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Au second tour de piste, le conducteur de l’attelage brun, appartenant au commandant de la cohorte de cavalerie de Césarée, renversa avec le poids de son char celui d’Édom ; l’aurige, empêtré dans les rênes, fut traîné sur la piste jusqu’à ce que le cheval de côté s’écroulât à son tour. Le char romain prit ainsi une avance appréciable, mais celui du prince le talonna bientôt. L’homme à terre se releva en titubant, la moitié du corps ensanglantée, remit sur pieds le cheval tombé en le tirant par les naseaux et réussit également à reposer sur ses roues son quadrige, de sorte qu’il se trouva en mesure de reprendre la course ; l’animal blessé boitait toutefois à tel point que son char ne représentait plus aucun danger dans la compétition, sinon une gêne pour les autres attelages. L’homme, à mon avis, n’était retourné en piste que pour se venger du Romain.

Dans une course semblable où les attelages, d’une puissance quasi égale, se précipitent sur la piste, il est pratiquement impossible d’obtenir une avance supérieure à un tour : en effet, les derniers chars bouchent le passage et le conducteur qui a réussi à gagner un tour ne peut décider de risquer sa chance en tentant de les dépasser. Le blanc avait complètement perdu la cadence car le cheval, aveuglé par le coup de fouet, remuait désespérément la tête ; son maître paraissait en proie à la fureur, il agitait les bras en proférant des malédictions et brandit son poing contre Hérode lorsqu’il passa devant sa tribune. Pendant ce temps, les noirs coursiers arrivaient à la hauteur du solide attelage du lourd char romain. Claudia Procula, debout, criait et trépignait sur ses sandales dorées.

Je n’arrivais point à tenir le compte du nombre de tours effectués et je ne vis pas non plus ce qui se passa mais tout à coup, le char syrien, avec son attelage, sortit du peloton comme lancé par une catapulte et s’écroula au milieu de l’arène ; les bêtes s’effondrèrent tout enchevêtrées et le conducteur, les rênes toujours attachées à la ceinture, vola de sa voiture pour aller rouler sous les sabots des animaux : je ne saurais dire quel cri de mort fut le plus terrible, de l’homme ou d’un des chevaux.

Quelques instants plus tard, le quadrige blanc, surgissant aux côtés de celui qui prenait le virage très près des bornes, le projeta contre une d’elles si violemment qu’il tomba en pleine vitesse ; l’arabe en revanche se tira de la rencontre sans le moindre accroc. Je pense que la bête blessée fut la responsable de ce choc, car si elle eût vu, sans doute ne se fût-elle point tant approchée de l’autre char. L’aurige renversé, luttant contre la mort, réussit à écarter ses chevaux de la piste avant que n’arrivât l’attelage suivant pour le piétiner, puis, lorsqu’il vit les garçons d’écurie accourir vers lui, il s’écroula face contre terre, sans plus pouvoir se relever. J’admirai sincèrement la merveilleuse habileté de ces conducteurs !

Les paris à présent fusaient de toutes parts. Apparemment, le quadrige brun du commandant romain de cavalerie avait trouvé des partisans en grand nombre qui misèrent sur lui contre celui du prince ; les Arabes, en particulier, après avoir abandonné leur propre couleur choisissaient de préférence le Romain contre Hérode et agitaient leurs mains frénétiquement dans leur enthousiasme. Le char princier avait maintes fois essayé de dépasser le romain que son aurige conduisait toujours avec froideur, faisant claquer son fouet sans répit. Dans sa tribune Hérode se leva, frappa des pieds et vociféra des encouragements à son aurige, l’exhortant à passer le Romain ! Tous les chevaux étaient couverts d’écume et on respirait des nuages de poussière bien que la piste eût été copieusement arrosée avant le départ.

