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Le risque majeur est celui de la personne envoyée spécialement par un collectionneur fou qui sait que vous possédez ce livre-là et qui le veut absolument, même au prix d’un vol. Mais il faudrait que vous possédiez le Folio de Shakespeare de 1623, autrement cela ne vaut pas la peine de prendre autant de risques.

J.-C.C. : Vous savez qu’il existe des « antiquaires » qui présentent des catalogues de meubles anciens, lesquels se trouvent encore chez leur propriétaire. Si vous êtes intéressé, ils organisent le vol, et uniquement de ce meuble-là. Mais en général je rejoins ce que vous avez dit. J’ai été cambriolé une fois. Les voleurs ont pris la télé, un appareil radio, je ne sais plus quoi, mais pas un seul livre. Ils ont volé pour dix mille euros, alors qu’en prenant un seul livre, ils partaient avec cinq ou dix fois cette somme. Nous sommes donc protégés par l’ignorance.

J.-P. de T. : J’imagine que tout collectionneur de livres garde quelque part en lui la hantise du feu ?

U.E. : Oh oui ! Et c’est pour cette raison que je paie une somme considérable pour faire assurer ma collection. Ce n’est pas par hasard si j’ai écrit un roman sur une bibliothèque qui brûle. J’ai toujours peur que ma maison ne brûle. Et je sais aujourd’hui pourquoi. L’appartement que j’ai habité entre trois et dix ans était situé sous celui du capitaine des pompiers de ma ville. Très souvent, parfois plusieurs fois par semaine, un incendie se déclarait en pleine nuit et les pompiers, précédés de leur sirène, venaient arracher leur capitaine à son sommeil. Je me réveillais en entendant le bruit de ses bottes dans l’escalier. Le jour suivant, sa femme racontait à ma mère tous les détails de la tragédie… Vous comprenez pourquoi mon enfance a été obsédée par la menace du feu.

J.-P. de T. : J’aimerais revenir à ce que sera le destin de vos collections patiemment rassemblées…

J.-C.C. : Je peux imaginer que ma femme et mes filles vendront ma collection, en tout ou partie, pour payer des droits de succession, par exemple. Ce n’est pas une pensée triste, au contraire : lorsque des livres anciens reviennent sur le marché, ils se dispersent, ils vont ailleurs, ils font des heureux, ils entretiennent la passion bibliophilique. Vous vous souvenez certainement du colonel Sickels, ce riche collectionneur américain qui avait la plus extraordinaire collection de littérature française des XIXe et XXe siècles qu’on puisse imaginer. Il a vendu à Drouot sa collection de son vivant. La vente a duré quinze jours. Je l’ai rencontré après cette vente mémorable. Il n’avait pas de regrets. Il était même fier d’avoir enflammé pendant deux semaines quelques centaines de vrais amateurs.

U.E. : Mon sujet est tellement particulier que je ne sais pas exactement qui ma collection pourrait réellement intéresser. Je ne voudrais pas que mes livres finissent dans les mains d’un occultiste qui, forcément, s’y attacherait, mais pour d’autres raisons. Peut-être ma collection sera-t-elle achetée par les Chinois ? J’ai reçu un numéro de la revue Semiotica, éditée aux Etats-Unis et consacrée à la sémiotique en Chine. Les citations de mes ouvrages y sont plus nombreuses que dans nos ouvrages spécialisés. Peut-être ma collection intéressera-t-elle un jour, plus que d’autres, des chercheurs chinois qui voudront comprendre toutes les folies de l’Occident.