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Elle savait bien jusqu’oùElle avait fait pareil

Elle se rendit compte qu’elle avait presque fermé les yeux en marchant. Secoua la tête pour se réveiller. Visage baissé, elle regardait la pointe de ses baskets arpentant le bitume, pas après pas. Mécaniquement. Sauf qu’il y avait quelque chose de changé à présent… Le revêtement de la route : il était éclairé. Chaque gravier, chaque bosse, chaque trou, chaque fissure accompagnés d’une ombre dure et noire et l’asphalte brillant d’une lueur jaune comme une feuille de métal sous une lampe…

— MAMAN !

Thomas avait presque hurlé. Elle leva la tête. Ses yeux clignotèrent. Éblouis par la paire de phares, là-bas, au bout de la ligne droite. Une voiture… face à eux… à moins de trois cents mètres… Immobile. Ses phares illuminaient le tunnel des arbres comme si on avait branché un projecteur à l’intérieur d’une cathédrale. Elle eut l’impression que son cerveau entrait en fusion. Puis les phares s’éteignirent. Nuit complète… À part la clarté de la lune. Elle n’entendait rien, hormis le bruit du vent. Ses pulsations excavaient un tunnel dans sa poitrine. Elle essaya de réfléchir. Que pouvait-elle faire ? La panique s’empara d’elle. Puis les phares se rallumèrent, les aveuglant, et elle perçut le bruit d’un moteur qui démarre.

— Maman, maman !

Thomas se mit à brailler sur ses épaules. Elle sentit son cerveau qui cédait, comme une digue en train de rompre sous la pression. Elle s’accroupit, déposa son fils sur le sol. Se retourna vers la maison. Le prit par la main.

— Cours ! hurla-t-elle. COURS !

Elle entendit la voiture passer en première puis en seconde derrière eux.

42.

Finale

(« Telle est la fin de qui mal agit »)

Servaz rencontra fontaine dans un bar, place des Carmes, le lendemain, 24 février. C’était le spationaute qui lui avait fixé ce rendez-vous. En le voyant arriver, Fontaine écarta sa bière et plongea la main dans son blouson.

— Salut, dit-il.

Il poussa les clichés sur la table humide devant Servaz.

— C’est ce que je vous ai demandé ? voulut savoir ce dernier.

— Le « petit quelque chose », confirma le spationaute en souriant.

Servaz se pencha. Il la reconnut tout de suite : Mila. Entrant dans l’immeuble où habitait Cordélia à la Reynerie… En ressortant. Visiblement contrariée. Des photos prises au téléobjectif.

— Comment est-ce que vous vous êtes procuré ça ?

Le spationaute souriait toujours.

— C’est vous qui les avez prises ?

Nouveau sourire.

— À propos, vous savez où ils sont passés ? s’enquit Fontaine.

Servaz le scruta.

— Cordélia et Marcus ? Disparus sans laisser de traces. À mon avis, ils ont déjà quitté le territoire.

— Ils sont peut-être déjà en Russie, à l’heure qu’il est, suggéra Léo.

Il pensa aux vingt mille euros qu’il avait versés à Marcus — et au coup de fil qu’il avait passé à Moscou, à ses amis qui eux-mêmes connaissaient d’autres amis. Il n’aurait jamais cru qu’un jour il passerait un tel appel. Il avait versé l’argent sur un compte au Luxembourg, donné à son interlocuteur l’heure d’arrivée et le numéro du vol… On ne retrouverait jamais le cadavre de Marcus. Et Cordélia devait être dans un autre avion, à l’heure qu’il était…

— Je répète : est-ce vous qui les avez prises ?

— C’est important ? dit Léo. Non, n’est-ce pas ? Ce qui l’est, c’est que vous avez ce que vous vouliez : une preuve reliant Mila à ce Marcus et à Corinne Délia — lesquels sont en fuite et fortement soupçonnés par la police d’être mêlés à la disparition, et peut-être au meurtre de Christine Steinmeyer. Avec ça, vous devriez l’obtenir, votre commission rogatoire…

— Il faudra qu’on parle, Léo, un de ces jours, dit Servaz en se levant, les clichés à la main.