Le plus étonnant était que, presque par inadvertance, l’attelage blanc, grâce à sa vitesse, occupait maintenant la troisième place et ce, malgré les nombreuses secousses infligées à son char de faible poids. Après s’être un peu fatigués, les splendides chevaux à la robe blanche galopaient à présent d’une allure régulière qu’ils conservaient habilement en dépit de tout. Le cheval blessé lança un hennissement en levant la tête ; son maître alors se penchant lui dit quelques mots et l’intelligent animal cessa de donner des ruades pour tenter de se séparer de ses compagnons.

Un autre char perdit une roue ; l’aurige parvint à faire tourner son attelage de manière à le placer hors de l’atteinte des autres, mais la roue continua de rouler sur la piste et le Romain se vit contraint de l’esquiver. Le Galiléen saisit l’occasion et, se penchant en avant, fouetta sauvagement ses bêtes qui réussirent à passer devant le Romain. Tout le public debout poussait de grands cris et Claudia Procula sautillait sur place en hurlant de joie, malgré la honte que lui inspirait sans doute la défaite de son compatriote ; sa façon d’agir éveilla parmi la plèbe une vive sympathie et fit sourire maintes personnes.

Le nombre de chars concurrents avait considérablement diminué, mais les traînards empêchaient le conducteur du prince de profiter de son avantage. Alors l’aurige d’Édom, tout ensanglanté et un côté du visage arraché, tourna la tête, lui fit un signe de la main et se rangea pour lui laisser le passage ; puis, d’une manière délibérée, il se plaça devant le quadrige romain et réduisit manifestement son allure. Cela se passait sur la ligne droite, non dans la courbe, et l’aurige brun furibond, hurla une série de malédictions car cette attitude constituait une grave infraction au règlement. Mais qui aurait pu en témoigner ? L’Édomien pourrait toujours inventer un prétexte pour la justifier ! Même les Arabes, qui avaient parié sur le quadrige romain, hurlaient et montraient le poing. Et pendant ce temps, les coursiers blancs filant comme le vent sur le côté extérieur, laissèrent derrière le Romain et l’Édomien, atteignant avant eux la courbe et reprirent leur place dans la partie intérieure de la piste, talonnant dès lors le char du prince Hérode. Le silence s’abattit sur les gradins car nul n’avait cru un tel exploit possible.

Après la courbe, le Romain galopa à l’extérieur où il rattrapa sans difficulté le char brinquebalant de l’Édomien. Il avait largement la place de le doubler avant d’atteindre le virage suivant mais, retenant ses bêtes, il asséna de violents coups de fouet sur la tête de l’aurige blessé qui tomba à genoux dans son char. Cette brutalité souleva de nouveau les hurlements de la foule et si l’on entendait de nombreux applaudissements, elle provoqua également une flambée de haine contre les Romains et l’on put voir des gens échanger des horions sur les gradins. Mais tout cela n’avait guère duré que le temps d’un éclair ; presque aussitôt l’Édomien, se relevant à grand peine, excita ses bêtes et parvint dans un ultime effort à se placer devant le quadrige romain ; puis, il fit faire volte-face à ses chevaux dans le but évident de fermer le passage au brun attelage : ce n’était plus une course mais un assassinat ! Les grands chevaux à la robe brune heurtèrent de plein fouet ceux du quadrige du pays d’Édom, le brusque arrêt en grande vitesse projeta le Romain la tête la première hors de son char et, en dépit des lanières et du casque, il se fracassa le crâne contre le mur au pied des spectateurs et il demeura sans vie sur la piste. De son côté, l’Édomien expira avant la fin de la course des suites des blessures infligées par les sabots des chevaux.

Le déblaiement de la collision obligea les attelages qui restaient en lice à freiner leur vélocité. Mais l’aurige du prince Hérode vociféra en brandissant son fouet, si bien que es garçons d’écurie qui tentaient d’ôter le corps du Romain du milieu de la piste le laissèrent choir pour s’enfuir en courant, craignant pour leur propre vie. L’homme du prince tenta de faire passer sur le cadavre ses noirs coursiers mais, n’étant point des chevaux de combat, ils se cabrèrent plutôt que de marcher sur le corps d’un homme, infligeant de telles secousses à leur char que peu s’en fallut qu’il ne se retournât.