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— Comment tu le sais ?

— J’y étais.

Cette fois, le silence dura plus longtemps.

— Jusqu’à présent, je n’avais aucun moyen de coincer cette ordure, poursuivit-il. Mais si on arrive à prouver que c’est Fontaine qui a fait le coup pour Jorge, là, ça change tout…

Beaulieu émit un sifflement.

— Bordel. Tu es sûr que tu ne me mènes pas en bateau ?

Servaz entendit derrière la voix du lieutenant la petite sonnette lointaine qui lui annonçait l’arrivée d’un nouveau texto sur son téléphone.

— Alors, ces histoires de coups de fil, de chien agressé et de harcèlement, c’était pas du pipeau ?

— Tout est vrai. Cette femme est victime d’un taré très intelligent et très malade qui lui pourrit la vie depuis un certain temps déjà…

— Ça fait flipper, commenta doucement le flic au bout du fil.

— Comme tu dis.

— Qu’est-ce qu’on fait ?

À la bonne heure, pas trop tôt, pensa-t-il. Beaulieu n’était pas une flèche, mais c’était un flic consciencieux et réglo — et surtout quelqu’un qui ne se préoccupait pas uniquement de sa carrière, des nouvelles circulaires et des nouvelles directives et qui, par conséquent, faisait un bon flic sur le terrain.

— Corinne Délia, dit-il. À partir de demain, tu ne la lâches plus d’une semelle. Elle et son mec, un certain Marcus. Surtout son mec. C’est peut-être lui qui a tué Jorge. Je vois mal Léonard Fontaine se salir directement les mains… Mais, s’ils sont en contact, et si on arrive à les coincer, ils nous aideront à le faire tomber.

— Et toi ?

— Moi, je vais voir ce que je peux tirer de cette femme.

— Qu’est-ce qu’on dit à la hiérarchie ?

— On dit rien. Je suis censé être en arrêt maladie, tu as oublié ? Et si le nom de Fontaine commence à sortir du chapeau, ils vont tous chercher à se couvrir. Et on sera baisés.

— J’ai été un peu dur avec cette femme, dit Beaulieu d’un ton plus ou moins contrit.

— Eh bien, tu lui présenteras tes excuses la prochaine fois.

Il raccrocha. Vit le petit « 1 » en rouge sur l’enveloppe symbolisant la messagerie de son mobile. Appuya dessus avec la pulpe de son doigt. Plop. Margot. Il ouvrit le message. Plop.

Je passe demain. 8 h. Bisous.

Il sourit. Elle ne lui demandait pas si cela lui convenait. S’il comptait faire la grasse matinée. S’il allait être présentable à cette heure-là. Ni même s’il serait là. Non. Elle ne lui demandait rien de tout ça. Il n’avait pas vraiment le choix. Mais quand est-ce que sa fille lui avait laissé le choix pour quoi que ce soit ? Il sourit et tapa « OK », parce que c’était plus bref que « d’accord », qu’il préférait, bien sûr, et il envoya.

Plop.

Il n’avait pas cessé de sourire.

Saletés de smartphones.

Elle était réveillée. Pendant un instant, elle eut l’air de ne pas le reconnaître et il vit passer un très fugace éclat de terreur dans ses yeux. Qui disparut aussitôt.

— J’ai dormi, constata-t-elle. Longtemps ?

— Moins d’une heure.

Elle fit une vague moue et, en cet instant, il devina l’espèce de beauté discrète qui pouvait être la sienne quand elle ne ressemblait pas à Mme Bovary sur son lit de mort.

— Il fait froid ici. Je vais monter le chauffage.

Elle repoussa la couverture, s’arrêta devant la bouteille de côte-rôtie.

— C’est une impression ou le niveau a baissé ?

— Deux verres, s’excusa-t-il. Pendant que vous dormiez.

Il montra les boîtes de médocs qui s’empilaient sur le canapé.

— Vous… prenez tout ça ?

Il vit son visage s’empourprer.

