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— Je vous écoute.

— J’ai eu… un rapport non protégé, cette nuit. Je… j’avais bu et aussi… j’ai…

— De la drogue ?

— Oui. (Elle feignit la honte et la culpabilité.)

— Laquelle ?

— Peu importe. Ce n’est pas pour ça que je suis ici. Mais à cause de… de la… contamination éventuelle.

Il hocha la tête.

— Je vois. Vous voudriez faire le test, c’est ça ?

Elle acquiesça. Il réfléchit.

— Je peux vous prescrire un test Elisa pour dans trois semaines : avant, ça ne servirait à rien, de toute façon. Et un deuxième test de confirmation au bout de six semaines. Mais, en attendant, je dois vous… hum… poser un certain nombre de questions… Pour décider quel genre de traitement post-exposition je dois vous prescrire : est-ce qu’un simple traitement prophylactique suffit, ou bien est-ce qu’on doit, d’ores et déjà, envisager une multithérapie pour essayer d’enrayer l’infection, vous saisissez ?

— Je crois que oui.

— Bien. Y a-t-il eu rapport oral, vaginal ou anal ?

— Euh… vaginal.

— Pas de rapport anal ? insista-t-il.

— Non.

— Que savez-vous de votre partenaire ? Est-ce que vous le connaissez bien ?

— Pas du tout. C’était un… un inconnu, vous voyez, répondit-elle en rougissant.

— Vous l’avez rencontré comment ?

— Eh bien, dans un bar… deux heures avant.

Pendant une fraction de seconde, elle eut la désagréable impression qu’il la jugeait.

— Excusez-moi. Vous dites l’avoir rencontré dans un bar. À votre avis, vous pensez qu’il pourrait être séropositif ? Qu’il a une conduite à risque ?

— Il m’a baisée sans capote, répliqua-t-elle sèchement. Et il ne me connaissait pas. Alors, oui : je pense que la probabilité n’est pas nulle…

Violée, hurla la voix dans son esprit, pas baisée… Elle entendit celle de l’homme dans son oreille disant : « JE SUIS SÉROPOSITIF. » Vit le jeune interne rougir violemment et froncer les sourcils, puis il attrapa une feuille d’ordonnance.

— Je vais vous prescrire dès maintenant une association de plusieurs anti-rétroviraux : à prendre pendant quatre semaines. Ensuite, vous arrêtez le traitement pendant trois semaines avant de faire le test. Vous avez un médecin traitant ?

— Oui, mais…

— Écoutez. Peu importe qui fait quoi : faites-le, d’accord ?

Elle hocha la tête.

— À prendre pendant les repas, précisa-t-il en rédigeant l’ordonnance. Respectez bien les horaires de prise et les doses. Vous aurez peut-être des diarrhées, des nausées, des vertiges, mais surtout, surtout, vous n’arrêtez pas le traitement, c’est compris ? Ces désagréments disparaîtront au bout de quelques jours.

— D’accord.

— Si vous oubliez une prise…

— Je n’oublierai pas.

— … si vous oubliez une prise, persista-t-il (il devait penser qu’une femme de son âge capable de baiser sans capote avec un inconnu rencontré dans un bar était totalement irresponsable), attendez l’heure de la prochaine et ne doublez surtout pas la dose. Si vous vomissez moins de trente minutes après la prise, reprenez une dose. Dans le cas contraire, non. Je vais aussi vous prescrire des prises de sang pour détecter d’éventuelles complications.

Il lui lança un regard qui trouva le moyen d’être à la fois embarrassé et sévère.

— Attention : ce traitement ne vous protège pas d’une nouvelle contamination. Il ne protège pas non plus vos… votre partenaire… euh… éventuel… vous comprenez ?

OK. Il la prenait pour une nympho. Puis, d’un coup, son regard se radoucit.

— Écoutez, il y a de grandes chances pour que vous n’ayez rien. Ce sont de simples mesures de précaution. Mais au cas où, malheureusement, vous seriez contaminée, il vaut mieux suivre un traitement pendant quatre semaines que d’être obligée de se soigner toute sa vie.

