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Il jeta un regard vers l’endroit où ses enfants avaient disparu. On entendait des cris et des appels joyeux à l’étage.

— On a eu une nouvelle conversation au sujet de l’enfant, là-haut, Mila et moi. Elle m’a dit qu’il était trop tard pour avorter, je lui ai répondu comme je l’avais déjà fait que jamais je ne le reconnaîtrais. Elle m’a supplié. Elle était complètement dingue. C’est cette nuit-là qu’elle a simulé un viol et qu’elle s’est pointée de l’autre côté les vêtements déchirés et le visage couvert d’hématomes. Les examens médicaux ont révélé qu’elle… qu’elle avait même… des lésions internes au niveau du rectum, putain ! J’ignore comment elle s’est fait ça… Mais, même quand j’ai commencé à soupçonner qu’elle avait un grain, j’étais loin d’imaginer qu’elle était assez détraquée pour s’infliger ça… Elle a dû le faire pendant qu’on dormait, Pavel et moi. Après ça, les autres ont fait un tel scandale qu’ils ont envoyé une mission de secours pour nous récupérer tous les trois.

Il se leva d’un bond et alla se servir un verre d’eau dans la cuisine. Puis il revint s’asseoir et il posa sur Servaz un regard dur, où affleurait plus que de la colère : de la haine. Le verre tremblait dans sa main.

— On a été mis à l’isolement pendant des semaines, la commission d’enquête nous a finalement blanchis, Pavel et moi, mais on savait qu’après cette affaire, victimes ou pas, notre carrière spatiale était terminée, foutue… Surtout la mienne. Après tout, Mila était ma copine — tout le monde le savait — et on m’a tenu pour responsable de ce qui s’était passé… Depuis, je représente l’Agence spatiale dans les cocktails, je sers de vitrine, je fais l’acteur en somme. Et j’ai monté ma petite entreprise. Mais l’espace me manque. Oh, putain, oui… J’ai même fait une sorte de dépression au début. C’est assez fréquent chez les anciens astronautes : le blues de l’espace. Certains sombrent dans le mysticisme, d’autres se coupent du monde, d’autres encore noient leur spleen dans l’alcool. Difficile d’admettre qu’on ne remontera plus là-haut, commandant… Alors, quand, en plus, ça se finit comme ça…

Servaz hocha la tête, pensif.

— Quand vous êtes arrivé, dit Fontaine, vous m’avez dit que vous saviez qui avait tué Christine. C’est à Mila que vous pensiez ?

— Oui, répondit-il.

— Comment vous l’avez découvert ?

Servaz repensa à cette phrase dans le journal de Mila, où elle racontait qu’elle écoutait de l’opéra, là-haut, dans la station spatiale. Elle lui avait sans doute échappé — on ne peut pas tout prévoir.

— À cause de l’opéra, dit-il.

Fontaine lui jeta un regard chargé d’incompréhension.

— Cette nuit, j’ai rêvé d’opéra. Et, en me réveillant, je me suis souvenu d’avoir lu dans son journal que Mila en écoutait…

— Et… c’est tout ?… Qu’est-ce que vous comptez faire ?

— La coincer. Ça prendra le temps qu’il faudra. Il faudrait pouvoir faire une perquise dans et autour de la maison, mais, pour l’instant, je n’ai pas assez d’éléments pour convaincre un juge…

Fontaine lui jeta un regard sceptique.

— Je sais ce que vous pensez, dit Servaz. Mais, croyez-moi, je n’ai pas plus pour habitude de lâcher prise que votre clebs quand il mord quelqu’un. Et votre copine l’ignore encore — mais j’ai déjà les crocs plantés dans son mollet. Seulement, il va falloir m’aider un peu, monsieur Fontaine. Il va falloir me donner un petit quelque chose — n’importe quoi — qui me permette d’aller devant le juge…

Le regard de Fontaine se riva à celui de Servaz, un regard perçant et méfiant à la fois, un regard qui cherchait à lire à l’intérieur de son crâne.

— Qu’est-ce qui vous fait penser que j’ai ce que vous cherchez ?

Servaz se leva. Il haussa les épaules.

— Vous êtes un homme plein de ressources, monsieur Fontaine. Et s’il y a un rôle qui ne convient pas à un homme tel que vous, c’est bien celui de victime. Réfléchissez-y.

Le mois de février fut pluvieux, venteux et triste. De longues pluies interminables, obliques, du matin au soir. Les cieux étaient en permanence gris, bouchés, les routes noyées sous un rideau liquide, et Mila sentait la tristesse et le désespoir la pénétrer au plus profond de sa chair.

La semaine précédente, elle avait fait rajouter quatre caméras extérieures sous le toit, filmant les quatre côtés de la maison. Avec des détecteurs de mouvement pour les déclencher à la moindre activité suspecte. Mais les seules images qu’elles avaient enregistrées étaient celles de sa voiture partant et revenant. Elle n’en avait pas moins continué à être malade. Nuit après nuit. Et à changer des ampoules qui grillaient inexplicablement.

Ce matin, elle s’était pesée : elle avait perdu huit kilos en cinq semaines. Elle n’avait plus beaucoup d’appétit. Et le manque de sommeil s’accumulait. Même les jeux avec Thomas ne la mettaient plus en joie comme auparavant. La tristesse lui collait à la peau comme une gluante toile d’araignée perlée de pluie. Quand elle s’examinait dans la glace, elle voyait un fantôme : des cernes bistre sous les yeux, un regard fiévreux, un visage creusé et osseux, une peau translucide — on aurait dit Mimi au dernier acte de La Bohème ! Des plaques d’eczéma étaient apparues à la jointure de ses bras et de ses avant-bras et autour de ses poignets. Elle se rongeait les ongles jusqu’au sang. Au travail, elle avait foiré plusieurs dossiers et oublié de répondre à des mails importants. Elle s’était pris un savon de la part du patron. Elle avait surpris les ricanements vengeurs de certains collègues.