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Il allait sortir quand il se retourna.

— Et votre chien, dit-il, qu’est-ce que vous en avez fait ?

Elle sourit.

— Léo et moi, nous l’avons enseveli là où vous avez dit. Vous aviez raison : c’est un très bel endroit.

Il roulait sur la rocade où on annonçait des bouchons, même si, à sa hauteur, c’était fluide, quand, tout à coup, il pila sur la bande d’arrêt d’urgence, le souffle coupé. Il n’entendit pas les klaxons rageurs derrière lui. Ne vit pas les visages courroucés. Il fixait la bande et le muret à travers le pare-brise, la bouche ouverte, le cœur en surrégime.

Deux ADN

Était-ce possible ? Il fixait le vide et elle le regardait, lui souriait. Il fixait le vide — et il la voyait, elle.

C’était comme si, tout à coup, il rembobinait le film. Était-ce possible ? Oh, bon Dieu, oui, ça l’était !

Il n’avait jamais prié de sa vie.

Mais il pria.

Il pria en écrasant la pédale d’accélérateur et en se propulsant à toute vitesse sur la rocade. Il pria au milieu du concert des avertisseurs et des insultes qui accompagnèrent sa brusque accélération puis ses zigzags entre les voitures vers un espoir totalement insensé.

Il se gara dans la cour de l’hôtel de police et courut comme un dératé vers le bâtiment — un peu à l’écart — du LPS, le laboratoire de police scientifique. Il franchit les portes comme si sa vie en dépendait, bouscula un fonctionnaire ahuri, se dirigea vers l’unité bio.

Elle était là, l’ingénieur Catherine Larchet, qui dirigeait l’unité. C’était à elle qu’il avait demandé en urgence, quelques mois plus tôt, l’analyse ADN du cœur de Marianne. Elle l’avait réalisée en un temps record : douze heures — parce qu’elle avait deviné à quel point c’était important pour lui. Elle l’avait vu se briser, renverser un bureau, hurler de douleur, quand elle lui avait annoncé la terrible vérité.

— Martin ? dit-elle en le voyant foncer sur elle comme un rugbyman lancé vers l’en-but.

— L’ADN…, commença-t-il, essoufflé.

Elle comprit immédiatement à quel ADN il faisait allusion — et elle se ferma : elle connaissait son histoire, son séjour au centre et sa dépression étaient arrivés jusqu’à ses oreilles.

— Martin…

Il secoua la tête.

— Ne t’inquiète pas, je vais bien… L’ADN, répéta-t-il. Tu l’as pris où ?

— Quoi ?

— De quel ADN tu t’es servie pour ton analyse ?

Elle se rembrunit.

— Tu mets en doute mes compétences ?

Il agita les mains, puis s’inclina bien bas comme s’il effectuait un salut nippon.

— Catherine, tu es la personne la plus compétente que je connaisse ! Je veux juste savoir : tu as fait une recherche en parentèle, c’est bien ça ? Ascendant/descendant ?

— Oui. Tu voulais que je le compare à l’ADN de son fils — à celui de Hugo. C’était bien le sang de Marianne, Martin : il n’y a pas le moindre doute. L’ADN mitochondrial est transmis, intact, de la mère à l’enfant, tous les êtres humains héritent leur mitochondrial exclusivement de leur mère.

Servaz revit la boîte isotherme — le cœur humain de Marianne baignant dans son sang déjà figé —, le cadeau diabolique du Suisse à son flic préféré…

— Le sang, tu dis ?

— Oui, le sang… Évidemment, le sang. Le sang est l’élément le plus chargé en ADN avec le sperme : la plus infime goutte contient 80 000 globules blancs, dont chacun possède un jeu complet d’ADN dans le noyau. En outre — je te le rappelle —, tu étais extrêmement pressé, tu voulais ces résultats le plus vite possible. On a donc prélevé du sang intracardiaque avec une seringue. C’était la meilleure façon de procéder pour aller vite, il n’y avait aucune raison d’agir autrement.

