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Elle obéit. Une femme en uniforme les rejoignit bientôt. Elle salua les hommes puis entreprit de fouiller Christine — une fouille superficielle, mais les mains de la garde la palpèrent avec une répugnante absence de retenue qui lui donna la chair de poule.

— Suivez-moi.

Elle ouvrit une porte sur une petite pièce avec une quarantaine de casiers. Christine remarqua qu’il y avait des casques de moto alignés au-dessus. La femme en uniforme — petite, trapue — attrapa une grande boîte profonde en bois et la fit glisser sur une table.

— Veuillez retirer tous vos bijoux, montre, bagues, bracelets, boucles d’oreilles et votre ceinture et les mettre dans la boîte, dit la femme. Et aussi argent, papiers, clés, téléphone portable…

Christine s’exécuta — avec l’impression de se dépouiller un peu plus de son identité à chaque objet qu’elle abandonnait. La garde fit l’inventaire à voix haute, tout en l’inscrivant dans un gros registre ouvert sur la table ; puis elle attrapa un bout de papier, ouvrit son passeport et inscrivit : Christine Steinmeyer, 31/4817. Elle glissa la boîte dans un des casiers, le verrouilla et colla le papier à son nom dessus.

— Je la mets où ?

Une fois qu’elle eut obtenu une réponse, elles franchirent la porte vitrée et la femme précéda Christine dans le grand couloir mal éclairé. Des cellules aux façades de Plexiglas et aux montants métalliques peints en gris-bleu. Des hommes derrière : allongés dans la lumière violente, sur des couvertures marron et des matelas plastifiés bleus. Christine s’efforçait de ne pas regarder dans leur direction.

— Hé ! Quelle heure il est ? lança l’un d’eux sur leur passage. Salut poupée, première visite, hein ? Fais gaffe à cette vicieuse : elle aime la chatte !

Parmi les cellules éteintes, certaines portaient la mention « H.S. » et les grosses serrures et l’espèce de passe-plat vitré à hauteur de la couchette étaient presque entièrement arrachés de leur support — comme si on avait enfermé là des animaux enragés.

La femme s’arrêta deux portes plus loin, fit tourner la clé, puis tira d’un coup sec sur la courte barre verticale. L’énorme bruit métallique résonna dans tout le couloir — un bruit de cinéma, un bruit de prison. Christine tressaillit si fort que ses épaules remontèrent d’un coup à hauteur de sa nuque.

— Enlevez vos chaussures.

Elle obéit. La femme ouvrit alors un tiroir dans la façade de verre et de métal, juste en dessous de la couchette, et les poussa dans l’ombre.

— Entrez…

Un tremblement lorsqu’elle s’avança en chaussettes sur le béton froid. Elle considéra sa cellule : une grotte blanc cassé de deux mètres sur trois, un banc de béton avec un demi-mur derrière qui devait dissimuler des toilettes. Des angles arrondis partout. Un matelas. Un robinet dans une niche, au fond. C’était tout.

— Dans un petit moment, deux personnes vont venir vous chercher pour prendre vos empreintes. En attendant, essayez de vous reposer.

— Il fait froid ici, fit-elle remarquer.

— Je vais vous emmener une couverture. Vous voulez manger quelque chose ?

— Non, merci.

Elle n’avait pas faim : elle avait froid… elle avait peur… elle était terrifiée… Elle vit, de l’autre côté de la vitre, la femme en uniforme tendre un bras vers le haut et un store de toile descendit, lui bouchant complètement la vue. Aucune des cellules qu’elle avait aperçues — celles où se trouvaient des hommes — n’avait été camouflée de la sorte : elle en conclut que la garde voulait éviter que sa présence dans ces sous-sols ne perturbât le fragile équilibre qui y régnait. Dès que les pas de la femme se furent éloignés, elle passa derrière le muret. Elle baissa son jean et son slip sur ses chevilles et s’accroupit pour se soulager dans le trou. Elle se rendit compte qu’elle tremblait si violemment que ses dents claquaient. Elle avait envie de pleurer, mais quelque chose en elle s’y refusait. Ses intestins vidés, elle revint s’asseoir sur la couchette, la couverture marron passée sur ses épaules, et elle ferma les yeux en essayant de fermer pareillement son esprit à ce lieu, d’oublier où elle se trouvait — et comment elle y était arrivée. Après tout, ce n’est pas si terrible. Au moins, ici, personne ne peut t’atteindre. Tu verras : dans une heure ou deux, ça ira mieux — même si ça ne va pas être facile de dormir sur ce truc… Elle passa l’heure suivante recroquevillée sur le matelas plastifié mince et dur, enveloppée dans une couverture qui sentait le renfermé, et elle regretta d’avoir refusé le repas, car les crampes se déchaînaient dans son ventre.

