Elle éprouva soudain la morsure du remords et, quand il se laissa retomber à côté d’elle, elle se sentit trahie. Non par lui mais par elle-même : par son corps. Christine se leva et fonça vers la salle de bains pour s’essuyer. Quand elle en ressortit et attrapa ses habits, il demanda :
— Où est-ce que tu vas ?
— Je m’en vais, on n’aurait pas dû faire ça.
— Quoi ?!
Elle acheva de s’habiller. Hésita à l’embrasser ou à dire quelque chose ; puis renonça et se rua vers la porte.
— Va voir la police ! lança-t-il dans son dos. Christine, tu m’entends ? Va voir la police !
Elle claqua la porte. Se retrouva seule dans le couloir. Sa tête bourdonnait.
Le couloir était silencieux.
Elle le remonta rapidement, passant de l’ombre à la lumière et de la lumière à l’ombre, les petites appliques aux murs hachant la pénombre avec un effet théâtral. Un défilé de portes. Toutes semblables. Une pensée fugitive la traversa : combien de couples adultères derrière ? L’était-elle ? Gérald avait décidé de prendre ses distances : cela l’exemptait-elle de toute loyauté ? Elle l’imagina apprenant qu’elle avait baisé avec un autre dans un hôtel quelques heures seulement après leur dispute. Et lui ?
Est-ce qu’il n’était pas en train de baiser Denise ?
Dans l’ascenseur, elle sentit ses jambes se dérober. Une vague de peur laide et nue déferla. La peur de tout perdre… Elle se sentait profondément malheureuse. Elle aurait dû prendre une douche, elle avait encore le sperme de Léo en elle. Le sang battant aux tempes, elle se rua en dehors de la cabine dès que les portes s’ouvrirent.
Un type se tenait devant. Elle le percuta violemment. Il était d’une taille étonnamment petite pour un homme, plus petit qu’elle. Il avait le crâne rasé et un drôle de visage — efféminé, songea-t-elle en une fraction de seconde —, mais il bougea à peine quand elle le heurta et elle faillit retomber en arrière.
— Exc… excusez-moi, bafouilla-t-elle avec une voix qui trahissait plus la colère qu’autre chose. Je suis désolée !
Le petit homme s’écarta avec un sourire. Elle eut à peine le temps d’entrevoir le tatouage qui émergeait de son col. Une Madone avec son auréole, comme on en voit dans les icônes russes. Étrange, pensa-t-elle en fonçant vers la porte à tambour. L’image insolite s’imprima dans son esprit — comme celles de certains rêves au réveil — tandis qu’elle courait à travers le hall, poussait la porte tournante, s’enfuyait dans la neige qui s’était remise à tomber.
20.
Opérette
La femme-flic regarda l’écran de son ordinateur, regarda le mur derrière Christine — dont Christine se souvenait qu’il portait une affiche du film Chinatown —, regarda son stylo, regarda ses ongles, regarda Christine.
— Vous dites que vous avez trouvé de l’urine sur votre paillasson : est-ce que ça ne pourrait pas être celle de votre propre chien ?
Le ton était si manifestement, si outrageusement sceptique que Christine se raidit.
— Vous ne me croyez pas ?
— Je vous pose une question.
— Non, répondit-elle fermement.
La femme la jaugea, et Christine eut la sensation qu’un faisceau de rayons X la scannait de la tête aux pieds.
— Qu’est-ce qui vous rend si sûre ?
Elle haussa les épaules.
— Je n’ai pas sorti mon chien ce jour-là. Par conséquent, je ne vois pas comment il aurait pu…
— Vous ne l’avez pas sorti ?… Où a-t-il fait ses besoins ?
— Il a une caisse pour les cas d’urgence, quand… je n’ai pas le temps de le sortir. (La femme-flic lui jeta un regard sévère.) Écoutez, on ne va pas épiloguer là-dessus pendant des heures, non ? Il s’est passé beaucoup plus grave.
La femme consulta ses notes sur son écran.
— Oui. Quelqu’un s’est introduit chez vous et y a laissé un… CD d’opéra… sans rien prendre par ailleurs. Cette même personne qui vous a appelé à la radio où vous travaillez et à votre domicile… Et puis, vous avez été droguée et déshabillée chez cette jeune personne, Corinne Délia, qui est stagiaire à Radio 5, avant d’être ramenée inconsciente chez vous où vous vous êtes réveillée nue. Ah oui, j’oubliais : ces personnes ont aussi tiré deux mille euros sur votre compte en banque, mais sans pour autant vous avoir dérobé votre carte bancaire… et elles ont, euh, déposé des antidépresseurs sur votre lieu de travail pour vous discréditer…
Elle déplaça son regard de l’écran vers Christine. Un regard hostile. Où affleuraient non seulement le scepticisme mais aussi l’exaspération. Elle avait entre trente et quarante ans, une alliance au doigt, la photo d’un enfant blond sur son bureau.
— Vous avez l’air épuisée, ajouta-t-elle. Vous avez vu un docteur ?
Christine inspira profondément. Elle regrettait d’être venue. Se calmer… Si tu piques une crise maintenant, cela ne fera que confirmer ce qu’ils pensent déjà.
— J’ai imprimé les messages qu’il m’a envoyés, dit-elle en posant une main sur la chemise cartonnée qu’elle avait récupérée à l’appartement après avoir pris une douche. Vous voulez les voir ?
La femme ne répondit ni oui ni non.
— « Il » ? Vous pensez donc qu’il s’agit d’un homme ? Tout à l’heure, vous pensiez que c’était votre stagiaire qui avait fait le coup…
— C’est-à-dire… je pense qu’ils sont au moins deux…
— Une véritable conspiration en somme.
Le mot la cingla. Elle savait où la femme-flic voulait en venir.
— Vous me croyez cinglée, c’est ça ?
De nouveau, la femme ne répondit ni par oui ni par non. Elle se contentait de garder son regard brumeux posé sur Christine.
— Mettez-vous à ma place.
— Ça ne devrait pas plutôt être l’inverse ?