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Tu vois ce qui t’attend. Tu ferais mieux de faire le boulot toi-même. Finissons-en. Et si tu essaies encore une fois de te rebeller, c’est à ta mère qu’on s’en prendra…

La tête lui tourna. Pendant un instant, elle fut tentée d’aller à la fenêtre de la chambre et d’appeler ce flic en bas. Puis un détail lui sauta aux yeux. Et ses jambes faiblirent. C’était son écriture. Parfaitement imitée — en tout cas pour un œil non expert. Elle se demanda si un graphologue serait capable de faire la différence. Elle était piégée. Encore une fois… Car elle savait ce que ce connard de flic penserait : qu’elle l’avait écrite elle-même, comme l’autre. Qu’elle était folle. Et dangereuse. Oh, oui, foutrement dangereuse.

Encore une fois, son ennemi avait plus d’un coup d’avance…

Elle aurait sans doute été tentée de s’apitoyer auparavant en pensant à ce qui venait de se passer. Mais, à présent, ses yeux étaient secs. Sa pensée se déplaça vers le cadavre d’Iggy dans la salle de bains. Il fallait qu’elle lui trouve une sépulture, elle ne pouvait pas le laisser là indéfiniment. Que se passerait-il si la police le trouvait ? Elle songea que son ennemi avait tué son chien, l’avait violée et avait tué un homme, tout ça dans la même nuit : il était passé à la vitesse supérieure. Il n’y aurait plus aucune limite, aucun frein à sa fureur désormais : c’était une lutte à mort. Elle chancela à cette idée. Pensa à cette femme qui s’était suicidée. Célia. Sentit la rage revenir : elle serait plus forte, elle allait se battre, elle n’avait plus rien à perdre. Elle devait prévenir Léo de ce qui s’était passé ce soir, lui dire qu’Il avait encore franchi un cap supplémentaire… Il devait être averti du danger. Tout comme Gérald…

Puis la sonnette grésilla dans le silence de l’appartement et elle se figea sur place.

Son regard pivota vers l’entrée. Était-il assez fou, assez audacieux, assez inconscient pour lui rendre visite avec des flics plein la rue ? Pourquoi pas ? Ce serait une sacrée apothéose… Elle l’imagina un instant la poussant dans le vide, par la fenêtre, et disparaissant. Tout le monde penserait qu’elle s’était sentie coincée et qu’elle avait choisi de mettre fin à ses jours. Une fin digne d’un opéra… Peut-être même mettrait-il de la musique avant de passer à l’acte…

Non, dit la voix de Madeleine. Arrête de te faire des films, il est bien trop prudent pour se pointer ici maintenant. Il essaie de t’avoir à l’usure, Chris. Il ne prendra aucun risque inutile.

La sonnerie retentit une deuxième fois. On insistait…

Les flics, se dit-elle. Ils viennent m’arrêter

Elle s’avança jusqu’à la porte, à pas de loup, regarda par le judas. Elle était sûre de n’avoir jamais vu l’homme qui se tenait de l’autre côté. La quarantaine. Des cheveux bruns épais et une barbe de six jours. Yeux cernés, joues creuses, mais un physique agréable. Pas l’air d’un assassin. Ni d’un malade.

Puis une plaque de flic jaillit devant l’œilleton, bouchant la vue, et elle se recula.

Merde…

Elle mit la chaîne de sécurité, entrouvrit le battant. Il cligna des yeux comme s’il venait de se réveiller, et ils échangèrent un regard prudent par l’ouverture.

— Oui ?

Les paupières de l’homme battirent de nouveau. Il garda un moment le silence, l’observant, la jaugeant tout en prenant le temps de ranger sa plaque. Mais son regard n’avait rien d’hostile. Un sourire se dessinait même sur ses lèvres.

— Je m’appelle Martin Servaz, dit-il. Je suis commandant de police. Et, contrairement à mes collègues, je crois à votre histoire.

37.