Au bout d’une heure, deux personnes — une femme et un homme plus jeunes qu’elle — vinrent la chercher et la conduisirent dans une pièce sans fenêtre éclairée au néon (près de l’ascenseur : elle éprouva un éphémère et cruel espoir, une flambée aussitôt éteinte). Une table, un ordinateur, un comptoir derrière une vitre et un gros appareil qui ressemblait à un distributeur de billets. Un homme équipé de gants bleus, le visage protégé par un masque chirurgical, l’attendait derrière la vitre. Il la fit asseoir, lui demanda d’ouvrir la bouche et effectua ce qu’elle supposa être un prélèvement ADN à l’aide d’un coton-tige ; après quoi, la jeune femme lui demanda de s’approcher du gros appareil et prit ses empreintes — d’abord la main complète, puis les cinq doigts un par un. Elle lui parlait aimablement, comme s’il s’agissait d’une simple formalité administrative. Pour finir, elle eut droit à la traditionnelle photo anthropométrique dans un coin de la pièce. Quand les deux jeunes gens la ramenèrent en cellule, Christine eut l’impression que, cette fois, ça y était : elle était passée de l’autre côté. Elle eut du mal à combattre le découragement, le désespoir qui s’immisçaient en elle. Son cerveau — qui, jusqu’ici, n’avait pas pris toute la mesure de la situation — mugissait de honte, de confusion et de peur.

Puis l’enfer commença

Tout ce que la ville comptait de dealers, de maquereaux, de voleurs, de tapineuses, d’ivrognes, de junkies semblait s’être donné rendez-vous ici, comme des internautes qui ne se connaissent pas répondant à une invitation sur Facebook. Projet X à l’hôtel de police. Ils débarquèrent les uns après les autres — de 22 à 2 heures du matin —, dans un grand remue-ménage. Christine se réjouit que personne ne pût la voir derrière le store de toile car, de l’autre côté, la folie enflait de minute en minute. Et la colère  : une tension effrayante courait d’un bout à l’autre du couloir, elle le traversait comme des faisceaux de particules dans un collisionneur. Impossible de fermer l’œil : sa cellule était l’avant-dernière individuelle ; deux portes plus loin se trouvaient des cellules plus grandes, dans lesquelles on enfermait de quatre à dix personnes. Chahut, fureur, grabuge : un sabbat frénétique… Vers 2 heures, le couloir plein comme un hall de gare s’était transformé en une ménagerie bruyante, énervée et fébrile. « Hé, enculés de flics, vos mères sucent des bites en enfer ! » « Hé, la gouinasse, on caille ici ! T’as pas une couverture en rab’, chérie ? » « Appelez un toubib, appelez un toubib ! Je fais une criiiiiiiiseee ! » « Madame, s’il vous plaît, madame, venez vite : il va pas bien du tout ! » « La ferme, putain ! C’est pas bientôt fini, ce bordel ? » Cette nuit-là, Christine écouta les hurlements stridents des fauves, leurs râles déments, les coups de poing et les coups de pied terribles contre le Plexiglas et le métal, les rires sinistres des ivrognes, les pleurs désespérés des junkies, les insultes provocantes et querelleuses des putains, les langues, les accents, les claquements des verrous, les portes qui s’ouvrent et se referment, les pas, les appels, les sonneries, les cris. Les mains moites et le cerveau en feu, elle cligna des yeux comme un hibou dans la douche de lumière qui ne s’arrêtait jamais, cette pluie continue qui traversait ses paupières closes. En proie à un sentiment de solitude absolue, à une détresse comme elle n’en avait jamais connu. S’efforçant de se fermer à l’anarchie qui régnait, à toute cette animalité et à toute cette fureur. N’y parvenant pas. Vers 3 heures, son corps finit par réagir ; elle fut prise de nausées et elle se précipita vers le trou pour vomir, à genoux sur le sol recouvert de revêtement industriel, cachée par le demi-mur, tandis que d’autres arrivants déclenchaient un nouveau tapage. Elle se redressa, essuya son front en sueur et appuya sur le bouton commandant le robinet — qui éclaboussa ses vêtements. Cette fois, elle se mit à pleurer, de manière étouffée d’abord — car elle craignait d’être entendue —, puis de plus en plus fort, secouée par des sanglots convulsifs, toutes ses digues mentales rompues.