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— Ce qui veut dire ?

— Que tu peux raisonnablement tabler sur ma fidélité.

— Raisonnablement ?

— Disons, 98 % de chances, ça te va ?

— Et si c’est les 2 % restants qui l’emportent ?

— Je promets de ne jamais te mentir — et de ne jamais rien te cacher.

— C’est un bon début, mais je ne suis pas sûre que ça suffise. Tu as bien conscience que c’est un peu inhabituel comme demande en mariage ?

— Si tu voulais de l’habituel, il fallait rencontrer un expert-comptable… Tu n’es pas obligée de dire oui, ajouta-t-il. Pas tout de suite…

— C’est aussi mon avis.

— Alors, c’est non ?

— C’est oui. Mais seulement parce que je ne suis pas obligée.

Il se réveilla en musique, ce matin-là. Comme chaque matin. Mahler, bien sûr. Das Klagende lied. Le premier lied s’intitulait Waldmärchen : « Conte de la forêt », et Servaz sourit en pensant qu’il en connaissait un bon, de conte… Celui-là aussi parlait de forêt… La musique monta. C’était le cadeau de sa fille — sa fille qui désormais vivait de l’autre côté de l’océan, au milieu des caribous, des écureuils gris et des poules Chantecler.

Il entendit une sirène de police, le vrombissement d’une mobylette et, en regardant autour de lui, il eut un instant de pure désorientation avant de reconnaître sa chambre. Pas celle sous les toits. Sa chambre. Son appartement. Il se redressa dans son lit, s’étira et se souvint qu’il avait aussi un travail et un bureau qui l’attendaient. Il se doucha, s’habilla, prit un café noir et, quinze minutes plus tard, il était en route pour l’hôtel de police.

Il émergea de l’escalator du métro, traversa l’esplanade devant la haute façade de brique avec son entrée semi-circulaire et la fresque rectangulaire tout autour — dont il se demandait chaque fois ce qu’elle pouvait bien signifier. Le soleil brillait sur les feuillages poussiéreux le long du canal du Midi, et des joggers passaient en tenues fluo, écouteurs dans les oreilles. Des voitures filaient sur le boulevard. Des fonctionnaires de police attachaient leur vélo aux grilles, grimpaient les marches et s’engouffraient par la porte à tambour. Un peu plus loin le long du canal, les putes étaient rentrées dormir et les employés municipaux ramassaient les préservatifs qui traînaient dans les buissons — et aussi les seringues. Les dealers comptaient leurs bénéfices et les petits guetteurs se réveillaient dans les cités. C’était la partition de la ville, son opéra quotidien : le chœur des voitures et des bus, l’arioso des heures de pointe, la cadence de l’argent trop facilement gagné, le leitmotiv des crimes. Il se sentait étonnamment bien. Il connaissait cette musique-là par cœur. C’était sa ville, sa musique. Il en connaissait chaque note…

Le dossier l’attendait sur son bureau.

Il en fit une lecture rapide, puis descendit au parking emprunter une voiture de fonction. Il quitta Toulouse par le nord-ouest, roula moins d’une heure sur les petites routes. La maison d’architecte était toujours là, au creux du vallon, avec sa piscine, ses barrières blanches et son écurie.

Il se gara sur l’herbe, près de la Porsche 911, et descendit. Elle sortit sur le seuil, un bol à la main, en jean, sweat à capuche et tennis à talons plats. Servaz la regarda. Elle avait coupé ses cheveux très court, à la garçonne, elle n’était pas maquillée, ce qui — joint à ses hanches étroites et à son mètre soixante-dix — lui donnait un air androgyne, un air de garçon manqué — malgré l’évidence de sa grossesse, de son ventre de plus en plus rond. Elle rayonnait. Aussi sûre d’elle, de ses charmes et de ses pouvoirs qu’une femme peut l’être.

— Un café ? lui lança Christine.

Il sourit, s’avança et ils pénétrèrent dans la maison l’un derrière l’autre. Léo et Thomas jouaient dans la piscine. Il les aperçut à travers la baie vitrée. Les rires clairs du garçon parvenaient jusqu’à eux, en même temps que le bruit des éclaboussures que lui envoyait son père.

— J’ai ce que vous m’avez demandé, dit-il.

Elle lui tournait le dos, face au percolateur. Il vit ses épaules se raidir. Elle hésita une seconde avant de se retourner.

— Vous aviez raison…, ajouta-t-il en poussant la chemise sur le comptoir.

Brusquement, il se souvint de ce jour d’avril où elle était soudainement réapparue. C’était elle qui l’avait appelé. « Je suis de retour », avait-elle simplement dit. Ils s’étaient retrouvés dans un café du centre. Il lui avait demandé où elle était passée pendant tout ce temps. Elle lui avait répondu qu’elle avait fui, qu’elle avait éprouvé le besoin d’échapper à tout ça, d’être seule — et qu’elle avait beaucoup voyagé ; bien sûr, il n’avait pas été dupe. Mais ça n’avait plus d’importance. Suicide. Affaire classée…

— Je me demande, si on pouvait comparer la voix de la personne qui a appelé cette nuit-là à celle de Mila Bolsanski, si ce serait la même…, avait-il toutefois soulevé, en la fixant rêveusement.

Elle n’avait pas paru décontenancée le moins du monde.

— Vous pensez qu’il s’agit d’un homicide ?

Il avait secoué la tête.

— Le légiste est formel : c’est bien elle qui s’est ouvert les veines. Cela n’exclut pas que quelqu’un qui ne veut pas se faire connaître l’ait trouvée ainsi et ait appelé la police en se faisant passer pour elle… À cause de l’enfant, je veux dire… Sans cet appel, Dieu sait ce qui lui serait arrivé… Une femme — forcément…

Il l’avait dévisagée un instant. Mais elle avait appris à dissimuler ses émotions.

Il poussa la chemise de quelques centimètres supplémentaires.

— Il y a bien eu une autopsie avant l’incinération de votre sœur, dit-il. Vous aviez raison : elle était enceinte. Personne n’a vraiment cherché à savoir qui était le père : même si cela avait un rapport avec son suicide, ce n’était pas une enquête criminelle. Et puis, les analyses ADN, en ce temps-là, étaient très rares. Le fœtus a été incinéré avec la mère…

— On sait qui a demandé la crémation ?

— Oui.

Il sortit une feuille de la chemise.

— C’était dans le dossier.

Une autorisation de crémation. Elle lut :

« Compte tenu de la demande de la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles,

Vu la décision de M. le Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Toulouse,

Autorise en conséquence que soit procédé à la crémation de la défunte. »

Elle relut les deux noms qui y figuraient : son père, et ce médecin qu’elle avait agressé à l’âge de douze ans — le médecin de famille.

— Merci.

Il poussa un autre papier dans sa direction.

— Ce n’est pas fini. Il y a autre chose, dit-il. Ça concerne ce qui s’est passé chez Mila Bolsanski. Tenez… Lisez — et débarrassez-vous-en. Ce n’est pas une copie.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Lisez.

Elle se pencha et il la vit se raidir davantage. Elle leva ensuite vers lui des yeux sidérés.

— Pourquoi ?

— Parce que j’ignore ce que ça veut dire — et que cette enquête est close, de toute façon.

Elle le fixa.

— Merci, dit-elle pour la seconde fois.

Il haussa les épaules et se retourna pour s’en aller ; le papier qu’elle avait en main était un extrait du rapport de police : il déclarait qu’on avait trouvé deux ADN dans la fosse creusée derrière chez Mila Bolsanski — le premier appartenait à Marcus, mais le second était celui de Christine Steinmeyer…