Выбрать главу

— Je t’en supplie, arrête… Il est capable de tout… Je sais qu’il me surveille… Tu ferais mieux de filer d’ici… Tu n’as pas la moindre idée de ce que tu fais. Tu ignores à qui tu as affaire, à quel point il est dangereux.

Elle émit un soupir.

— Cordélia, ce n’est pas ce que je t’ai demandé. Qui ? C’est la seule question qui m’intéresse.

— Va-t’en, dit la jeune femme. Va-t’en avant qu’il ne soit trop tard… Je ne dirai rien de ce qui vient de se passer, je le jure. (Comme Christine ne bougeait pas, elle ajouta :) Tu n’imagines pas de quoi il est capable, tu n’en as aucune idée…

Christine soupira, remit le ruban en place, appuya dessus à plusieurs reprises pour s’assurer qu’il adhérait bien. La stagiaire secoua vigoureusement la tête, les yeux agrandis par l’inquiétude.

Christine fixa l’épaule osseuse, qui pointait sous le tee-shirt.

Son cerveau soupesa. Évalua. Elle éleva la matraque s’efforçant de maîtriser le tremblement de son poignet. Elle lut la douleur, énorme, quand la clavicule céda sous l’impact, puis la résignation dans le regard de la jeune femme, qui ferma les paupières (mais de grosses larmes roulèrent sous ses cils).

L’espace d’un instant, Christine se demanda si elle s’était évanouie. Elle écarta l’adhésif.

— Tu es sûre que tu ne veux rien me dire ?

Les yeux se rouvrirent d’un coup.

— Va te faire foutre.

Elle réfléchit. Elle avait beau avoir changé, elle n’était pas une tortionnaire : est-ce que ce qu’elle venait de faire pouvait être qualifié de « séquestration et actes de torture » devant un tribunal ? Sans aucun doute. N’empêche que, se dit-elle, chacun agit, en fin de compte, selon ses principes et sa morale. Il n’y a que des règles propres à chaque individu et, selon ses critères à elle, une véritable séance de torture, ce n’était pas ça : c’était ce qui risquait de venir ensuite…

— Va-t’en, la supplia Cordélia. Je t’en prie. Tu ne le connais pas : il te fera du mal. Et à moi aussi.

— Il m’en a déjà fait, il me semble, rétorqua-t-elle.

Elle remit le ruban en place sur les lèvres de la stagiaire. Mais le doute s’insinuait. Et la peur — à nouveau. Les yeux écarquillés, tout en remuant ses membres ankylosés pour réactiver la circulation sanguine, Cordélia paraissait véritablement effrayée. Qui était cet homme qui la terrorisait à ce point ?

Il y avait peut-être une solution… Une solution qui lui répugnait. Qui lui soulevait l’estomac.

Elle plongea la main dans le sac, en sortit le cutter. Vit le regard agrandi, terrifié, de la stagiaire sur la lame.

— Anton est en train de dormir ?

Le regard se durcit, devint féroce.

— Tu veux que je m’occupe de ton bébé ? dit soudain Christine.

Elle retira l’adhésif.

— Si tu touches à un seul de ses cheveux, je te tue, cracha la stagiaire d’une voix vibrante de haine. Tu ne feras pas ça… C’est du bluff, ta mise en scène. Je te connais : tu n’es pas ce genre de personne. Tu es incapable de faire une chose pareille.

— J’étais. Ça, c’était avant, Cordélia…

— Tu ne le feras pas, insista la stagiaire — mais sa voix tremblait quelque peu.

— Vraiment ? Regarde : vois ce que vous avez fait de moi.

Elle se leva. Se dirigea vers la pièce voisine. Repoussa la porte entrebâillée. Elle eut l’impression que ses semelles se remplissaient de plomb. Le bébé était là : en train de dormir paisiblement dans son landau. Un mobile fait d’un croissant de lune et de planètes pendait au-dessus de lui, ainsi qu’un hochet suspendu à portée de sa petite menotte. La lame se mit à trembler dans sa main quand elle s’approcha, le sang bourdonnant dans les tempes. Cordélia avait raison, bien sûr : c’était du bluff. Le cutter, tout au moins… Elle avança sa main libre. Et merde… Ses doigts pincèrent la peau fine et douce, le petit bras dodu et rose. Aussitôt, Anton ouvrit les yeux et se mit à hurler. Elle le pinça une nouvelle fois, plus fort : les hurlements explosèrent.

