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— Tiens. Bois ça, dit-elle.

— Encore ? Vous ne trouvez pas ça un peu… répétitif ?

— Bois, insista Mila.

— Écoutez, je…, commença Christine en prenant le verre dans sa main tremblante.

— BOIS, dit Marcus en agitant le canon de son arme dans sa direction. Dépêche-toi. Tu as trois secondes… un… deux…

Elle hésita, regarda le verre, le porta à ses lèvres. Le goût était celui des ampoules vitaminées de son enfance, celles que sa mère achetait chez le pharmacien. Elle but.

— Alors, Célia, c’était vous ?

Le regard de Mila la caressa d’une lueur glaciale.

— Elle prétendait avoir des droits sur Léo, elle s’accrochait. Et Léo semblait prêt à quitter sa femme pour elle. C’était de la légitime défense : Léo est à moi, il est le père de mon enfant.

— Mais il est marié…

Le regard se fit encore plus noir.

— Tu appelles ça un mariage ? Moi, j’appelle ça une blague. Ils sont en train de divorcer, tu le savais ? (Elle haussa les épaules.) Tôt ou tard, il me reviendra. Quand il aura enfin compris, quand il n’aura plus que moi. Mais cette imbécile de Célia se dressait sur notre route — comme toi… Alors, j’ai transformé sa vie en enfer. Et quand elle a commencé à passer pour folle auprès de tout le monde, qu’elle a perdu du poids, qu’elle est devenue de moins en moins jolie, de moins en moins amusante, de plus en plus terne et sinistre… eh bien, notre cher Léo a ouvert les yeux… Il n’est pas très doué pour jouer les mères Teresa, il faut bien l’avouer… (Un moment de silence.) Alors, il l’a quittée. Elle ne l’a pas supporté. Tu connais la suite…

Christine acquiesça.

— Hum. Et, à présent, c’est mon tour, dit-elle. Dommage que tu aies fait tout ça pour rien. J’ai plaqué Léo le mois dernier. Il aurait pu te le dire si tu le lui avais demandé.

— Tu mens.

— Pourquoi je mentirais ? De toute façon, il est un peu trop tard pour faire marche arrière, non ?

De nouveau, Mila la regarda, surprise. Elle s’attendait sans doute à ce que Christine la supplie. L’implore de lui laisser la vie sauve. Se mette à chialer.

— Et Marcus, comment tu l’as trouvé ?

Leurs regards se déplacèrent en même temps vers le petit jeune homme au crâne lisse, à la peau pâle et au visage féminin.

— J’ai fait la connaissance de Marcus grâce à certains amis à Moscou. Des amis très précieux… Des amitiés nées pendant que nous étions à la Cité des étoiles. Marcus est en quelque sorte une de leurs… succursales en France… Il est arrivé en France il y a trois ans — mais Marcus a appris le français en Russie. Lui et ses amis sont très doués pour fouiller les poubelles, trouver des informations, se glisser nuitamment chez les gens, savoir tout ce qu’il y a à savoir sur eux, arracher des aveux, bidouiller des serrures ou des ordinateurs…

Elle caressa du bout de l’ongle le tatouage dans le cou du petit homme.

— Marcus n’est pas très curieux. Il ne pose pas de questions. C’est sa grande qualité. Sauf celles qui concernent sa rémunération. Tu sais qu’il existe des pays où on peut faire assassiner quelqu’un pour une poignée de dollars ou un simple shoot ?

Christine nota que la lumière avait baissé dehors. Et que le brouillard se dissipait. Elle apercevait des feuillages sombres derrière la baie vitrée — et une lueur rougeoyante.