— Je croyais qu’on l’avait déjà fait, répondit le spationaute. Mais ce sera avec plaisir, commandant. De ce que vous voudrez. De l’espace, par exemple. Un sujet intéressant.

Servaz sourit à son tour. Décidément, ce type lui plaisait de plus en plus. Quel est l’imbécile qui a dit que la première impression est toujours la bonne ?

Elle ouvrit la porte, jeta un coup d’œil dehors. Personne à l’horizon. Un jour morne se levait sur la plaine grise, entre les peupliers. Elle rentra à l’intérieur, en peignoir, les traits tirés, les cheveux en bataille. Mila se souvenait du temps — pas si lointain — où elle menait le jeu. Elle avait l’impression qu’un siècle s’était écoulé depuis. Que toutes les cartes avaient été rebattues. Comment avait-elle pu perdre la main en si peu de temps ? À quel moment le balancier avait-il commencé à pencher en sa défaveur ?

Cette nuit, une fois rentrés dans la maison, ils s’étaient barricadés et elle avait étalé sur la table de la cuisine tout ce qui pouvait servir d’armes : les couteaux du râtelier, un marteau, un tison de la cheminée, le pistolet de défense, une grande fourchette à deux dents pour la viande… Thomas avait été terrifié en les voyant. Il avait ouvert de grands yeux effrayés en regardant sa mère. Elle avait dû lui administrer un calmant léger, le bercer, le rassurer jusqu’à ce qu’il finisse par s’endormir sur le canapé du salon. De son côté, elle s’était donné du courage avec deux gin tonic et avait veillé jusqu’à ce que l’aube blanchisse les fenêtres.

Le matin venu, elle se sentait trop fatiguée pour se concentrer, incapable d’échafauder la moindre stratégie. Les dernières heures et les derniers jours avaient mis ses nerfs à rude épreuve. Thomas dormait encore. Elle avala son deuxième café. Quand il se réveillerait, ils fileraient chez les Grouard demander de l’aide. Mais alors elle entendit approcher le scooter du livreur de journaux et elle se précipita dehors.

— Vous avez un téléphone ? s’enquit-elle. Le mien est en panne et ma voiture aussi (elle montra le garage ouvert). On est coincés ici !

— C’est vraiment pas de chance, on dirait, dit le jeune homme en lui tendant son mobile.

— Vous avez cinq minutes ? Le temps que j’appelle une dépanneuse…

Quand elle ressortit, le jeune homme lui demanda :

— C’est vous qui avez oublié de fermer le bouchon du réservoir ?

— Non.

— Alors, il est probable que quelqu’un a mis une saloperie dedans. Sans doute du sucre ou du sable. Faut vraiment être débile pour s’amuser à ce genre de trucs…

Le dépanneur confirma le diagnostic : moteur mort. Elle se sentit brutalement découragée en le regardant repartir. Thomas dormait toujours. En peignoir, échevelée et hagarde, elle se traîna à travers toute la maison et ses pantoufles frottant sur le sol accompagnèrent ses errements d’un écho pitoyable. Elle était épuisée, à bout de nerfs. Thomas n’irait pas à l’école aujourd’hui : elle le laisserait dormir. Elle voulut appeler son boulot pour dire qu’elle ne viendrait pas non plus quand elle se rappela qu’elle n’avait plus de téléphone. Merde ! Elle jura. Enragea contre elle-même. Elle aurait dû commander un taxi en même temps que le dépanneur ! Elle alluma le PC pour se connecter à Google, mais le verdict tomba aussitôt : connexion impossible. Évidemment… Cette foutue connexion passait par la ligne téléphonique. Elle fixa le plafond.