— Reviens ! hurla Cordélia dans le salon. Je t’en supplie ! Reviens ici !

Christine se sentait au bord de la nausée. À quoi était-elle en train de jouer ?

— Reviens ! Je t’en supplie ! hurla Cordélia dans la pièce voisine. Je vais parler !

Elle entendit la mère pleurer sans retenue.

Ne te laisse pas fléchir. Concentre-toi sur ta colère.

Elle revint dans le salon. Le bébé hurlait toujours. Cordélia leva vers elle des yeux hagards, parla très vite :

— Je ne connais pas son nom… Il nous a contactés, Marcus et moi, et nous a proposé de l’argent. Au début, il s’agissait juste de passer un coup de fil à la radio, de déposer une lettre — il nous a dit exactement quoi faire… Et puis, il a voulu qu’on te fasse peur, qu’on…

Les larmes inondaient les cils de la stagiaire.

— Qu’on… casse une patte à ton chien… Je n’étais pas d’accord… mais il était trop tard pour reculer… et il y avait beaucoup d’argent à la clé… Beaucoup. Je suis désolée : je ne savais pas que ça irait si loin, je le jure !

— Qui est Marcus ?

— Mon copain.

— C’est lui qui m’a violée ? Qui a tué mon chien ?

La stupeur dans les yeux de la jeune femme. Christine y lut un doute effroyable.

— Quoi ?! Il devait… il devait seulement… te droguer !

Elle secouait la tête, à présent, pleine de désarroi.

— Cet homme qui vous a contactés ? Qui est-ce ?

— J’en sais rien ! J’en sais rien ! Je ne connais pas son nom, je le jure !

— À quoi il ressemble ?

Le regard de la stagiaire se porta derrière Christine.

— L’ordinateur… Il y a une photo dedans… On le voit monter dans sa voiture. Marcus l’a prise à son insu : au cas où il nous arriverait quelque chose, après notre premier rendez-vous… Le fichier s’appelle…

Christine se retourna. L’ordinateur était posé sur la table basse. Ouvert et allumé. Une étrange sensation, accompagnée d’un vertige, lorsqu’elle se leva. Allait-elle le reconnaître ? Était-ce quelqu’un qu’elle connaissait ? Tout d’un coup, elle n’était plus aussi pressée de découvrir la vérité.

— Il y a une icône sur le bureau, lança Cordélia dans son dos. C’est écrit « X »…

Christine contourna l’appareil. Se pencha vers l’écran. Elle repéra l’icône. La sensation était toujours là. Son index s’approcha du pavé tactile, déplaça le pointeur. Un tremblement. Elle double-cliqua. Le dossier s’ouvrit. Une demi-douzaine de clichés.

Avant même d’avoir affiché le premier, elle sut : elle l’avait reconnu.

Elle ne sentait plus rien, sinon le vide qui aspirait toute pensée.

Léo

36.

Balcons

La porte entrée s’ouvrit au même moment.

— Cordie ? Tu es là ?

Christine se retourna, croisa le regard de la stagiaire. Merde ! Elle se précipita sur le porte-clés lacrymogène et le poing électrique.

— MARCUUUS ! AU SECOURS ! hurla Cordélia.

Ignorant la jeune femme qui se tortillait par terre, elle se rua vers la silhouette qui venait d’apparaître, l’aspergea de lacrymo. Mais le petit homme avait déjà mis sa main en écran et seule une partie du nuage atteignit son visage efféminé. Il n’en toussa pas moins violemment et cligna des yeux tout en les écarquillant, la sclérotique si rouge qu’on devinait à peine les iris. Suffisant pour donner à Christine le temps de lui balancer 300 000 volts dans l’épaule. Elle le vit se raidir et se mettre à trembler. Puis il s’effondra. Une fois de plus, elle prolongea l’arc électrique au-delà des cinq secondes, mais les piles étaient en train de se décharger. Elle attrapa la matraque et lui frappa les deux rotules à plusieurs reprises avant de lui balancer un ultime coup entre les jambes — ce dernier n’atteignit pas vraiment sa cible, car il s’était recroquevillé sur lui-même.