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Ce soir-là, en rentrant, après avoir récupéré Thomas chez la nounou, elle se contenta d’un thé chaud et bien sucré et le regarda manger de bon appétit.

— Qu’est-ce que tu as, maman ? demanda-t-il.

— Comment ça ?

— Tu as l’air triste.

Elle ébouriffa ses cheveux, se força à sourire, en retenant ses larmes.

— Mais non, pas du tout, mon chéri.

Elle lui fit la lecture, attendit qu’il dorme, éteignit la veilleuse et alla se coucher — épuisée —, non sans avoir vérifié au préalable le système d’alarme, même si elle était de plus en plus convaincue qu’il ne servait à rien. Elle avait pris un demi-somnifère. Elle s’endormit rapidement.

Elle sentit quelque chose heurter son front. Quelque chose de froid. C’est ce contact qui la réveilla. Elle ouvrit les yeux dans le noir et se demanda si elle avait rêvé. Mais la sensation de mouillé persistait. Puis, de nouveau, un léger choc juste au-dessus des sourcils. Ploc. Elle comprit : une goutte d’eau…

Elle tendit le bras et tâtonna pour trouver le fil de la lampe, le suivit des doigts jusqu’à l’interrupteur, alluma. Porta une main à son front. Il était mouillé. Un filet d’eau coulait même à la racine de son nez, hésitait puis choisissait un côté et roulait au creux de sa joue droite. Mila leva les yeux et vit la tache d’humidité au plafond. Elle s’essuya le visage avec le drap. La flaque sombre avait déjà cinquante bons centimètres de diamètre et, en son centre, se formait une nouvelle goutte en suspension — ayant la forme d’une grosse larme sur le point de se détacher.

La baignoire du haut

Il y avait une salle de bains inutilisée à l’étage au-dessus. Avec une vieille baignoire sabot. Mila avait préféré en faire installer une neuve et fonctionnelle au rez-de-chaussée quand elle avait acquis la maison. La tuyauterie là-haut était ancienne. Tout comme le carrelage aux murs, le chauffage et la baignoire elle-même…

Le pistolet de défense

Elle ouvrit le tiroir de la table de nuit. S’en saisit. S’assit au bord du lit. Respira un bon coup. Son cerveau mal réveillé (putain de somnifère) hésitait encore entre l’inquiétude et la fureur.

Elle attrapa le peignoir sur une chaise et l’enfila par-dessus sa chemise de nuit, remonta le couloir en passant devant la chambre de Thomas, gagna l’escalier.

Cette fichue pluie larmoyait sur les vitres sans discontinuer. L’interrupteur. Elle l’actionna. Rien. Merde ! Son cerveau laissa la fureur l’emporter. Il y avait cependant assez de clarté traversant la lucarne pour qu’elle pût grimper les marches deux par deux, le pistolet de défense pointé vers le haut de l’escalier. Parvenue sur le palier, elle remonta le couloir en direction de la salle de bains, tout au fond. Elle avait commencé des travaux d’isolation et de grands lambeaux de laine de verre pendaient sur les murs comme une gigantesque fourrure animale. Elle poussa la porte entrebâillée dans la pénombre, qui s’ouvrit avec un grincement sec…

Tourna l’interrupteur. Lumière… Elle fit un pas en avant.

Sentit l’eau froide clapoter autour de ses orteils. Baissa les yeux. Le sol de la salle de bains était inondé par deux bons centimètres d’eau. Elle jeta un regard en direction de la baignoire sabot — qui était emprisonnée dans une nasse de toiles d’araignées allant jusqu’aux angles de la pièce et, dans ces guenilles poussiéreuses, il y avait toutes sortes de cadavres d’insectes pris au piège. La vieille baignoire était pleine, elle débordait de tous les côtés… Elle s’avança, pataugeant sur le sol plein d’eau, écarta l’une des toiles gluantes, se pencha pour fermer le vieux robinet de cuivre qui tourna longuement dans sa main en couinant : quelqu’un l’avait ouvert. À fond