Il savait — et elle savait aussi — que ce traitement ne garantissait pas pour autant qu’elle éviterait toute contamination. Mais elle lui fit néanmoins signe de la tête qu’elle avait compris.

Replicant. C’était écrit au-dessus de la porte. Le « R » avait la forme d’un pistolet-mitrailleur. Sympa… Elle poussa la porte vitrée et le tintement de la clochette fut remplacé par une sirène de police hululante telle qu’on pouvait en entendre dans les rues de Chicago ou de Rio.

Autour d’elle : vitrines, présentoirs, étagères sous clé, néons, reflets, verre Sécurit. Et tous les artefacts nés de l’acharnement de l’espèce humaine à s’étriper depuis la nuit des temps. Armes à feu : fusils de chasse, fusils à pompe, armes de poing, pistolets et revolvers de catégorie B : leur acier brun, poli, viril. Carabines à plomb, airsoft guns, pistolets à billes… Munitions tous calibres… Optiques : lunettes de tir, jumelles, viseurs point rouge, vision nocturne… Coutellerie : poignards, couteaux à lancer, machettes, katanas, tomahawks, haches, étoiles de ninjas — tous étincelants, beaux, délicats, fuselés, presque des œuvres d’art… Idées cadeaux : des peluches, des trousses de premiers secours et des stylos de défense… Et aussi arbalètes, lance-pierres, nunchakus, sarbacanes, matraques… Même les canettes de boissons énergisantes portaient des noms guerriers : Monster, Grizzly, Dark Dog, Shark, Kalashnikov… La plupart de ces trucs en vente libre. Fascinant…

Le grand type obèse et barbu arborait la même casquette de base-ball que la dernière fois. Elle aurait pu se croire dans une petite ville du Midwest ou sur un stand de la NRA. Ce type était un cliché ambulant.

— Je peux vous aider ? demanda-t-il d’une voix aussi frêle que celle d’un petit garçon.

L’odeur de sueur était toujours là, comme un gaz, autour de lui — et Christine fronça le nez.

— Sûrement, répondit-elle.

Il la sonda, se demandant visiblement si ça voulait dire oui ou si ça voulait dire non. Après un instant de réflexion, il opta pour le oui.

— On ne se sent pas en sécurité, hein ? Nous voulons tous plus de sécurité, assena-t-il d’un ton définitif. Nous voulons tous un monde où les voyous et les criminels sont vraiment punis et les honnêtes gens défendus par ceux qui sont censés le faire. Nous voulons tous l’ordre et la paix. Mais ça ne marche pas comme ça… Personne ne nous défend vraiment. Personne ne nous vient en aide, en fait. Personne ne se soucie de nous. (Elle se demanda soudain si, à travers ce « nous », elle ne devait pas comprendre « lui »). Alors, nous devons le faire nous-mêmes. Nous devons prendre notre destin en main. Surtout quand on est une femme dans un monde d’hommes…

— C’est exactement ça, persifla-t-elle, tout en se demandant si, involontairement, ce bouffon ne venait pas d’émettre une vérité.

Il lui décocha un clin d’œil, l’air de dire : « Je le savais dès que je vous ai vue entrer, ma petite dame. Vous et moi, on se comprend. »

— Eh bien, vous êtes au bon endroit, dit-il fièrement.

— C’est ce que je vois, renchérit-elle. Toutes ces armes : elles sont autorisées par la loi ?

— On l’emmerde, la loi. (Il lui adressa un sourire d’excuse pour ce gros mot ; il avait une bouche minuscule mais lippue comme celle d’une carpe au milieu de sa barbe bouclée.) Elle est où, la loi, quand on a besoin d’elle, hein ? Mais ne vous inquiétez pas : ce que je vais vous montrer est en vente libre pour toute personne ayant plus de dix-huit ans. C’est votre cas ?