— C’est temporaire, répondit-elle. J’en avais besoin… pour tenir le coup.

— Mmm.

Il s’approcha de la fenêtre, appuya son front contre la vitre froide, regarda la nuit zébrée de lueurs. Il devina son propre visage en surimpression, tout proche. Un visage préoccupé. Quelque chose était là, dehors. Quelque chose de malveillant. De retors. Il ne devait pas le sous-estimer… Ses victimes n’étaient pas des proies faciles : c’étaient toutes des femmes fortes, intelligentes. Mais leur bourreau l’était plus encore : un adversaire redoutable — même pour lui. Cette chose qui manœuvrait dans l’ombre attendait le prochain mouvement, de nouveaux signaux. Comme un squale. Ils devraient faire en sorte d’en émettre le moins possible, à partir de maintenant.

— Je connais un endroit, dit-il. Un endroit merveilleux. Dans la montagne Noire. Au-dessus du lac de Saint-Ferréol. C’est magnifique à l’automne et au printemps. Et aussi l’hiver, sous une fine couche de neige… En vérité, c’est beau en toutes saisons. On pourrait l’enterrer là-haut, qu’en dites-vous ? Il y en a pour un peu plus d’une heure de route.

— Vous viendrez ? demanda-t-elle.

— Bien sûr.

Il déposa le cadavre d’Iggy dans le bac de congélation — qu’il avait préalablement vidé de ses cartons de Domino’s Pizzas, de ses sacs de riz cantonais, des plats cuisinés et des pots de crème glacée Philippe Faur à la ciboulette, à l’huile d’olive et à la truffe. Bien que le petit chien fût recroquevillé sur lui-même, il dut le placer en diagonale pour le faire entrer.

Une morgue improvisée

— Le tiroir du bas, dit-il. Vous ne l’ouvrez plus, d’accord ? Jusqu’à ce que je revienne…

— D’accord.

— Promettez-le-moi.

— C’est promis.

Il consulta sa montre.

— Il ne viendra pas cette nuit, dit-il. Il ne viendra sans doute plus avec la police dans les parages.

Elle le dévisagea.

— Vous en êtes sûr ? Une fois que tous vos collègues seront rentrés chez eux ? Que tout le monde dans l’immeuble se sera rendormi ? Que la rue sera déserte ? Qu’est-ce qui me le garantit ? (Il la vit hésiter.) Est-ce que vous ne pourriez pas rester ? Juste cette nuit… Le temps que je m’organise…

Il songea qu’il ne pouvait pas demander une équipe de surveillance : il n’était pas censé être en service.

— J’ai quelqu’un à voir demain matin, répondit-il en cherchant le numéro de Beaulieu dans son répertoire. À la première heure.

— Vous n’aurez qu’à utiliser mon réveil… S’il vous plaît…

Il hésita, s’interrompit.

— Bon, d’accord. Mais je prends le lit : je déteste dormir dans un canapé.

Elle sourit.

La femme alluma une cigarette. La flamme du briquet illumina fugitivement ses traits. Garée le long du trottoir, à une centaine de mètres, elle avait assisté à toute la scène dans l’ombre de sa voiture sans que personne lui prêtât attention. Dès qu’elle avait entendu les sirènes dans le quartier, elle avait arrêté de flâner et avait rejoint son véhicule qui l’attendait au troisième étage du parking des Carmes.

Puis elle était venue se garer dans la rue, suffisamment loin pour passer inaperçue, suffisamment près pour apercevoir l’entrée de l’immeuble. Quand les deux flics chargés de l’enquête de voisinage étaient arrivés à sa hauteur, au bout d’une paire d’heures, elle était simplement sortie de son véhicule et elle l’avait verrouillé devant eux en les regardant approcher d’un air détaché. Ils lui avaient demandé si cela faisait longtemps qu’elle était là ; elle leur avait répondu qu’elle venait d’arriver : « Pourquoi ? avait-elle demandé à son tour. Qu’est-ce qui se passe ? » Ils s’étaient aussitôt désintéressés de son cas.