Выбрать главу

Ou cette fois où…

Mais non, elle ne voulait pas penser à ça maintenant…

Elle pleura. Le menton sur la poitrine, les bras autour des genoux, elle pleura.

Son esprit battait la campagne. Quarante minutes après avoir avalé une double ration de somnifère, celui-ci commençait à faire effet : les molécules se répandaient dans son sang, voyageaient vers son cerveau et elle sentait ses paupières s’alourdir, sa tête dodeliner et l’angoisse lâcher lentement prise. Peut-être aussi parce qu’elle était à bout de nerfs, épuisée — que le chagrin et la terreur avaient récuré son esprit de fond en comble et qu’il n’y restait plus que stupeur et apathie.

Dans la grisaille chimique séparant la veille du sommeil, d’étranges images surnageaient comme des poissons multicolores. Tout un tas de pensées miroitantes et de visions vaguement hallucinogènes, psychédéliques, venaient caresser les rivages de son esprit. À un moment donné, alors qu’elle avait perdu toute notion du temps et de l’espace, elle vit même Iggy devant elle, lui léchant le visage, son tendre regard posé sur elle, son museau si proche qu’il envahissait tout son champ de vision, aussi gros que celui d’une vache… Avant d’en être définitivement incapable, elle appuya une dernière fois sur la touche du téléphone.

Celle qui correspondait à Gérald…

Le répondeur, encore.

Un court instant, la frayeur dissipa l’effet du somnifère. Pourquoi ne répondait-il pas ? Parce qu’il est avec Denise, répondit la méchante petite voix en elle, de plus en plus lointaine cependant à mesure que l’hypnose chimique exerçait sur ses neurones son massage apaisant. Parce qu’il est en train de baiser cette salope. Et que, par conséquent, il ne peut pas te répondre, ma chérie… Un nœud dans son ventre. Mais le Stilnox n’avait pas dit son dernier mot — et elle sentit le nœud se défaire irrésistiblement sous les doigts cotonneux du sommeil.

La police.

Elle devait prévenir la police. Elle était en danger. Mais pour leur dire quoi ? Que son chien avait disparu ? Après l’incident de la lettre, elle savait ce qu’ils penseraient. Que tu es folle… bonne à enfermer… Un dernier sanglot qui ressembla à un spasme… Une immense paix descendait sur elle. Une putain de paix pharmaceutique — mais une paix quand même…

Une ultime pensée.

Est-ce qu’elle avait verrouillé sa porte ? Elle fronça les sourcils, la tête de plus en plus lourde. Oui. Oui — elle l’avait sûrement fait… Elle croyait même se souvenir qu’elle avait poussé un meuble devant. L’avait-elle vraiment fait ou avait-elle seulement eu l’intention de le faire ? Elle n’en était plus très sûre. L’indifférence la gagnait. Elle reposa le téléphone sur la table de nuit. Bâilla. Posa la nuque sur l’oreiller.

Fermer les yeux.

Enfin.

12.

Leçon de ténèbres

Du fond de la nuit et du sommeil montent des voix que nous aimerions ne jamais percevoir. Elles sont comme des rappels des peurs de l’enfance — quand, une fois la lumière éteinte et la porte refermée, chaque objet dans la chambre, chaque forme pouvait se changer en monstre ; quand, du fond de notre lit — ce canot de sauvetage sur les flots inquiétants de la nuit —, nous étions affreusement conscients de notre vulnérabilité et de notre petitesse. Ces voix nous rappellent que la mort fait partie de la vie, et que le néant n’est jamais très loin. Que tous les murs que nous élevons autour de nous ne sont guère plus solides que la maison de paille et la maison de bois dans le conte des Trois Petits Cochons.

Cette nuit-là, Christine fit des cauchemars dans lesquels elle entendit les voix. Elle se tourna et se retourna dans les draps moites de sueur nocturne, gémit et supplia dans son sommeil. Puis elle ouvrit grand les yeux. D’un coup. Quelque chose l’avait réveillée. Elle regarda le plafond, où flottait la lueur de la veilleuse et où son radioréveil projetait des chiffres lumineux. 3 : 05. L’air était frais dans la chambre, elle le sentait comme une main froide sur son visage.

Qu’est-ce qui l’avait arrachée au sommeil ?

Un bruit. Elle avait cru entendre un bruit traverser comme une aiguille les différentes couches de son esprit endormi. Étendue, parfaitement immobile, les yeux au plafond, elle tendit l’oreille, tous les sens en alerte. Mais l’immeuble demeurait silencieux. Est-ce qu’elle avait rêvé ? Puis elle se souvint d’Iggy et elle fut de nouveau bouleversée, les larmes rejaillirent. Iggy… Oh, mon Dieu, où es-tu, mon chien ? Elle les laissa mouiller l’oreiller puis son cœur sauta dans sa poitrine. Elle venait de l’entendre une nouvelle fois : le son qui l’avait tirée du sommeil. Et elle savait ce que c’était… Un jappement ! Christine repoussa la couette. Elle se concentra de toutes ses forces et, de nouveau, elle le perçut — lointain mais distinct, indiscutable. Un petit aboiement clair et suppliant. Pas de doute : c’était lui. Iggy ! Elle bondit hors du lit.

— Iggy ! cria-t-elle. Iggy, je suis là !

Elle courut de la chambre vers le séjour, d’où semblait provenir le bruit, alluma toutes les lumières.

— Iggy ! Où es-tu ?

Elle tourna sur elle-même, telle une toupie, tentant de repérer la provenance des aboiements, mais ils s’étaient tus.

— Iggyyyy !

Merde, c’était à devenir dingue !

Elle savait qu’elle n’avait pas rêvé ; d’ailleurs, le voilà qui jappait de nouveau. Le son était étouffé, lointain — mais bien réel. On eût dit qu’il passait à travers les murs. Oui, c’était ça. Elle tenta de s’orienter. La cuisine… Iggy continuait de l’appeler. Oui, ça venait de par là… Elle se glissa derrière le comptoir, cela provenait de… de derrière le mur ! Sa voisine : Iggy l’appelait de chez sa voisine ! Sa voisine qui détestait les animaux… Christine se sentit prise de panique à cette idée.