me refuse absolument à accepter quoi que ce soit de cette prostituée juive, j’exige que ce qu’il m’offre sorte des fonds royaux consacrés aux affaires extérieures.

Puis, se tournant vers moi, elle ajouta en guise d’explication :

— Tu me connais, ô Marcus, je n’ai point de prétention ! Je suis une femme mélancolique qui adore la solitude par-dessus tout ! Mais, si je dois faire une apparition publique, il faut que je sois vêtue d’une manière correspondant au rang de mon époux, ne serait-ce que pour le prestige de l’Empire romain. Ce sont des choses qu’un homme a du mal à saisir, même s’il prétend le contraire.

— En effet, je ne comprends pas très bien, avouai-je. Ces courses semblent plus importantes pour toi que Jésus de Nazareth à la recherche duquel tu es venue jusqu’ici. Le fils de Dieu ressuscité édifie peut-être en ce moment même autour de nous un royaume invisible mais toi, tu te soucies bien davantage des vêtements que tu porteras pour distraire des cheiks arabes et de riches propriétaires de chevaux !

— J’ai bien assez de choses invisibles dans mes rêves de chaque nuit ! Chaque nuit, en effet, je souffre les horreurs de l’enfer sans pouvoir ni remuer ni crier et j’ai l’impression que je vais mourir ; tous mes maux s’aggravent avec la lune et j’ai peur de finir par perdre la raison.

Oppressé et sous l’empire du vin, je repartis en direction de l’hôtellerie grecque. Sur le chemin du retour, une vieille femme était assise près du mur de clôture du jardin. Vêtue de sacs, elle avait la tête couverte de sorte que je passai près d’elle sans la reconnaître. Mais elle me salua par mon nom, disant à voix basse :

— Je marcherai devant jusqu’au rivage. Suis-moi sans que nul ne s’en aperçoive.

Elle se mit en route et je la suivis. Elle me conduisit jusqu’à la plage déserte où nul ne nous pouvait voir ni entendre. Alors elle découvrit son visage et je la reconnus : c’était Suzanne, mais elle ne me sourit ni ne me salua avec joie. Au contraire, elle haletait, soupirait, se tordait les mains comme si elle était en proie à de terribles remords de conscience et ne savait par où commencer. Je lui reprochai avec véhémence sa trahison et lui demandai où se trouvaient Nâtan, mes ânes et ma bourse.