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C’est tout toi, ça, sœurette : tu ne fais jamais les choses à moitié. Bien joué ! Il n’est pas près de se remettre à courir après ça… File, à présent.

Elle attrapa le sac noir, fourra la bombe, la matraque et le poing électrique à l’intérieur et tira sur la fermeture Éclair.

— Espèce de salope ! gémit Cordélia derrière elle. Tu vas nous le payer ! Mon Marcus te fera la peau, conasse !

Elle claqua la porte et remonta le couloir à grandes enjambées vers l’ascenseur. Son palpitant galopait comme si elle venait de courir un cent mètres. Dans la cabine, elle se rendit compte qu’elle était en nage, le cœur dans la gorge, le corps parcouru de spasmes. La descente lui parut interminable mais, quand elle émergea dans le hall, elle s’efforça de respirer calmement et de ralentir son pas. Elle sortit dans la brume froide et humide et sursauta en voyant les deux silhouettes encapuchonnées qui entouraient Akhenaton-Gérald un peu plus loin. Elle avait toujours la dragonne de son poing électrique passé autour du poignet, dans sa poche, et elle vérifia du bout des doigts que le cran de sûreté était toujours ôté. Mais il ne devait plus y avoir beaucoup de charge.

— La voilà, dit Gérald en la voyant approcher.

Elle se raidit, sans cesser d’avancer vers eux ; leur haleine formait de petits nuages de vapeur devant eux tandis qu’ils parlaient. Mais Gérald ne paraissait ni inquiet ni nerveux.

— Vous hésitez pas à m’envoyer vos CV, les gars, dit-il, je vais voir ce que je peux faire, d’accord ?

— C’est cool. Merci, m’sieur.

— Pas de quoi. Bonne journée.

— Vous aussi. Bonjour, mademoiselle.

Elle leur rendit leur bonjour ; ils se mirent en marche rapidement vers la station de métro.

— Tu fais passer des entretiens d’embauche dans la rue, maintenant ?

— Ces garçons ont été mes étudiants, dit-il.

Elle le regarda, étonnée.

— Et ils t’ont reconnu malgré ton déguisement ?

Il partit d’un rire bref.

— Ils m’ont demandé ce que je faisais là, j’ai répondu que j’attendais une amie… Ils m’ont aussi demandé si j’allais à une fête costumée…

Il se tourna vers elle.

— Alors ? Ton plan ? Il a fonctionné ?

Elle lui décocha un clin d’œil.

— Au poil.

Une lueur de curiosité dans son œil.

— Et qu’est-ce que tu as découvert ?

— Le nom du salopard qui est derrière tout ça…

Elle avait prononcé cette phrase d’une voix glacée. Elle croisa son regard. Il était interrogateur. Le portable de Christine choisit ce moment pour émettre une courte vibration dans la poche de son jean. Elle l’extirpa et regarda l’écran. Rien. Puis elle comprit : ça ne venait pas de son téléphone officiel. Mais de celui à carte prépayée qu’elle avait utilisé pour joindre Léo. Elle le chercha dans une autre poche. Vit qu’elle venait de recevoir un texto. Elle l’ouvrit et lut :

« Rejoins-moi au McDonald’s de Compans, Léo. »

Elle fixa l’écran. Son cerveau tentait d’analyser. De comprendre. Où était le piège ? Marcus et Cordélia avaient-ils déjà prévenu Léo ? Mais si la stagiaire avait aussi peur de sa réaction qu’elle le disait, pourquoi l’aurait-elle fait ? Ça ne pouvait pas être une coïncidence, pourtant : sa visite, les révélations de Cordélia et aussitôt ce texto… Quelque chose clochait. Si c’était un piège, pourquoi Léo aurait-il choisi un McDo — un endroit public, fréquenté par des jeunes, des étudiants et même des familles avec des enfants, et qui devait commencer à se remplir à cette heure ?

Quelque chose lui échappait dans la logique des événements et elle n’aima pas ça. Pas plus que le capitaine du navire qui se rend compte au milieu de la tempête qu’il a perdu le cap — et qu’il ne se trouve pas du tout là où il croyait…

— Hé, oh ! Qu’est-ce qui se passe ? lui demanda Gérald.

Ils avaient atteint la grande esplanade. Elle se retourna.

— Il faut que j’y aille… Je t’expliquerai…

Il la regarda, perplexe. Elle se mit à trottiner en direction de la bouche de métro.

— Chris ! Bon Dieu, attends-moi !

Il s’était mis à courir derrière elle. Elle fit volte-face.

— Non ! Je dois y aller seule ! Je t’expliquerai !

Il se figea au centre de l’esplanade, l’air contrarié. Ou vexé. Le brouillard le cernait et l’enveloppait. Silhouette immobile et grotesque, il disparut de sa vue quand elle s’enfonça dans les entrailles du métro.

Il la regarda approcher sans sourire, son regard posé sur elle pendant tout le temps qu’elle mit à traverser la salle au décor vaguement moderniste qui ressemblait à une leçon de géométrie dans l’espace. Il portait un manteau gris en drap de laine sur un col roulé à grosse maille. Elle s’assit en face de lui, sur l’un des sièges aux dossiers en forme de rame verticale — sans cesser de soutenir son regard.

— Salut, Léo.

Il avait l’air préoccupé. Parce qu’il savait qu’elle savait ? Il baissa un instant les yeux sur son Royal Bacon dégoulinant de fromage fondu, de moutarde et de ketchup, puis les releva. Les fines pattes-d’oie au coin de ses yeux se plissèrent davantage.

— Je te dois des excuses, dit-il.

Elle haussa les sourcils.

— Pour ce que je t’ai dit au téléphone, l’autre jour. C’était injuste. Et c’était cruel…

Elle garda le silence.

— Mais il y avait une bonne raison à cela…

Il regarda autour de lui, comme pour s’assurer que personne n’était assez près pour les entendre, baissa la voix de quelques décibels, et elle comprit qu’il avait choisi cet endroit qui ne lui ressemblait pas parce que le niveau sonore et l’affluence leur garantissaient une certaine confidentialité.

— … j’avais besoin de gagner du temps et… je craignais que… quelqu’un ne m’ait mis sur écoute.

À côté d’eux, un garçonnet et une fillette d’une dizaine d’années se battaient très bruyamment pour les derniers Chicken McNuggets au fond de la boîte, tandis que leur mère tentait de jouer les arbitres, sans cesser d’aspirer goulûment la paille plantée dans son frappé mangue-passion.

— Mis sur écoute ?

— Oui.

Elle le contempla un instant, pensive.

— Gagner du temps pour quoi ? demanda-t-elle ensuite, en élevant la voix pour se faire entendre au milieu du brouhaha qui allait croissant.

— Pour vérifier certaines choses…

Il se pencha en avant, pénétrant dans sa sphère personnelle. Son regard planté dans celui de Christine. Les nombreuses lumières au plafond et les écrans sur les murs se reflétaient dans ses iris, et elle aperçut son propre visage, minuscule, dans le noir de ses pupilles.