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La femme mit tranquillement le contact, déboîta et quitta la rangée de véhicules pour aller se garer un peu plus près, maintenant que la police scientifique et les badauds étaient partis et que la rue avait retrouvé son calme. Trois heures du matin. Le flic n’était pas ressorti… Elle resta immobile à tirer une taffe après l’autre, expulsant la fumée vers le plafond, dans l’obscurité, en songeant que Christine s’était avérée plus coriace que prévu. Elle n’aurait jamais cru que cette garce résisterait à un tel cataclysme. Encore moins qu’elle riposterait. Cordélia l’avait appelée aujourd’hui : la gamine lui avait paru passablement énervée — et stressée. Elle allait devoir prendre des mesures de ce côté-là aussi. Les choses partaient quelque peu en vrille. Mais tout n’était qu’une question de corrections et d’ajustements. Le plus ennuyeux était la rencontre entre Christine et ce flic. Elle avait à présent un allié de poids ; elle n’était plus isolée, livrée à elle-même ; il ne fallait plus compter sur son suicide. Et merde. Mettre ce flic sur la piste de Célia Jablonka et de Léonard avait peut-être été une erreur. Mais elle savait très bien pourquoi elle l’avait fait. Sauf qu’à présent cela ne lui semblait plus une si bonne idée… Même si ce flic devait forcément soupçonner Léonard. Cette fois, Léo ne s’en tirerait pas à si bon compte, elle avait laissé suffisamment de petits cailloux menant jusqu’à lui.

Christine ne se suiciderait pas. La femme sentit une bouffée de haine remonter le long de son œsophage vers sa gorge.

Du calme

Il était temps d’en finir avec elle. D’une manière plus… radicale. Son instinct le lui soufflait : le jeu avait assez duré. Tant pis pour le suicide, pour son plan bien huilé — une disparition ferait l’affaire.

Elle inspira une ultime bouffée, envoyant le poison délicieux dans ses poumons ; la haine, la jalousie et la colère étaient trois autres poisons tout aussi délicieux.

38.

Sorties de scène

Il était 7 heures lorsque le réveil sonna mais Servaz était déjà sous la douche : il ne voulait pas être en retard à son rendez-vous avec sa fille. Car si Margot se pointait à la maison de repos et qu’il n’était pas là, elle voudrait sûrement savoir où il avait passé la nuit.

La solution : être en avance.

Et faire comme s’il avait dormi dans son nouveau chez-lui. Il se regarda dans la glace en sortant de la douche. Il aurait voulu se raser, mais n’avait rien sous la main. Il n’avait même pas de quoi se changer. Il le ferait rapidement en arrivant au centre : ses vêtements avaient pris l’eau et, même secs, ils ressemblaient à du carton mouillé qui a séché. Il peigna ses cheveux humides avec les doigts et ressortit. En regagnant le séjour, il jeta un œil à une photo encadrée posée sur l’un des rares meubles. On y voyait Christine en compagnie d’un homme dans la trentaine portant des lunettes. Ils plissaient tous les deux les yeux à cause du soleil déclinant qui brillait dans les verres de l’homme. Ils souriaient.

Elle était perchée sur un tabouret et portait un bol de café à ses lèvres, les deux coudes sur le bar, quand il demanda :

— Qui est-ce ?

Elle jeta un regard par-dessus son épaule.

— Gérald. Mon… compagnon.

— Tout va bien avec lui ?

De nouveau, le regard par-dessus l’épaule. Hésitant. Puis elle hocha la tête.

— Eh bien, c’est comme dans tous les couples, j’imagine… il y a des hauts et il y a des bas. Mais Gérald est un type bien.

— Qu’est-ce qu’il fait dans la vie ?

— Il est dans la recherche… la recherche spatiale.

Un tiroir qui s’ouvre, un autre qui se referme. Gérald… Un nom sur une étiquette mentale. Et une petite lumière qui clignote : spatiale… Il se sentit agité.

— Je dois y aller, dit-il. Vous n’ouvrez à personne d’autre qu’à moi ou au lieutenant Beaulieu. Vous avez mon numéro. Vous pouvez m’appeler n’importe quand. Voici celui de Beaulieu… Au cas où je ne serais pas joignable. Et si quelqu’un se présente à votre porte avec une carte de police, dites-lui d’aller se faire voir : il y a un tas de fausses cartes en circulation.

Elle acquiesça, soucieuse.

— Et si on lui tendait un piège ? dit-elle.

Il haussa un sourcil.

— Si je m’éloignais de l’appart et que quelqu’un l’attende à l’intérieur ?

Il secoua la tête.

— Il ne tombera pas dans le panneau. Il saura qu’on est là. Il est bien trop malin.

Cette dernière phrase eut l’air de la rendre nerveuse. Elle fit signe qu’elle avait compris d’un coup de menton, sans le regarder, mâchoires serrées. Puis elle porta de nouveau le bol à ses lèvres, les yeux baissés, en lui tournant le dos.

— Je repasse dès que j’en ai fini. On mettra au point une stratégie.

Un dernier mot un peu trop ronflant, songea-t-il. Et pas forcément rassurant : il signifiait qu’il n’en avait pas encore trouvé une.

Il y avait du brouillard, ce jeudi matin. Un brouillard humide et dense. Il noyait les champs et les bois et les cris des corbeaux le traversaient comme des flèches.

Il grimpa en vitesse jusqu’à sa chambre et redescendit au moment où une DS3 rouge à toit blanc se présentait sur le parking du centre. Il émergea du hall et regarda Margot lui adresser un sourire lumineux en verrouillant sa voiture.

Sentit un poing lui serrer le cœur en la voyant. Mais il aimait cette pression-là. Oh oui.

Ses longues et fines jambes arpentèrent le parking, sa svelte silhouette serrée dans un jean et un pull à grosse maille. Dire qu’elle avait changé ces dernières années relevait de l’euphémisme le plus extrême. Trois ans plus tôt — alors que Margot s’était retrouvée à l’épicentre d’une histoire qui s’était soldée par le suicide d’un jeune de sa classe et par l’emprisonnement d’un autre —, elle était piercée, tatouée et ses cheveux teints de couleurs pour le moins inhabituelles pointaient en épis rebelles. Elle avait été admise dans la prépa la plus prestigieuse de la région (il se souvenait encore du magnifique jour d’été où il l’avait emmenée à Marsac pour la première fois) : un endroit pétri de traditions ancestrales et de rigueur presque monastique — mais elle n’en tapissait pas moins sa chambre de posters de films d’horreur, en ce temps-là, et elle écoutait des musiques comme Marilyn Manson.

Aujourd’hui, il ne savait plus trop ce qu’elle écoutait — mais ce qu’il savait, en revanche, c’est qu’en à peine plus de temps qu’il n’en faut à un têtard pour devenir une grenouille, sa fille s’était métamorphosée en femme.

— Papa, dit-elle simplement en l’embrassant (même sa voix avait changé : la première fois qu’il s’en était aperçu, c’était quand il l’avait prise pour sa mère au téléphone).

Le visage était pourtant le même. Elle garderait toujours ce petit air d’animal sauvage qui devait faire son charme auprès des jeunes gens que son aplomb et son côté rebelle impressionnaient. Elle tenait un sac à la main. En sortit un petit paquet-cadeau avec un nœud et un ruban dorés. Il sourit comme un enfant.

— Qu’est-ce que c’est ?