— Marcus et Cordélia : quel couple étrange, non ? D’après ce qu’il m’en a dit, Marcus a connu Cordélia alors qu’elle essayait de lui faire les poches dans le métro. Elle pensait sans doute que ce petit bonhomme était inoffensif. Ce n’était pas prévu mais — puisque Cordélia semblait particulièrement douée pour la duplicité et l’arnaque —, quand j’ai appris que ta radio cherchait une stagiaire, je lui ai suggéré de postuler pour le poste — avec un CV bidon, bien entendu. Ton Guillaumot n’y a vu que du feu. Il faut dire que notre Cordélia est très douée pour trouver le point sensible chez les gens. Tu savais que ton patron aimait les strip-teases sur son lieu de travail après les heures de bureau ? Les hommes sont tous les mêmes…

— Je… je ne me sens pas très bien…

C’était vrai. Christine avait l’impression que toute la pièce se mettait lentement à tourner, semblable à un manège qui se met en route. Et c’était quoi, ces bouffées de chaleur ?

— Je… Qu’est-ce qu’il y avait dans cette ampoule ?… (Ses yeux papillotèrent.) Vous n’allez pas vous en tirer comme ça… Léo a des soupçons… Et ce flic, il va remonter jusqu’à vous…

Un sourire mince comme une lame de rasoir sur les lèvres de Mila.

— J’ai écrit un journal, commença-t-elle doucement. Un journal bidon. Sur ce qui est censé s’être passé à la Cité des étoiles. Sur ce que ce pauvre Léo m’a prétendument fait…

Elle sourit.

— Je l’ai donné à ce flic. Il est en train de le lire en ce moment même. Et quand il l’aura lu, il n’aura plus le moindre doute sur la culpabilité de Léo.

— Pourquoi… ?

— Parce que, quand il finira seul, lâché par tous, j’irai le voir en prison, j’irai le reconquérir, jour après jour. (Mila sourit de nouveau.) Et il comprendra qu’il n’a que moi ; il comprendra la force de mon amour. De mon dévouement. Tout ce que j’ai fait pour lui… Il ouvrira les yeux et il m’aimera comme avant — comme au début

Christine se mordit la lèvre inférieure. Seigneur, cette femme était dingue. Bonne à enfermer… Elle jeta un coup d’œil à Marcus, mais il la tenait en joue avec la plus parfaite indifférence. Il avait été payé. Cela lui suffisait.

— Allons-y, dit Mila en regardant sa montre puis Marcus.

Elle ouvrit une porte basse en bois dans l’épais mur de pierre derrière elle. Dehors, le brouillard avait presque disparu ; seules quelques écharpes de brume s’enroulaient à la base des troncs. De ce côté-ci, une pergola en béton partait de la maison jusqu’à l’orée des bois, soutenant une vigne vierge rendue sèche et grise par l’hiver. Christine aperçut des camélias d’un pourpre profond, du lierre, de pâles roses de Noël. Un bassin à la margelle de pierre verdie par la mousse. Ses semelles foulèrent des dalles disjointes, qui se soulevaient et entre lesquelles poussaient de l’herbe et des orties.

— Avance, dit Marcus en la poussant dans le dos avec le canon de son arme.

Elle se raidit. Fit trois pas. S’arrêta.

— Qu’est-ce que vous allez faire ?

— Avance, j’ai dit !

Ils gagnèrent la forêt. Un passage à peine visible. Le soleil se couchait derrière des lignes d’arbres et des branches qui le griffaient comme un grillage, en haut de la colline. Dardant ses pâles rayons, rouges et froids, pareils à du sang gelé, entre les minces troncs noirs. Un petit ruisseau brillait telle une sculpture de cuivre. Il coulait au milieu d’un tapis épais et spongieux de feuilles mortes. Un parfum de terre et d’humus — de décomposition — s’en élevait.

Elle sentit son cœur s’emballer, ses battements devenir incontrôlables. Le ciel saignait.

— Avance.

Ils longèrent le ruisseau, remontant péniblement la pente. Marcus passa devant elle. Il savait qu’elle n’irait pas loin si elle tentait de s’échapper.

— Merde, ça tourne, dit-elle en ralentissant.

Elle dérapa dans les feuilles, se reçut sur les mains et les genoux. De la boue noire et des feuilles se collèrent à ses paumes. Elle se releva, s’arrêta un instant pour recouvrer son équilibre et essuyer ses mains. Marcus s’était arrêté, il attendait. Son visage féminin rigoureusement inexpressif. Mila parvint à sa hauteur.