Elle se retourna. Son cœur loupa un battement. Elle eut l’impression que sa raison vacillait. La même personne avait écrit sur le mur, en énormes lettres rouges :

La peinture rouge (si c’était bien de la peinture) dégoulinait sur les carreaux blancs recouverts d’une épaisse couche de poussière. Sur le reste des quatre murs était inscrit au marqueur gras :

Ces mots répétés des dizaines de fois

Elle eut l’impression d’avoir reçu une gifle. Ses tempes bourdonnaient. Elle avait chaud dans tout le corps, tout à coup. Bordel ! Elle dévala l’escalier et courut vers sa chambre. Ouvrit le placard, attrapa un sac de voyage et jeta dedans, en vrac, vêtements et sous-vêtements. Fonça dans la salle de bains. Remplit la trousse de toilette avec tout ce qui lui tombait sous la main. Elle se précipita pour réveiller Thomas : « Réveille-toi, mon chéri. On s’en va. » Les yeux du garçon papillotèrent : « Quoi ? » Il était 3 heures du matin au gros réveil jaune et rose qui souriait stupidement sur la table de nuit, sous un grand poster de L’Âge de glace 4.

Son garçon se mit sur son séant, frotta ses paupières.

— On doit partir. Tout de suite.

Thomas se retourna pour se rendormir ; elle le secoua par l’épaule et il se redressa d’un bloc.

— Quoi encore ?!

— Je suis désolée, mon amour, mais il faut qu’on s’en aille tout de suite… Habille-toi… Vite…

Elle vit dans ses yeux qu’il commençait à avoir peur. La voix de sa mère l’avait ébranlé. Elle regretta d’avoir perdu son sang-froid. Thomas jetait des coups d’œil inquiets en direction de la porte, à présent.

— Il y a quelqu’un dans la maison, maman : c’est ça ?

Mila fixa son fils en fronçant les sourcils.

— Mais non ! Pourquoi tu dis ça ?

— Parce que des fois j’entends des bruits bizarres, la nuit.

Il arriva par vagues, le sentiment d’horreur. La peur fondit sur elle, son esprit s’emballant tel un train fou sur le point de dérailler. Alors, c’était vrai : saleté de système d’alarme !… Elle était seule avec son fils dans cette grande maison à la merci d’un malade, d’un fou furieux. Il n’y avait qu’à voir ce qu’il avait écrit dans la salle de bains… Elle repoussa la couette.

— Allez ! Vite ! Lève-toi !

— Maman, qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qu’il y a, maman ?

Le gamin était terrorisé. Elle se força à se calmer, à sourire.

— Rien. C’est juste qu’ils ont annoncé un risque d’inondation à cause des pluies. On ne peut pas rester ici, tu comprends ?

— Cette nuit, maman ? Cette nuit ?

— Chuttt… Il n’y a rien à craindre : on sera partis bien avant, mon ange. Mais il ne faut pas perdre de temps…

— Maman, j’ai peur

Elle prit son enfant dans ses bras, le serra contre elle.

— Je suis là… Tu vois bien, il n’y a rien à craindre… On va juste partir à l’hôtel en attendant que ça se tasse, d’accord ? Et puis on reviendra.

Elle l’habilla en vitesse, lui enfila chaussettes et chaussures et descendit avec lui dans le séjour où elle alluma la télé. Sauf qu’à cette heure-ci les chaînes pour enfants n’émettaient plus. Elle glissa un DVD. Son préféré : effet garanti.

— Je vais chercher la voiture.

Mais il était déjà absorbé par l’écran — ou sur le point de se rendormir —, couché en chien de fusil sur le canapé. Dans le couloir, elle attrapa son imperméable, puis elle déverrouilla la porte d’entrée. Alluma la lampe sur le seuil. Tiens, celle-là fonctionnait, au moins… Il pleuvait à seaux renversés ; la campagne noire tout autour ; le garage en tôle à une dizaine de mètres. Elle ne le fermait jamais. Courir jusqu’à lui dans les ténèbres n’avait rien de bien excitant. Mais elle n’avait pas le choix.