Il eut l’impression que le sien de cœur allait se décrocher.

— Et vous n’avez pas cherché plus loin ?

De nouveau, elle rougit. Elle lui lança un regard interrogateur.

— Pour quoi faire ? Le résultat était positif…

— Le cœur, vous l’avez toujours ?

— Bien entendu, c’est une pièce à conviction dans une affaire en cours. Il est conservé à l’IML. Martin, écoute, tu devrais…

L’Institut médico-légal se trouvait dans l’enceinte du CHU de Rangueil, au sud de Toulouse. Il la regarda.

— Tu pourrais faire une nouvelle analyse ? l’interrompit-il. Cette fois à partir des cellules du cœur lui-même ?

Elle le dévisagea.

— Tu es sérieux ? (Il vit qu’elle réfléchissait.) Tu ne crois quand même pas que… Oh, bon sang ! Si c’est vrai, ce serait une première. Si c’est vrai, ça va faire la une des revues médico-légales !

Elle se rua vers son bureau, décrocha son téléphone en le regardant.

— Je les appelle tout de suite.

Denise souriait dans la pénombre du balcon. Tout en bas, la soprano Natalie Dessay faisait ses adieux à la scène lyrique. Sur cette même scène où elle avait débuté vingt-cinq ans plus tôt : le Théâtre du Capitole, à Toulouse. Ce soir-là — le dernier —, elle était la Manon de Massenet.

Denise porta la main à son ventre. Cinquième mois… Le mois des voyages. Demain, ils s’envoleraient pour la Thaïlande. Une lune de miel en quelque sorte, bien qu’ils ne fussent pas mariés. Denise regarda Gérald assis à côté d’elle. Elle avait réussi à l’avoir, en fin de compte. Pour elle toute seule… Dès la première fois où elle l’avait vu, elle l’avait voulu. Et quand elle voulait quelque chose…

Elle l’observa, sérieux, absorbé, les verres de ses lunettes reflétant les lumières de la scène. Finalement, elle se demandait si ça valait tellement le coup. Si elle ne l’avait pas un tout petit peu surestimé. Tant que Christine s’était battue pour le garder, elle avait tout fait pour le lui ravir, pour gagner cette guerre. Mais, à présent qu’elle avait eu ce qu’elle voulait, que la guerre était terminée, qu’il n’y avait plus personne pour le lui disputer, elle n’était plus tout à fait aussi sûre… Il ferait un bon père, et un bon mari — ça oui, pas de doute. Mais ils n’étaient pas exactement le couple dont elle avait rêvé. Pour commencer, au lit, il était plutôt… plan-plan. Pas comme le « petit » Yannis, le nouveau stagiaire. Brun comme un prince d’Orient, de longs cils, une silhouette à tomber, des dents blanchies et un sourire de pirate. Elle aurait parié qu’au pieu, c’était Spiderman et Jack Sparrow réunis. Les femmes sentent ce genre de choses.

Mais elle portait l’enfant de Gérald. Et elle l’aimait. Oui, bien sûr qu’elle l’aimait : elle n’avait pas fait tout ça pour rien. Sauf qu’elle avait bien vu comment le jeune Yannis la regardait… Et comment il s’arrangeait pour se retrouver seul avec elle le plus souvent possible, et lui balancer des compliments si outrés qu’ils la faisaient rougir. Et pourtant, elle ne rougissait pas facilement. Elle essaya de se concentrer sur l’opéra, mais elle n’y parvint pas. Elle pensait sans arrêt au jeune Yannis — à son corps, à ses jeans déchirés, à ses bras bronzés et tatoués. Oui, elle allait être mère, elle attendait l’enfant de Gérald : elle avait eu ce qu’elle voulait, non ?

Et, pour le reste, on verrait bien. Le moment venu… Les vacances en Thaïlande commençaient demain — un mois entier : elle avait déjà hâte d’être rentrée.