Accessoires

À un moment donné, elle s’était assoupie, pelotonnée dans le canapé. C’était la retombée de l’adrénaline, songea-t-il. Depuis combien de temps ne s’était-elle pas sentie en sécurité ? Elle avait remonté la couverture de laine sous son menton et il continua de l’observer sans mot dire, avachi dans le fauteuil.

Comparé à elle, il avait presque l’air en forme. Des cernes noirs creusaient ses joues, ses cheveux étaient secs et fourchus et les os de ses pommettes affleuraient sous sa peau comme des fossiles dans un chantier de paléontologues. Elle en avait bavé et ça se voyait. Et pourtant, elle devait être forte pour avoir résisté au séisme qui avait soudain dévasté sa vie, entraînant l’effondrement de pans entiers de son existence en quelques jours seulement. Un vrai Blitzkrieg… Ce salopard s’y connaissait en guerre éclair — oh, ça, oui.

Elle lui avait aussi raconté sa rencontre avec Fontaine. Ses doutes, les aveux de Cordélia. Il y avait un élément cependant dont elle ne disposait pas : le journal de Mila. Pourquoi ne lui en avait-il pas parlé ? Il se resservit un verre de cet excellent côte-rôtie qu’elle avait débouché deux heures plus tôt. Pourquoi ? Eh bien, parce qu’il ne pouvait pas lui avouer qu’il voulait prendre le spationaute la main dans le sac et qu’en somme elle était sa… sa… chèvre.

Le téléphone bourdonna. Encore Beaulieu. Il lui avait déjà envoyé quatre textos. Servaz se leva. Il passa dans la chambre. Les lueurs des gyrophares traversaient les vitres et repeignaient le plafond et le couvre-lit de couleurs vives.

— Servaz, dit-il.

— Bon Dieu, qu’est-ce que tu fous ? Tu avais dit trois questions ! Et pourquoi tu parles à voix basse ?

— Chhhuttt, elle s’est endormie.

— Quoi ?!

— C’est pas elle. Elle l’a pas tué.

— Ah ouais ? Et comment tu le sais ?

— Parce que j’ai ma petite idée sur celui qui l’a fait.

Il entendit distinctement Beaulieu soupirer.

— Martin, tu délires ou quoi ? Qu’est-ce que c’est que ces conneries ? Tu déboules de nulle part et tu en sais plus que tout le monde ? Et l’enquête de voisinage ? Et les conclusions du légiste ? Tu n’as même pas jeté un coup d’œil au corps, bon sang !… Et c’est qui, d’après toi ?

— Si je te le dis, tu ne vas pas me croire.

— Hein, quoi ? J’en ai ma claque de tes devinettes, Servaz ! Accouche !

— Léonard Fontaine.

Il y eut un bref silence incrédule avant que la voix de Beaulieu ne revienne en ligne :

— Le spationaute ?

— Mmm.

— C’est une blague, pas vrai ? Dis-moi que c’est une blague…

— Pas du tout.

— Servaz, je ne sais pas ce qui se passe, mais si tu te fous de ma gueule…

— Je n’ai jamais été aussi sérieux. Fontaine est impliqué dans un truc dont tu n’as pas idée… Il est malin, il est tordu et il est derrière tout ça. Aussi sûr que deux et deux font quatre. Tu te souviens de cette artiste qui a mis fin à ses jours l’an dernier au Grand Hôtel Thomas Wilson ? C’était sa maîtresse… Tout comme Mila Bolsanski, l’ex-spationaute, qui m’a confié son journal dans lequel elle décrit tout ce que Fontaine lui a fait subir… Elle y accuse Fontaine de l’avoir frappée et violée à de multiples reprises alors qu’ils séjournaient tous les deux à la Cité des étoiles, mais l’affaire a été étouffée par les Russes et par l’Agence spatiale européenne — pour la plus grande gloire de la conquête spatiale, je suppose. Quant à Christine Steinmeyer, elle l’a rencontré, à sa demande, cet après-midi même, dans un bar, avant de tomber sur toi en rentrant chez elle…